Ah, au fait, les puristes me reprocheront de démarrer mon histoire à la fin du XIXème siècle, passant sous silence l'histoire du centralisme Français depuis Henri IV, Jean Bodin, Louis XIV, en passant par l'administration impériale. En contrepartie, ce texte déjà long reste dans des limites encore supportables. Alors, bonne lecture !
Anti-libéralisme français
Les étrangers avec lesquels je suis en contact sont souvent surpris par le parti pris anti-libéral ouvertement affiché par les français, leurs représentants politiques et leurs medias. Cette question les touche, car la France apparaît aujourd'hui comme la principale force de blocage des réformes au sein de l'union européenne comme de l'OMC. Ces résistances, qui ont considérablement freiné et empêchent encore l'ouverture de nombreux marchés, de l'agriculture à l'énergie, en passant par les services, sont particulièrement dommageables pour les économies en phase d'émergence. Bien que cet intérêt pour des questions apparemment franco-françaises puisse paraître surprenant, beaucoup sont ceux hors de nos frontières qui souhaitent savoir pourquoi la France est tellement anti-libérale.Répondre à cette question oblige rapidement à éviter les raccourcis simplistes et les théories uni-causales. Des forces politiques anti-libérales existent dans tous les pays du monde. Même aux USA, la dernière campagne du parti démocrate a démontré une radicalisation de la gauche américaine contre l'économie de marché. Mais partout dans le monde, ces idées très à gauche sont efficacement contrebalancées par un fort courant libéral qui a réussi à convaincre une part non négligeable de l'opinion publique et du monde politique que les idées qu'il portait étaient le plus à même d'améliorer grandement le sort de la plus grande part de l'humanité, y compris des plus déshérités. Même des politiciens supposés de gauche comme l'étaient Bill Clinton et Tony Blair, élus sur des programmes très socialistes, ont adopté une fois au pouvoir des politiques économiques d'inspiration libérale, comprenant qu'elles seules étaient à même de produire les richesses nécessaires pour financer les volets sociaux de leur action.
Rien de tel en France. Le libéralisme est un nain politique, et même la droite de notre échiquier politique reste acquise aux recettes interventionnistes et keynesiennes qui ont pourtant prouvé leur incapacité à nous sortir de la crise vécue par notre économie depuis 1973. Lors des élections présidentielles de 2002, sur 16 candidats, un seul affichait clairement son orientation libérale. Il n'a pas atteint 4% des suffrages, un peu moins que le candidat des chasseurs ! Les quatre candidats communistes et assimilés ont totalisé 14%, l'extrême droite, au programme très interventionniste et anti-mondialiste affirmé, a atteint 19%, les écologistes 7% et les candidats des partis dits de gouvernement, qui ont tous pris soin de se dissocier du libéralisme, et dont certains, à gauche, flirtaient volontiers avec les extrêmes, ont monopolisé les 50% restant.
Pourtant, jamais n'aurons nous autant entendu parler de libéralisme que lors de la campagne référendaire européenne. Selon les avocats du oui, la constitution devait nous « protéger des excès de l'ultra-libéralisme », néologisme commode brandi en toute circonstance par les interventionnistes comme l'épouvantail source de tous nos problèmes. Selon les partisans du non, cette constitution était beaucoup trop libérale, ce qui a beaucoup fait rire les gens qui savent un peu de quoi ils parlent lorsqu'ils évoquent ce courant de pensée... Bref, le libéralisme a été au centre du débat européen, alors qu'en France, il n'a pas d'existence politique.
Comment en sommes nous arrivés là ?
Le capitalisme libéral souffre certes d'un handicap majeur en terme de marketing. Nous le savons, la machine à créer de la valeur du capitalisme est ce mécanisme de sélection permanente des meilleurs producteurs décrit par l'économiste autrichien Joseph Schumpeter, sous le nom de destruction créatrice de valeur. Les données récemment recueillies sur l'économie montrent combien l'analyse Schumpeterienne était pertinente. Ainsi, en France, il se créée et se détruit chaque année environ 2.5 millions d'emplois, en combinant les destructions volontaires (suite à un départ d'un salarié de son propre chef), majoritaires, et les destructions forcées, qui représentent moins de 30% du total, dont 2% à peine pour les plans sociaux collectifs . Les USA, dans les années 93-2000 (mandat de Bill Clinton), ont connu une augmentation nette de leur force de travail de 21 millions de personnes, résultant de la destruction de 242 millions d'emplois et de la création de 263 millions , mieux payés que les anciens emplois dans plus de 70% des cas.
Schumpeter lui même a reconnu que le côté déplaisant de cette équation vaudrait au capitalisme libéral de nombreux ennemis : pour créer de nouveaux emplois bien payés, il faut détruire d'autres emplois, et si l'on tente d'empêcher le mouvement de destruction des postes de travail les moins rentables, l'on empêche la création des emplois et des produits de demain. Il est très difficile d'expliquer à l'ouvrier textile de Roubaix que la destruction de son travail permet de créer des emplois dans les nouvelles technologies où les services commerciaux en région parisienne. Les socialistes ont beau jeu de rendre le libéralisme responsable de ces pertes d'emploi, et les libéraux français ont été particulièrement mauvais pour expliquer à ces personnes que s'ils ne retrouvent pas de nouvel emploi, la cause en est l'excès d'intervention de l'état dans l'économie, qui freine à peine la destruction des emplois inefficaces mais obère fortement la création et la croissance des nouvelles entreprises fortement employeuses de demain.
Mais ce manque apparent de sex appeal du capitalisme n'est pas propre à la France et n'a pas empêché d'autres nations de s'engager dans la voie de réformes libérales avec un soutien majoritaire de leurs populations et de leurs élites. Pourquoi une telle mutation rencontre telle tant d'hostilité en France ? Les racines du mal sont à rechercher dans une conjonction d'événements historiques et de décisions politiques unique dans le monde occidental, qui ont, par petites étapes successives, créé un contexte très favorable tant à l'idéalisation des théories interventionnistes qu'au rejet de toute philosophie donnant la primauté à l'individu sur l'état. Les quatre piliers de ce contexte particulier sont le gramscisme, l'énarchie, l'accommodation aux extrêmes et l'étouffement de la société civile.
Gramscisme
Antonio Gramsci (1891-1937) fut un auteur et journaliste italien marxiste, qui estima que pour établir une hégémonie communiste durable, il fallait faire émerger et donner une place prépondérante à une culture de la classe ouvrière, et à une classe d'intellectuels issus de la classe ouvrière. Pour ce faire, Gramsci prôna ouvertement l'infiltration par des personnes soutenant les thèses marxistes des lieux où se forment les consciences : écoles, médias, sphère culturelle.
Il n'y a pas qu'en France que les marxistes aient tenté de mettre en œuvre ces préceptes, mais ils ont bénéficié chez nous d'opportunités historiques rarement rencontrées ailleurs.
Lorsqu'en 1881, sous l'impulsion de Jules Ferry, fut créée l'éducation nationale, afin de garantir à tous les enfants un accès « gratuit » et obligatoire à l'école, l'institution créée le fut sur un modèle ultra-centralisé, où notamment les programmes et les affectations étaient gérées depuis Paris. Certains historiens estiment que derrière le prétexte égalitaire de façade affiché par les politiques de l'époque, se cachaient des intentions moins avouables : il fallait exalter le patriotisme des jeunes français afin que le jour venu, la France dispose de jeunes soldats prêts à mourir pour reprendre à l'Allemagne l'Alsace et la Lorraine, perdues en 1870. Le centralisme du système servait donc, déjà, des intérêts étatistes et propagandistes.
Il n'est donc pas étonnant que les lieux de décision où s'élaboraient programmes et recrutements aient constitué des cibles d'infiltration prioritaires pour les socialistes et communistes. Charles de Gaulle, en partie à son corps défendant, allait offrir sur un plateau aux communistes une opportunité historique unique de mettre en application cette stratégie.
En 1944, de Gaulle fut chargé de bâtir un gouvernement provisoire d'après guerre dans un contexte où les communistes étaient incontournables sur la scène politique. Premier parti de France (ce que les élections d'octobre 1945 allaient confirmer), ils avaient joué un rôle majeur dans la résistance, ce qui leur conférait un pouvoir de nuisance extrêmement fort, peut être insurrectionnel, en cas de non prise en compte de leurs aspirations. Aussi les gaullistes durent ils largement partager le pouvoir avec les socialistes et surtout les communistes. C'est ainsi que Maurice Thorez fut nommé ministre de la Fonction publique en novembre 1945. Si l'on doit à ce gouvernement la funeste constitution de la IVème république, caractérisée par l'instabilité, une déclaration des droits de l'homme moins respectueuse des droits individuels que celle de 1789, et un haut niveau de corruption, on lui doit aussi le statut actuel de la fonction publique, qui eut au moins autant de conséquences néfastes pour l'avenir du pays, non pas uniquement à cause de la garantie de l'emploi donnée aux fonctionnaires, mais, ce que l'on sait moins, à cause du paritarisme qu'il a imposé dans la gestion des recrutements, des promotions et de la mise en œuvre des décisions politiques. Cette cogestion entre directeurs et syndicats a offert aux forces de gauche des opportunités massives pour placer leurs servants à des postes clé. L'éducation nationale n'échappera pas à ces stratégies, tout comme d'autres ministères comme l'information...
Naturellement, avant de quitter le pouvoir en janvier 46, mis en minorité par la gauche sur le projet de constitution, De Gaulle était conscient de ces risques, aussi a-t-il réussi à intégrer au statut de la fonction publique des dispositions visant à limiter les risques d'infiltration : recrutement par concours, et création de corps de hauts fonctionnaires recrutés au sein de la toute nouvelle école nationale d'administration, sur laquelle nous reviendrons, et dont la direction était solidement tenue par les gaullistes, sous la férule notamment de Michel Debré.
Si ces contre-pouvoirs ont sans doute permis d'éviter une mainmise marxiste totale sur l'administration, au prix d'autres inconvénients que nous verront plus loin, ils n'ont guère été décisifs pour empêcher une prise de pouvoir de fait des organisations syndicales les plus dures au sein de l'éducation nationale.
C'est ainsi que les manuels d'économie du secondaire magnifient Keynes et ignorent Bastiat ou Hayek, que les messages délivrés par certains manuels d'histoire ou de géographie décrivent l'entreprise comme un lieu d'exploitation et d'oppression, et dépeignent la mondialisation exclusivement sous un angle négatif. Récemment encore, le Figaro publiait des reportages sur l'infiltration de l'école par l'organisation ATTAC, prolongement dans la société civile de tout ce que la politique compte d'adversaires acharnés de la démocratie libérale. J'ai moi même été confronté dans les années 70 et 80 à des professeurs engagés, voire enragés, qui n'hésitaient pas à profiter de leur poste pour transformer leur cours en séances d'endoctrinement. A un âge où de nombreux adolescents sont prompts à adopter une pensée plus émotive que rationnelle, puisque la construction de leur bagage culturelle est imparfaite, ces professeurs peuvent se montrer particulièrement efficaces pour bâtir de solides fondations anti-libérales chez les élèves, fondations qui non seulement assureront aux idées de gauche un support important mais qui rendront difficile toute discussion faisant appel à l'esprit critique et rationnel chez les personnes concernées. C'est ainsi qu'il est souvent difficile de débattre des idées libérales en France sans que très vite ne volent anathèmes et noms d'oiseaux.
Naturellement, ce travail de sape comporte aussi un volet actif de lobbying pour empêcher l'idée libérale de gagner une quelconque influence. La cabale menée contre Pascal Salin, économiste libéral et ancien président de la société du Mont-Pèlerin, lorsque celui ci fut nommé président du jury du concours d'agrégation en économie et l'ostracisme revendiqué par certains jurés contre les candidats se réclamant d'une vision libérale de l'économie sont la dernière illustration en date de ces manœuvres visant à mettre en oeuvre les préceptes gramscistes d'hégémonie culturelle.
Ces tactiques d'infiltration ont également trouvé un écho favorable dans les grands médias. Naturellement, il serait stupide de prétendre que la presse dans son ensemble est marxiste, ou même socialiste, ou de parler d'un complot médiatique anti-libéral, facilité dans laquelle tombent parfois trop facilement certains libéraux. Mais force est de reconnaître que le biais gauchiste de la presse Française est important, et que des organes de presse se positionnant pourtant à droite de l'échiquier politique (le Figaro, l'Express, pour ne citer qu'eux) font la part belle au rôle de l'état et aux prises de position interventionnistes.
Plus encore, il existe en France un véritable courant de pensée journalistique « militant » - qui préfèrera se définir lui même comme citoyen, cela est plus vendeur - dont le cercle... Gramsci , qui compte en ses rangs des journalistes comme Florence Aubenas, est le symbole le plus visible.
Il est assez surprenant que treize années après la révélation irréfutable de l'ampleur des crimes du communisme , une association très prisée de nombreux journalistes puisse porter le nom d'un propagandiste d'extrême gauche sans susciter d'opprobre, même feutrée. Imagine-t-on un cercle Goebbels ? Ces cercles de journalistes engagés estiment que le journaliste n'est pas seulement un vecteur d'information mais doit façonner l'opinion, faire passer un message (nécessairement social et citoyen), en sélectionnant les « bons » faits et les images les plus à même de servir ce message. Ce courant est il groupusculaire et marginal dans la presse ?
Pas du tout. Récemment encore, Jean Marie Colombani lui même abondait publiquement en ce sens. Si l'on ajoute que le journaliste militant sera plus âpre à défendre la place de ses idées au sein des rédactions que les journalistes neutres, si l'on considère que l'information-émotion, plus proche de la pensée de gauche, est considérée (à tort ? ) comme plus vendeuse que l'information-réflexion, dans laquelle la pensée libérale trouverait un écho plus favorable, l'on comprend que certains libéraux voient dans la presse un instrument de promotion de l'interventionnisme public et des idées de gauche .
L'on me répondra à raison que la presse Française n'est pas monopolistique, et qu'il existe des journalistes de droite, des organes de presse d'opinion conservateurs, voire libéraux.
Mais ce n'est pas tout. Entre autres héritages laissés par la participation des communistes au gouvernement entre 1944 et 1946, le système de distribution de la presse nationale est sous la coupe quasi exclusive des NMPP, dans lequel la CGT conserve encore un monopole d'embauche. Outre son prix qui fait de la presse Française une des plus chères du monde, ce système pousse les éditeurs de presse à composer en permanence avec des représentants syndicaux issus de la gauche la plus dure, ce qui n'est pas sans conséquence sur la ligne de conduite de certains organes de presse dès qu'il s'agit de remettre en cause les services publics en général et les NMPP en particulier...
Plus encore, un rapport sénatorial de 2003 a montré que les aides directes et indirectes de l'état à la presse (subventions, franchises postales, conditions privilégiées SNCF, aides AFP, TVA à taux préférentiel de 2.1%, etc...) atteignaient 1.38 Mds d'Euros en 2003, soit près de 12% du chiffre d'affaires total de la presse, dont de nombreux organes connaîtraient la faillite sans ces conditions.
Enfin, les journalistes (détenteurs de carte de presse) bénéficient eux mêmes d'un abattement fiscal particulier à titre personnel. Régulièrement, sa suppression vient à être évoquée, pour être aussi vite reléguée dans les placards des projets avortés de Bercy.
Comment s'étonner dans ces conditions que de nombreux organes de presse, même s'ils ne sont pas idéologiquement socialistes, n'osent aller trop loin dans leur critique de l'intervention étatique ? La presse ne peut mordre trop fortement la main qui la nourrit... Voilà pourquoi, vue de l'extérieur, notre presse paraît si complaisante et déférente vis à vis de nos élites.
Evoquons brièvement la culture. Depuis que Jack Lang occupa ce ministère, le budget alloué à la culture subventionnée a explosé. De surcroît, le régime d'indemnisation exceptionnellement avantageux du chômage des intermittents du spectacle, à peine retouché en 2004, dont le déficit a atteint 800 Millions d'Euros en 2003, soit un quart de celui de l'assurance chômage pour seulement 5% des bénéficiaires, a engendré une multiplication par 2.5 du nombre de vocations artistiques fonctionnarisées depuis sa mise en place.
Sachant que le but de l'artiste créateur n'est plus de plaire au public mais de plaire à l'énarque coopté par quelque organisation de gauche modérée ou extrême qui gère le guichet des subventions, et que celui de l'artiste salarié est de faire suffisamment d'heures pour avoir droit à une part du gâteau généreusement financé par les cotisations des salariés « ordinaires », faut il s'étonner de la tonalité majoritairement gauchisante de la création artistique et culturelle française de ces dernières années, de la défense acharnée de la défense de notre « exception culturelle » financée par le contribuable, et de la transformation de certaines soirées de remises de récompenses en tribunes ouvertes aux artistes contre la mondialisation et la culture anglo-saxonne, sous les applaudissements de salles acquises à ce type de discours ?
Toutes ces données culturelles expliquent pourquoi les idées de la gauche conservent une telle prééminence en France. Elles n'expliquent pas à elles seules pourquoi les libéraux n'ont pas été capable de répondre à ce défi. Ce contexte culturel défavorable à nos idées a été conforté par un second phénomène plus politique, celui de la création d'une nomenklatura bien française, que l'on peut qualifier d'énarchie, digne succession de la monarchie.
L'Enarchie
L'Ena fut créée immédiatement après la guerre pour fournir à l'administration une cohorte de hauts fonctionnaires d'élite destinés à gérer la reconstruction d'après guerre. Notamment, le corps de l'inspection des finances, créé par Napoléon, trouva dans l'ENA son principal vivier de recrutement. L'après guerre marque une période faste pour l'expansion des pouvoirs de cette nouvelle caste. Non qu'il y eut complot ou volonté délibérée qu'il en soit ainsi. Mais simplement, la sociologie des bureaucraties auxquelles trop de pouvoirs ont été octroyés, illustrée brillamment par la théorie du « choix public » développée par le prix Nobel d'économie 1986 James Buchanan, a trouvé ici une illustration de choix.
Après la guerre, l'inspection des finances fut chargée de coordonner l'utilisation des aides reçues au titre du plan Marshall. Elle recruta pour ce faire les meilleurs élèves de l'ENA, qui allaient petit à petit remplacer les anciens inspecteurs au profil moins monolithique. Les énarques furent également chargés d'animer des structures étatiques vouées à la reconstruction du pays, comme le commissariat au plan. Même les gaullistes, encore traumatisée par la guerre et la crise de 1929, dont les causes avaient été fort mal analysées et considérées bien à tort comme une faillite de l'économie libre , étaient persuadés que seul un état fort pouvait coordonner efficacement la reconstruction du pays. Plans quinquennaux (comme en URSS !), nationalisation de la prévoyance, villes nouvelles, contrôle des prix et des loyers, dépense publique, et... guerres coloniales sont les symboles de cette nouvelle économie encadrée qui fut celle des trente glorieuses. Et les énarques, aux premiers rangs desquels les plus favorisés d'entre eux, les inspecteurs des finances, furent les servants de cette reconstruction. Plus exactement, ils ont petit a petit constitué le groupe majoritaire d'un duopole partageant l'essentiel du pouvoir administratif avec une autre branche de l'aristocratie publique, issue quant à elle de l'école polytechnique.
Lorsque ces jeunes loups arrivèrent à l'âge de remplacer leurs maîtres issus de l'avant guerre, nul étonnement qu'ils furent inclinés vers des politiques interventionnistes, et que ceux d'entre eux qui diffusèrent leurs écrits aient en majorité diffusé une pensée politique faisant la part belle au rôle de l'état.
Même si les énarques sont loin de porter une école de pensée unique interventionniste (on trouve plus encore aujourd'hui qu'hier quelques énarques libéraux), ils ont en revanche développé un sens corporatiste extrêmement fort. Peu importe leur opinion, la fratrie aide ses membres à grimper dans la hiérarchie de ses obédiences, de l'inspection des finances au conseil d'état, de la cour des comptes aux préfectures, de la diplomatie au trésor public.
Et si d'aventure l'exercice du service public ennuyait ces gens si talentueux, un statut sur mesure leur permettait d'aller goûter aux joies de la politique et des affaires à des conditions extrêmement avantageuses, puisqu'en cas d'échec, ces super-fonctionnaires pouvaient à tout moment réintégrer leur corps d'origine avec préservation de leur avancement automatique. Ces avantages sont d'ailleurs en grande partie accessibles aux autres fonctionnaires, mais nulle caste n'en a mieux profité que les énarques, aux premiers rangs desquels les aristocrates de cette nouvelle noblesse, les inspecteurs des finances.
Compte tenu des liens profonds tissés entre l'état et l'économie, de nombreuses grandes sociétés françaises ont estimé utile d'embaucher à des postes à haute responsabilité, y compris comme PDG, des inspecteurs des finances, car les relations que ceux ci conservaient à l'intérieur de l'administration ne pouvaient qu'être utiles. L'énarchie à ainsi promu une classe de PDG sélectionnés plus pour leur carnet d'adresse que pour leurs vraies aptitudes managériales. Pour quelques réussites, combien de milliards, parfois renfloués par les contribuables, ont-ils été engloutis dans les naufrages du Crédit Lyonnais, d'Alstom, de Pallas Stern, de Vivendi Universal ou de France Télécom ? Ces entreprises naguère solides ont été coulées par des dirigeants plus préparés à rechercher des avantages non-compétitifs ou des rentes de situation qu'à affronter l'âpreté de la compétition mondiale.
Rechercher des avantages particuliers auprès du ministère des finances fut de tout temps le domaine d'excellence de ces nouveaux aristocrates. Ghislaine Ottenheimer nous apprend ainsi dans son ouvrage remarquablement documenté sur l'inspection des finances que même la faillite de Vivendi, groupe pourtant privé, aura coûté près de deux milliards d'Euros au contribuable sous forme d'une remise fiscale accordée par Bercy à l'entreprise dirigée alors par JM Messier, au seul motif qu'entre confrères, il faut bien s'entraider.
Pas étonnant que cette classe de « capitalistes publics » n'ait pas été exagérément portée vers les idées libérales. Les chercheurs de rente aiment les stocks options, mais ne goûtent guère aux lois sur la transparence financière et le respect des droits des petits porteurs, ils louent la flexibilité du marché du travail mais se réservent des sorties de secours au sein de mère fonction publique, ils défendent la baisse des impôts mais ne crachent pas sur une bonne petite subvention ou remise fiscale.
Tous les énarques ne méritent pas l'opprobre, certains sont remarquables et nombreux sont ceux qui dénoncent les dérives de la nomenklatura énarchique. De même, les comportements irresponsables ne sont pas l'apanage des PDG énarques. Mais la promiscuité d'énarques à la tête des entreprises du CAC 40 et des principales directions des services publics créée une confusion d'intérêts malsaine qui ne conduit pas nos entreprises et les lois qui encadrent leurs activités dans la bonne direction.
Tous les énarques ne peuvent espérer devenir top managers des grands groupes. Aussi sont ils encore plus nombreux à avoir choisi une voie d'épanouissement plus sexy que les bureaux sombres des ministères : la politique. Jacques Chirac, Dominique de Villepin, et avant eux MM. Juppé, Giscard d'Estaing, Rocard, Fabius sont les exemples les plus représentatifs de la réussite de la nomenklatura énarchique en tant que classe politique dominante.
Pour augmenter leurs opportunités de réaliser de belles carrières, les énarques ont instauré, pas à pas, des lois qui sécurisent leur parcours politique, et qui là aussi bénéficient aux autres fonctionnaires. Bien sûr, comme pour ceux qui partent en entreprise, le retour dans l'administration, avec carrière reconstituée, leur est garanti pour le cas où un caprice des électeurs les renverrait dans vos foyers. Voilà qui explique que plus de la moitié de nos députés soient issus des rangs de la fonction publique, et pourquoi les énarques sont si nombreux au sommet de cette hiérarchie.
Deuxièmement, ils peuvent cumuler deux mandats électifs, (et encore cette réduction à deux du nombre maximal de mandats est elle récente), et les lois successives qu'ils se sont auto rédigées leurs garantissent qu'ils ne manqueront non seulement pas de fauteuils électifs à occuper, mais que des postes non électifs leurs seront de surcroît ouverts. Maires, Conseillers généraux, régionaux, députés, sénateurs, mais aussi présidents d'intercommunalités, de syndicats d'adduction divers et variés, de sociétés d'économies mixtes, de sociétés d'HLM, observatoires, conseils consulaires, et autres machins fertilisés à l'argent public toujours plus nombreux garantissent cumuls de salaires, de jetons de présence, d'avantages en nature qui permettent aux plus hauts gradés de la fratrie de jouir de trains de vie inaccessibles au commun des mortels.
Tout comme Mikhail Voslenski ou Milan Djilas l'avaient constaté pour les nomenklaturas des pays de l'est, l'énarchie et ses suiveurs s'est mutée en classe exploiteuse de la richesse Française, prête à tout pour accumuler de nouveaux avantages et surtout pour les conserver, malgré les protestations encore timides mais tout de même croissantes de l'opinion et de la société civile. Il y a toujours un parachute doré qui attend un politicien déchu.
Pourrait on imaginer, dans un autre pays, un politicien de haut rang perdant deux fois la course à la présidence qui ne disparaîtrait pas de la vie politique ? Jacques Chirac et François Mitterrand ont pourtant réussi cette gageure, parce qu'ils ont toujours bénéficié de confortables sinécures pour continuer à mener à grand tain leur vie politique après leurs défaites initiales.
Peut on alors s'étonner que ces politiciens ne soient guère portés à aimer le libéralisme politique et ce qu'il suppose en terme de compétition et de transparence des mœurs financières ? Et quand bien même certains d'entre eux seraient portés à regarder nos idées avec bienveillance, faut il s'étonner que leurs entourages d'énarques les poussent à modérer leurs ardeurs ? faut il s'étonner que des membres de démocratie libérale, tels que Jean Pierre Raffarin, une fois parvenus au gouvernement, se soient faits les défenseurs acharnés de l'action publique et des vieilles recettes éculées du keynesianisme ? Voilà pourquoi il est particulièrement difficile de concevoir de vraies réformes libérales en France.
L'accommodation aux extrêmes
Nous avons vu que le centralisme des institutions françaises a permis une pénétration forte de certains groupes militants parfois extrémistes dans des lieux où leur action peut se révéler fort efficace, et qu'une nomenklatura tirant profit de l'interventionnisme d'état a établi des positions très solides pour accaparer toujours plus de privilèges. Cette nomenklatura a trouvé, historiquement, un intérêt à composer avec les forces de gauche, y compris extrêmes, pour établir des lignes de défenses contre tout courant réformateur.
Historiquement, Charles de Gaulle, lors de son retour au pouvoir en 1958, n'a pas cherché à remettre en cause les résultats des opérations d'infiltration réussies par les communistes au sein de la fonction publique. Sans doute sa politique étrangère visant à améliorer les relations de la France avec l'Union Soviétique l'a-t-elle conduit à ne pas rechercher de conflit trop marqué avec le PCF. Mais sans doute y avait-il aussi de sa part un calcul politique. De Gaulle considérait que tant que le PCF resterait la première composante de la gauche Française, celle ci n'aurait aucune chance d'occuper le pouvoir . L'ascension du PS survenue après sa mort, sous l'impulsion de François Mitterrand, a montré a posteriori combien cette analyse était pertinente. La droite conservatrice menée par l'UDR (ancêtre du RPR puis de l'UMP) a ainsi pu engranger succès électoral sur succès électoral, les victoires écrasantes de juin 68 et de Georges Pompidou en 1969 constituant l'apogée de la réussite de cette stratégie d'accommodation avec la frange la plus extrémiste de l'opposition.
Giscard, premier président énarque et pur représentant des intérêts de la nouvelle oligarchie, poursuivra dans cette voie un peu par stratégie, beaucoup par faiblesse, en étant le premier président à tolérer sans réaction significative des grèves paralysantes, voire des séquestrations de dirigeants d'entreprise, qu'elles soient le fait de pêcheurs, d'agriculteurs, ou d'autres corporations. Sans doute espérait-il que l'électorat flottant, effrayé par la perspective de voir arriver au pouvoir des personnes se livrant à de telles exactions, apporte ses voix à une droite paternaliste et négociatrice au côté rassurant. Stratégie perdante: après avoir frôlé la correctionnelle en 1978, il sera balayé par la vague rose de 1981.
François Mitterrand reprendra à son compte la politique d'accommodation avec la frange extrémiste de son opposition politique, favorisant l'ascension de Jean Marie Le Pen, électoralement inexistant avant 1981, ce qui lui permettra d'affaiblir suffisamment la droite « historique » pour remporter un deuxième mandat en 1988. Jacques Chirac tente de perpétuer cette tradition « accommodante » en exonérant un José Bové de ses délits relevant du droit commun, en accordant de généreux subsides du contribuables à des associations telles qu'ATTAC, ou en mobilisant ses amis politiques pour sauver « l'huma » d'une faillite retentissante, espérant ainsi de priver le PS des voix nécessaires pour vaincre l'UMP en 2007.
Cet effacement du débat d'idées au profit de compromis « Münichois » permanents ont eu pour effet de consolider le pouvoir des grands partis fortement investis par la nomenkaltura issue de la fonction publique et de l'ENA.
Mais elle a eu pour effet secondaire d'instaurer un consensus mou entre droite et gauche de gouvernement sur la marche des affaires publiques. Il est bien difficile aujourd'hui de distinguer des différences profondes entre les modes d'action du PS et ceux de l'UMP lorsqu'ils occupent le pouvoir. Dans tous les cas, l'intervention publique assise sur un prélèvement massif d'argent dans les poches des contribuables est à la base de leur action, les dépenses se perpétuent d'une législature à l'autre, avec quelques différences marginales reflétant surtout la différence des clientèles politiques dont chaque parti tire son noyau dur électoral.
L'étouffement de la société civile
Pour cette oligarchie, l'éclosion d'un consensus libéral large au sein de la population serait catastrophique. Réduction de la sphère d'intervention publique et implosion corollaire du nombre de fauteuils présidentiels et directoriaux, séparation nette du politique et des affaires, magnification de la concurrence et de la progression aux résultats, y compris au sein de la fonction publique, ces fondamentaux de la doctrine libérale ne peuvent en aucun cas séduire une noblesse d'état « accro » aux privilégiatures financées par le contribuable. Il convient donc d'instaurer des mécanismes de défense contre les idées libérales, perçues tant par la droite « conservatrice » que par la gauche comme le principal danger non pour le pays, mais pour la « république des copains ».
Le premier niveau de défense est la mise en place d'un écheveau inextricable d'avantages, de subventions, d'aides et de règlements protecteurs donnant l'illusion à presque tous les français qu'ils sont bénéficiaires nets du système. L'énarchie a véritablement réussi à transformer l'état français en cette grande fiction selon laquelle tout le monde croit vivre aux dépens de tout le monde chère à Frédéric Bastiat. Et voilà pourquoi il est si difficile de remettre en cause ce système si faussement généreux.
L'on pourra rétorquer que la France n'est pas le seul pays où les démagogues sont tentés d'arroser leur clientèle de généreux subsides.
Mais la technocratie a soigneusement veillé à ce que les contre pouvoirs à cette démagogie soient de pure forme. Il n'y a à ce jour pas de contrôle parlementaire réel de la qualité des dépenses publics. Pas de National Audit Office à l'anglaise ou à la suédoise chez nous. De plus, jusqu'au présent exercice, le budget préparé par les technocrates et voté par le parlement était présenté de telle manière que ces derniers ne pouvaient guère en comprendre la substance, et ne leur laissait guère de marge de manœuvre. Et il aura fallu 5 ans entre le vote en 2001 de la loi clarifiant la présentation budgétaire (la LOLF) devenue inévitable pour cause de finances publiques en déroute, et son entrée en vigueur effective pour le prochain exercice budgétaire, ce qui montre bien à quel niveau de résistance à la réforme notre classe politico-administrative est parvenue.
Mais cela ne suffit pas. Il ne faudrait pas que de la société civile puisse émerger des courants libéraux forts. Aussi des lois visant à limiter la capacité de la société civile de trouver ses propres financements hors de la tutelle de l'état ont été promulguées.
La France compte étonnamment peu de laboratoires d'idées privés, ces « think tanks » qui ont tant fait pour enrichir le débat d'idées dans les pays anglo-saxons ou aujourd'hui dans les anciens pays de l'est. Il faut dire que les possibilité de financements privés individuels sont limités d'une part par le niveau des prélèvements obligatoires sur les ménages français, ce qui limite leur capacité de soutien d'organisations non gouvernementales, et que d'autre part les financements directs d'entreprise, legs et donations importantes vers des fondations privées ne sont possibles dans des conditions fiscalements correctes (exonération de droits de donation, déductibilité importante des comptes pour les entreprises comme pour les particuliers) que si ces fondations sont reconnues d'utilité publique, ce qui suppose le respect d'un cahier des charges fixé par l'état dans lequel les think tanks ne trouvent guère de place, ou placées sous l'égide de la fondation de France, un organisme de droit privé largement encadré par l'état français et n'accepte de parrainer - contre rétribution- des fondations qu'au compte goutte, et selon des critères très orientés vers l'action « sociale ».
Pis encore, au motif parfaitement fallacieux de combattre la corruption endémique qui a fait les choux gras de la presse à scandales dans les années 90, des lois instaurant un financement essentiellement public des partis politiques ont été instaurées, subsides inaccessibles aux partis n'atteignant pas 5% des suffrages. Démocratie Libérale fut la principale victime de ce système en 2002, d'autres partis connaîtront certainement de graves difficultés en 2007. Cette loi prépare l'éviction progressive des petits partis de la vie politique et sa tripolarisation entre le PS, l'UMP, et peut être le Front National. Difficile pour les libéraux de trouver leur place au sein de cette troïka étatiste...
Malgré tous ces obstacles, une résurgence de l'idée libérale ainsi qu'une remise en cause des pouvoirs de l'énarchie sont observées en France. En effet, il devient de plus en plus difficile de masquer l'échec manifeste d'une classe politique vieillissante arc-boutée sur ses vieilles recettes, et de cacher les réussites libérales hors de nos frontières.
Fort heureusement pour notre élite, le volet répressif des institutions françaises, unique au sein des grands pays considérés comme démocratiques, vient à son secours.
Certes, la France doit préserver au plan international une image parfaitement usurpée de pays des droits de l'homme. Il convient donc de préserver certaines apparences. Mais quiconque représentera un danger trop important pour le pouvoir en place risquera gros. Les pouvoirs politiques successifs ont mis en place un système de « répression douce » dont ils n'hésitent pas à se servir .
On se souvient des chausses trappes posées sous les pas du commissaire Antoine Gaudino et du regretté juge Thierry Jean Pierre lorsqu'ils eurent à enquêter sur les turpitudes financières du PS. On sait moins que lorsqu'un journaliste découvre des faits mettant en doute la déontologie ou l'honnêteté de tel ou tel édile, son éditeur risque la censure ou la faillite sous divers motifs.
La XVIIème chambre correctionnelle du tribunal de Paris a pour mission de veiller à ce que tout écrit de telle nature puisse être interdit avant sa parution, ou entraîner de telles pénalités financières contre celui qui aura publié l'écrit coupable que celui ci y réfléchira à deux fois.
Cette censure légale s'appuie sur des lois votées sur mesure par la classe politique offrant une définition particulièrement vague et extensive de la protection de la vie privée. Ainsi, si un président de la république a une maîtresse, cela relève de sa vie privée, tout le monde pourra l'admettre. Mais si cette maîtresse est logée à grands frais par le contribuable, le bon sens suggère que le fait en question quitte la sphère privée et puisse faire l'objet de publication.
Pas en France, ou la commission de faits, même délictueux, dans l'exercice même partiel de la vie privée, est couverte par ces lois de protection. Le fait de révéler des faits exacts et compromettants pourra entraîner versement de réparations à l'auteur des faits à ce motif, ou à celui qu'il y aurait « volonté de nuire » de la part de celui qui publie l'information. De quoi rendre un éditeur prudent !
Il y a de fait une sorte d'auto censure pratiquée par les éditeurs et les organes de presse. Les directeurs de publication sont sans arrêt tiraillés entre la perspective de profit émanant de révélations sensationnelles, et les risques financiers si un procès intenté par les personnes « diffamées » tourne mal .
Si cela ne suffit pas, d'autres moyens tout aussi peu dignes d'une démocratie moderne peuvent être (et ont effectivement été) utilisés contre des journalistes ou des auteurs trop dérangeants. Le contrôle fiscal est une arme bien connue des politiciens. En France, il pour caractéristiques de pouvoir être déclenché hors de tout contrôle judiciaire et d'imposer un renversement a priori de la charge de la preuve, l'accusé devant prouver a priori qu'il est innocent des charges retenues contre lui par l'administration fiscale. Certes, le citoyen dans son bon droit pourra peut être après des années de procédures se voir rétabli dans ces droits, mais il faut une force peu commune pour résister à la pression d'un tel mastodonte administratif.
Mais il y a pire. La France compte une police politique fondée sous Vichy et qu'aucun gouvernement d'après guerre n'a cru bon de juger indigne d'une démocratie respectueuse des droits individuels. Les renseignements généraux, puisque c'est d'eux qu'il s'agit, sont souvent utilisés bien au delà des missions normales d'une police pour enquêter hors de toute procédure judiciaire sur des citoyens ordinaires. Récemment, ce sont les activistes de l'association libérale « liberté chérie » qui ont été soumis à l'attention spéciale des renseignements généraux lors d'une manifestation du 8 mai 2005, sous forme de consignes d'arrestation préventive !
Lorsque ces faits avérés sont présentés à des auditoires étrangers, l'incrédulité est en général de mise. L'image de la France, pays des lumières et des droits de l'homme, patrie de Voltaire, Tocqueville et Montesquieu, a encore la vie dure. Mais le fait est que la France est certainement aujourd'hui l'une des démocraties où les droits fondamentaux de l'individu, au sens de 1789, sont les moins bien respectés. Nous sommes, heureusement, encore loin d'être une Union Soviétique qui aurait réussi, comme aiment à le dire certains qui n'ont sans doute jamais mis les pieds en Russie, mais si nous ne réagissons pas, notre état providence et ses gardiens nous mèneront sans crier gare au bout de la route de la servitude décrite par Hayek.
Des raisons d'espérer ?
Fort heureusement, le socle démocratique de nos institutions résiste tant bien que mal à ces assauts contre nos libertés. Les critiques contre ce système se font de plus en plus pressantes, pas un mois ne s'écoule sans que ne soient publiés des ouvrages dénonçant ces travers. Depuis le vote négatif contre la constitution, pas une journée sans que des éditorialistes ou des politiques remettent en cause leurs certitudes étatistes et ne s'interrogent sur les réussites libérales hors de nos frontières, de la Grande Bretagne à l'Islande en passant par l'Australie et la Nouvelle Zélande.
Un ministre des finances (vite remis au pas par son premier ministre) ose parler du vrai niveau d'endettement de l'état. Un élu socialiste de poids lance une motion au congrès du PS pour défendre le « socialisme de Tony Blair ». Un présidentiable lance dans la presse un hommage discret mais remarqué à l'action de Margareth Thatcher. Un groupe de députés réformateurs libéraux dont les effectifs ont triplé en deux ans. Pas de quoi crier victoire, surtout lorsque dans le même temps, le président de la république multiplie les attaques grandiloquentes contre toute évolution (pardon, « dérive ») plus libérale de l'Union Européenne, au point de menacer la survie de l'Organisation Mondiale du Commerce pour défendre les subventions versées à quelques grands électeurs. Mais voilà quelques signes intérieurs encourageants : afficher son adhésion aux idées libérales ne semble plus tabou et ne vous marque plus du sceau de l'infamie.
La pression extérieure pourrait nous obliger à entamer des réformes libérales d'envergure plus vite que ne le voudraient certains. Certains organismes de cotation, devant l'énormité de nos engagements peu ou pas provisionnés, l'envergure de nos déficits et notre incapacité à les résorber, envisagent ouvertement de dégrader la dette de quelques grandes nations européennes. Cela pousserait les taux auxquels l'état Français emprunte à la hausse, ce qui aurait des conséquences dramatiques sur nos finances, puisque le seul produit de l'impôt sur le revenu suffit à peine à payer les intérêts de nos 1100 milliards d'Euros de dettes. Risquons nous de connaître une crise telle que la Suède l'a connue en 1992-1993, ou saurons nous l'éviter à temps ? Et saurons nous réagir avec le même pragmatisme que ces derniers, qui, pour sortir de la crise, on abattu des pans entiers de leur état providence ?
Mais de tels progrès, purement hypothétiques en l'état actuel de la société Française, ne pourront s'accomplir durablement si des évolutions profondes de la société ne permettent pas aux idées libérales de trouver leur espace d'expression.
Entendons nous bien, il n'est pas question, a l'instar des disciples d'Antonio Gramsci, de vouloir remplacer une hégémonie intellectuelle par une autre. Nous pensons simplement qu'il est bon de créer un cadre plus propice à la compétition des idées, compétition dans laquelle les thèses que nous défendons auront toutes les chances de séduire, parce que malgré le handicap marketing Schumpeterien décrit précédemment, elles s'imposent à la raison dès que l'on se donne la peine d'analyser les phénomènes économiques et sociologiques en profondeur, et de mettre en regard de ce qui se voit, ce qui ne se voit pas.
Il faut petit à petit faire tomber tous les obstacles au pluralisme décrits au long de cet article. Il faut en finir avec l'unicité des programmes scolaires et de l'éducation nationale, en remplaçant le financement direct de l'école publique par un chèque éducation versé aux familles, libres d'inscrire leurs enfants dans un réseau d'écoles concurrentes.
Il faut en finir avec toute forme d'aide à la Presse pour que celle ci ne se sente pas obligée de retenir sa plume contre les très grandes fautes et turpitudes de nos dirigeants. Il faut en finir avec les lois confondant protection de la vie privée et inerdiction du droit à l'information sur les dérives des individus dans le cadre de leurs mandats publics, il faut restaurer une pleine et entière liberté d'enquêter et de restituer les résultats de ces enquêtes pour la presse, les sociétés d'édition, ou toute autre personne qui agirait sous sa responsabilité personnelle. Il faut en finir avec l'usage de moyens de pression dignes de régimes autoritaires pour réduire au silence ceux qui exercent trop bien ces métiers d'investigation.
Il faut rendre aux artistes leur dignité et leur liberté en faisant de la rencontre du public la condition de leur succès, supprimer toute forme d'aide publique à la création culturelle.
Il faut abolir le duopole de l'école polytechnique et surtout de l'ENA sur la haute administration, recruter les dirigeants publics dans la société civile et sous statut de droit privé, les rémunérer en fonction de leur résultats, ce qui supposera de réduire le nombre pharamineux de fauteuils dirigeants actuels, donc d'organismes publics. Il faut forcer ceux qui préfèreront les affaires ou la politique au service public à démissionner, instaurer des lignes de partage claires entre ces mondes dont l'acoquinement est toujours porteur de dérives financières et démocratiques. Il faut en finir avec la « sécurité de l'emploi » des hauts politiques en interdisant tout cumul de mandats et tout scrutin de liste qui assure aux politiciens professionnels des carrières lucratives même en cas d'échec.
Il faut profiter de la mise en œuvre salutaire d'une procédure budgétaire lisible pour aller jusqu'au bout de la démarche et transformer la cour des comptes en bras armé du parlement pour forcer les institutions publiques à améliorer leur productivité.
Il faut restaurer une société civile dynamique en libérant de toute tutelle publique le financement des partis politiques ou de fondations privées, et en permettant aux assemblées générales d'entreprises de décider librement d'aider des organisations non lucratives dont ils partagent les valeurs, il faut en finir avec ces lois limitant le droit du citoyen d'user de l'argent qu'il a gagné honnêtement à sa guise.
Enfin, nous autres libéraux, nous devons dénoncer les comportements anti-libéraux de certains grands acteurs du capitalisme avec autant de force que nous pourfendons l'incurie des syndicats ou des partis politiques étatistes. Nous devons tout faire pour que la recherche de rente de situation ou l'abus de position dominante des plus puissants ne puisse faire l'objet d'assimilation à la doctrine libérale, comme nos adversaires ont beau jeu de le faire actuellement.
C'est à ces conditions que la vie publique et le débat d'idées trouveront en France un nouveau souffle et que des voies de réforme authentiquement libérales de la société pourront rencontrer durablement les faveurs de l'opinion.
________________
Biblio
P. Cahuc et R. Zylberberg, « le chômage, fatalité ou nécessité », 2005.
Source : http://www.bls.gov/news.release/cewbd.t01.htm
Edition du 5 août 2005
www.cerclegramsci.org
Stéphane Courtois et al., « le livre noir du communisme »
Une étude publiée en 2005 par l'université de Berkeley, basée sur l'analyse exhaustive de 10 années de parutions dans la grande presse, a montré que le même biais gauchisant (pro-démocrate en l'occurrence) existait largement dans la presse américaine. Comme quoi nul n'est à l'abri.
Rapport des sénateurs Marini et Belot pour la commission des finances du sénat, 2003.
http://www.senat.fr/rap/l02-068-38/l02-068-38_mono.html
Il est aujourd'hui à peu près admis que c'est le vote de mesures ultra protectionnistes par le congrès américain qui a précipité la crise de 1929, et de nombreux économistes estiment que le « New Deal » de Roosevelt, loin de résoudre la crise, l'a au contraire prolongée.
Un panorama plus complet des désastres énarchiques est disponible dans l'ouvrage de Ghislaine Ottenheimer, « Les intouchables ».
idem
« La Nomenklatura: les privilégiés en URSS », 1980, Mikhaïl Voslensky, ed.Belfond.
Marc Lazar, « le communisme, une passion Française » - Ed.Perrin, 2002
expression empruntée à Gilles Gaetner, titre de son dernier ouvrage.
« La vendetta Française », Sophie Coignard et Alexandre Wickham,
« L'omerta Française » de Sophie Coignard et Alexandre Wickham analyse en détail les relations d'amour vache entre presse et monde politique.
VSD, 13 mai 2005