La poésie de Gérard Bayo est
économe et tendue, non pas minimale mais serrée, dense. Elle travaille un rapport douloureux à
l’histoire, personnelle et collective, et un rapport plus apaisé au paysage, à
la nature. D’où l’ambivalence du titre de ce livre qui peut signifier aussi bien
aller vers la mort que se tourner vers la nature.
Le poème a souvent un caractère énigmatique, mais cela ne vient pas d’une
volonté d’obscurcissement en vue de dérouter le lecteur, il s’agit plutôt de ne
pas trop en dire, par pudeur. « TE RESTE le mur / sans reflet, derrière la
vitre les murs / d’en face. Et toi. // Te reste ce que tu sais / additionnes /
et ne peux dire. / Ne te reste / ni rien, ni dehors. Mais la mémoire, le rêve /
et la douleur. // Le mur / encore. /Sans reflet. Sont trois rue Puvis / de
Chavannes, mémoire, désir, / et douleur, // habitent la pénombre. Sont / un
seul déjà. » (p.27)
Dans leur resserrement, certains poèmes peuvent sembler parfois presque
reverdyens ; ainsi pour cette Levée
d’écrou : « La terre a brûlé tout aujourd’hui, / la lune pleine /
quelque part à travers ciel / loin du mélèze a disparu. // Et la réalité fut créée. // La langue /
s’est mise à parler. C’est fini. Et l’aube / au fond des rues s’en vient. //
C’est fini. Personne / ne sait, / n’a / entendu. » (p.34)
Mais le plus marquant peut-être dans cette écriture me semble être le travail
du vers. L’ellipse est souvent employée et elle cumule ses effets de rupture
avec l’utilisation d’un double système de pauses : à la fois la coupe et
les blancs du vers libre, et la ponctuation, qui est maintenue. Du coup la
syntaxe devient très particulière avec des séparations à l’intérieur de groupes
d’ordinaire très soudés : déterminant/nom (« L’éclipse éclaire les
deux tables les plus proches : la //
troisième est la mienne. »), sujet/verbe (« Et nous / ajoutons
/ à celui d’hier un mot. »). On pourrait donner d’autres exemples :
préposition/groupe circonstanciel, verbe/attribut, présentatif/complément… Cela
donne une tension de phrase intéressante, d’autant que les groupes eux aussi
sont redistribués : « A sa / liberté tu consentais. »(p.31),
« Ne parlent / jamais deux fois les ombres. »(p.14), « Amasse,
toi, de silence amasse / un / seul mur. »(p55)
Un tel livre confirme, s’il en était besoin, que la poésie est au moins autant
affaire d’émotion que travail d’écriture.
A. Emaz
Gérard Bayo
Chemins vers la terre
Le Taillis Pré éditeur – 86 pages
- 12 euros