Des mois que j'attendais de découvrir l'autobiographie de Gyorgy (Georges) Cziffra (1921- 1994), le "virtuose au bracelet de cuir".
Eprouvé par une enfance dans les bidonvilles de Budapest - une santé précaire le contraint à rester allongé durant la prime enfance - la guerre et les travaux forcés, "le pianiste du siècle" se fait tôt remarquer par son don d'improvisation: ceux qui l'approchent voient en lui la réincarnation de Franz Liszt.
Après la guerre, il nourrit sa famille par des prestations remarquées dans les boîtes de nuit de Budapest. Tentant de franchir la frontière hongroise avec son épouse et son fils, il est arrêté, la famille, séparée pour trois ans qui le verront croupir dans les geôles de la police politique et condamner à porter des blocs de pierre.
Débarqué - enfin - en France en 1956, il est naturalisé français douze ans plus tard. Le public lui adresse un accueil chaleureux, célébrant son génie et sa fabuleuse interprétation des Rhapsodies hongroises. Le bonheur que connaît l'artiste est décuplé par la collaboration avec son fils, prénommé de même - c'est lui qui traduira en français, l'autobiographie rédigée dans un style finement ciselé - chef d'orchestre à ses côtés. Un bonheur que Georges Cziffra concrétise dans une Fondation éponyme (1974) destinée à faire sortir de l'ombre les talents anonymes. Sur les conseils d'André Malraux, il acquiert les ruines de l'église Saint-Frambourg, à Senlis, et la restaure à coups de cachets personnels, de subventions et d'un enthousiasme passionné:
"A tous les jeunes interprètes qui feront l'étape musicale de Senlis et contribueront à cette aventure de restauration de la chapelle royale toute sa raison d'être, je voudrais communiquer les vibrations de ce fil invisible et organique qui relie l'Académie Franz-Liszt de Budapest à ce nouvel auditorium créé sous le même signe en terre française."
La rédaction des Canons et des fleurs s'achève en 1977, époque de pleine résurrection artistique de Cziffra. La vie le malmènera à nouveau par la suite: il ne se remettra pas du décès accidentel, en 1981, de son fils et partenaire, Gyorgy Cziffra Jr. Une brouille s'installe avec une partie de son public qui le taxe de "saltimbanque" de même qu'une dépression, inexorable. Il s'éteint en janvier 1994, rejoignant le silence tant convoité.
Un généreux génie écorché de la vie.
Apolline Elter
Des canons et des fleurs, Cziffra, Fondation Cziffra 1978 (Robert Laffont 1994), 194 pp
A écouter: Les Introuvables de Cziffra - coffrets de 8 CD (Emi Classics, 1991 - 75 €
Fondation Cziffra: http://fondation.cziffra.pagesperso-orange.fr/