Le rapport de François Roussely sur l’avenir de la filière française du nucléaire civil a été remis, le 27 juillet dernier, au président de la République et a été examiné le jour même dans le cadre d’un conseil de la politique nucléaire statutairement présidé par le Chef de l’Etat.
Greenpeace livre ici un décryptage de ce rapport, sur la base de la synthèse mise en ligne par le site de l’Elysée.
Comment est né le rapport Roussely ?
Le rapport Roussely tente de répondre à un problème majeur pour l’industrie nucléaire française : comment sauver Areva en augmentant la rentabilité d’EDF ?
Réponse simple : vendre des réacteurs à l’étranger ! Car Areva a deux activités : fournir et traiter le combustible nucléaire (principalement pour EDF) et construire des réacteurs nucléaires. Seulement voilà, d’un côté EDF met en concurrence Areva sur l’achat du combustible, négocie le coût du retraitement qu’elle ne juge peut être pas si utile à son activité ; d’un autre côté les perspectives de construction de réacteurs nucléaires en France et plus largement en Europe ne sont guère réjouissantes…
C’est donc la crise dans l’industrie nucléaire : que va devenir Areva ? Eh bien elle va exporter des réacteurs nucléaires dans le monde et le rapport Roussely nous révèle à quel prix l’Etat français va tenter de sauver Areva. Décryptage des priorités dessinées par le rapport.
Priorité numéro 1 : Développer des produits inadaptés grâce à des fonds publics
Le rapport Roussely l’admet à demi-mot, la filière nucléaire française n’a pas encore trouvé le « produit » miracle sensé lui permettre de conquérir les marchés mondiaux. Ainsi, le rapport annonce que « la crédibilité à la fois du modèle EPR et de la capacité de l’industrie française à réussir de nouvelles constructions de centrales nucléaires ont été sérieusement ébranlées par les difficultés rencontrées sur les chantiers finlandais et français »
En réalité, depuis les années 50, la recherche et développement française dans le domaine des réacteurs nucléaires civils semble n’avoir été qu’une suite de mauvais choix payés par le contribuable :
- Années 60 : après seulement 9 réacteurs construits en France, abandon de la filière graphite-gaz développée dans les années 50,
- Années 80 : après 4 réacteurs construits en France, le modèle N4 (100% français) est abandonné,
- 2010 : le rapport Roussely annonce que l’EPR ne correspond pas aux besoins du marché et qu’il faut développer un nouveau réacteur… Encore. « Des modèles plus petits que l’EPR semblent plus conformes aux attentes de certains clients. Il convient de compléter l’offre française et de disposer de plusieurs familles de produits…». Et ce, alors même qu’aucun EPR n’a encore été entièrement construit !
Bilan de la conquête mondiale de l’industrie nucléaire française : En France il y a plus de réacteurs issus de la technologie américaine de Westinghouse que des technologies françaises . Hors de l’hexagone il n’y a aucun réacteur français en fonctionnement
Au nom de « l’information fiable » que prône le rapport Roussely dans le domaine nucléaire, Greenpeace souhaiterait savoir combien d’argent public la France a dépensé à la conquête des marchés mondiaux en développant 3 modèles de réacteurs nucléaires différents ne correspondant pas aux besoins du marché ?
Priorité numéro 2 : Faire financer la vente de ce nouveau produit par le secteur privé ou les fonds publics destinés aux renouvelables
Construire une centrale nucléaire coûte de l’argent, de 4 à 5 milliards d’euros selon les modèles. La dernière annonce pour les retards sur l’EPR de Flammanville dans la Manche faisait état par exemple d’un nouveau milliard d’euros de surcoût amenant le coût total du projet à 5 milliards d’euros (contre 3 milliards initialement annoncés); et il semblerait que d’autres annonces soient à suivre.
Les investisseurs privés boudent le secteur nucléaire car la construction d’un réacteur est aujourd’hui un investissement très risqué, risque que ces derniers refusent d’assumer : délais de construction qui débordent, surcoûts, prix dérégulés de l’électricité, opposition au projet, mise à l’arrêt fréquent des centrales…
Le rapport Roussely propose donc deux pistes que Greenpeace dénonce :
- ouvrir au nucléaire les financements réservés aux énergies renouvelables alors même que le nucléaire est une énergie fossile, polluante et dangereuse ;
- rendre l’industrie plus compétitive afin d’attirer des investisseurs privés… En faisant baisser les coûts au détriment de la sûreté nucléaire.
Priorité numéro 3 : Rogner sur la sûreté et la sécurité
Bien que chaque page du rapport Roussely martèle qu’il ne saurait être envisagé de transiger sur les exigences de sûreté et de sécurité propres au risque nucléaire, l’analyse des principales propositions du rapport orientent pourtant le lecteur dans ce sens..
Le rapport stipule que « la seule logique raisonnable ne peut pas être une croissance continue des exigences de sûreté. Dans ce contexte, il est proposé de lancer, sous la responsabilité de l’Etat, un groupe de travail dont la mission serait de formuler des propositions en vue d’associer au mieux exigences de sûreté et contraintes économiques, en incluant une vision internationale, a minima européenne« .
Les propositions concrètes qui alimentent cette phrase laissent très clairement percevoir la volonté du rapport Roussely d’affaiblir l’ASN au profit de l’Etat dans le contrôle de la sûreté nucléaire…
On peut lire : « en France, il convient que l’État définisse un modus vivendi équilibré avec l’Autorité de Sûreté, c’est-à-dire réaffirme le rôle régalien qu’il ne devrait pas abandonner à une autorité indépendante« . On retrouve cette idée dans les 15 principales recommandations dont l’une est de « réexaminer la mission de l’ASN telle qu’elle est définie dans la loi sur la Transparence et la Sûreté Nucléaire de 2006« , cette même loi qui a fait de l’ASN une autorité indépendante.
Les rédacteurs du rapport Roussely semblent ignorer que la directive européenne du 25 juin 2009 sur la sûreté des installations nucléaires précise dans son article 5 que l’autorité de réglementation de la sûreté nucléaire doit être indépendante de tout organisme promouvant le nucléaire. L’Etat français étant le principal actionnaire d’Areva et d’EDF, il est inenvisageable que le contrôle de la sûreté nucléaire lui soit confié.
Malgré le caractère incomplet du seul document qui a été rendu public, la synthèse du rapport Roussely confirme bien les difficultés économiques auxquelles est confrontée la filière nucléaire française et notamment Areva. Plus grave, ce document prône une régression dans le contrôle de la sûreté nucléaire en s’attaquant au statut de l’ASN ou à ses prérogatives. Cette proposition est une nouvelle preuve de l’inconciliabilité des exigences de sécurité et de rentabilité dans le domaine nucléaire…
Plutôt que de chercher désespérément à faire vivre le modèle du tout nucléaire par peur de froisser un lobby enraciné au cœur de l’Etat, nos dirigeants devraient se poser la question de la viabilité de ce choix fait il y a plus de 50 ans en totale irresponsabilité.