De son côté, Eric Woerth devait se défendre d'une nouvelle accusation, une intervention fiscale au profit de la succession du sculpteur Cesar. Ses proches collaborateurs font enfin les frais de la curiosité médiatique. D'un cadeau fiscal à un conflit d'intérêt, il n'y a qu'un pas, que la Sarkofrance nous rappelle chaque semaine.
Du paquet fiscal...
Peu à peu, la mesure phare de Nicolas Sarkozy est détricotée. En août 2007, la loi TEPA était adoptée dans l'urgence. Elle mêlait la défiscalisation partielle des heures supplémentaires (traduction du fameux travailler plus pour gagner plus), des intérêts d'emprunts immobilier (la France propriétaire), des investissements ISF dans les PME, de nouvelles exonérations de droits de succession pour les plus riches, le bouclier fiscal. A l'époque, on craignait qu'elle ne coûte 15 milliards d'euros au budget de l'Etat, pour l'essentiel à cause des heures supplémentaires. En fait, son coût est plus proche de la moitié.
Mardi, Christine Lagarde a annoncé dans une interview aux Echos que la défiscalisation des intérêts d'emprunt immobilier serait prochainement supprimée. Elle coûte cher (1,6 milliards d'euros en 2010, mais 2,6 milliards d'euros prévus en 2013), et n'a pas stimulé l'accession à la propriété: seules les classes aisées en profitent véritablement, sans qu'elles aient vraiment besoin de ce type de mesure pour décider d'acheter leur résidence. Le gouvernement a simplement oublié que la France souffre d'abord d'une pénurie de logements, d'où des prix élevés, même pendant la crise de 2008-2009. Défiscaliser le coût de l'emprunt ne change rien.
Mme Lagarde a avancé qu'un nouveau dispositif, un unique prêt à taux zéro, le remplacerait, pour un coût estimé à 2,6 milliards d'euros tout de même : en d'autres termes, le gouvernement cherche moins à faire des économies sur ce type d'aide fiscale qu'à supprimer une mesure complètement inefficace: «le dispositif a montré son coût, mais pas son efficacité.» a confirmé Mme Lagarde. L'actuel prêt à taux zéro sera renforcé. Mais le gouvernement Sarkozy n'abandonne pas son coeur de cible électoral : «le nouveau prêt à taux zéro sera universel, c'est-à-dire sans condition de ressource, mais il sera réservé aux primo-accédants.» explique Christine Lagarde. Pourquoi les ménages fortunés auraient-ils besoin d'un prêt à taux zéro pour s'acheter leur résidence principale ? Pour faire bonne figure, Lagarde précise: «L'aide sera concentrée en fonction de trois critères : elle sera accentuée pour les faibles revenus, les zones géographiques d'habitation en forte tension (zone A) et les achats dans le neuf. Sans exclure pour autant les ventes dans l'ancien et les zones B et C. De même, nous allons cibler les faibles revenus, mais aussi les classes moyennes, trop souvent exclues.»
Dans son entretien aux Echos, la ministre justifie également deux récentes nominations: rattaché à la ministre de l'Economie, un nouveau Commissaire Général aux Participations de l'Etat devra gérer le portefeuille de participations publiques dans le secteur privé, en prenant en compte l'emploi, le respect des sous-traitants, la parité homme/femme et les objectifs de politique industrielle. Ce n'est que de l'affichage. Quand l'Etat est actionnaire marginal, sa voix au sein du conseil d'administration est marginale. Sarkozy joue à Colbert.
Par ailleurs, le Fond Stratégique d'Investissement change de patron: Jean-Yves Gilet a été nommé cette semaine. Il dirigeait la branche Acier inoxydable d'Arcelor-Mittal, membre du comité de direction du groupe depuis avril 2008. Il présidait également une association sobrement intitulée Entreprises pour l'Environnement qui lui a valu d'être porté au grade de Chevalier de la Légion d'Honneur dans la fournée du 14 juillet dernier.
Il remplace Gilles Michel, qui part chez Imérys, une société intéressante à plus d'un titre...
... aux amis fiscaux
Le 12 juillet dernier, la lecture du rapport du patron de l'Inspection Générale des Finances, lui-même nommé par Eric Woerth à son poste en 2008, sur l'éventuelle intervention de son ministre dans le traitement de la situation fiscale de Liliane Bettencourt avait livré au moins une information intéressante : une cellule fiscale existait au sein même du cabinet du ministre. Elle existait avant l'arrivée d'Eric Woerth au ministère du Budget, mais, en deux années de fonction du trésorier de l'UMP, elle avait vu passé 6 247 dossiers fiscaux. Une jolie performance (environ dix dossiers par jour !), alors qu'Eric Woerth, dans sa défense sur l'affaire Bettencourt, expliquait que le ministre qu'il était n'était jamais tenu au cours des dossiers individuels.
Grâce au quotidien Libération, l'un de ses 6 247 dossiers est plus précisément connu: la succession du sculpteur Cesar, décédé en 1998. D'après le journal, Eric Woerth est directement intervenu pour effacer 27 millions d'euros d'impôts ainsi que toute pénalité de mauvaise foi que la succession de Cesar aurait dû acquitter. Il traitait avec l'exécuteur testamentaire du sculpteur, Alain-Dominique Perrin, président de la Fondation Cartier pour l'art contemporain, et ... donateur de l'UMP. Libération a publié une lettre datée du 24 avril 2008, signée par le ministre, dans lequel il détaille l'ensemble des abandons fiscaux qu'il accorde. Le jour même, les services d'Eric Woerth ont démenti toute intervention personnelle du ministre qui n'aurait fait que suivre les «recommandations de l'administration fiscale.» Libération a maintenu ses informations.
Certains s'interrogent aussi sur l'entourage proche d'Eric Woerth à son ministère.
1. Sébastien Proto, qui a suivi Woerth du Budget au Travail, est un ami proche d'Antoine Arnault (dont le beau-père est ... Patrice de Maistre). Nous évoquions son cas il y a deux jours. Cet été, le jeune collaborateur d'Eric Woerth devait passer quelques deux semaines de vacances en Corse, dans la villa et sur le yacht (immatriculé en France ? Non... ) de son ami Antoine, comme l'année dernière. Que le plus proche collaborateur d'Eric Woerth ait maintenu ses contacts personnels avec le beau-fils de Patrice de Maistre, en pleine affaire Bettencourt, ne choque visiblement personne en Sarkofrance.
2. Un autre proche collaborateur d'Eric Woerth, du Budget au Travail, suscite à son tour quelques questions: Eric de Sérigny. Au sein du cabinet du ministre, il est en charge des «relations avec le monde économique». D'après le Canard Enchaîné du 30 juin dernier, il «s'occupe de mettre en relation les industriels avec le ministre.» Son rôle, attesté par une carte de visite à l'effigie de la République, n'a jamais été officialisé. Dans le privé, il est gestionnaire de fortune, chez Athema, et également administrateur de la société Imérys, «leader mondial des minéraux industriels» (3,4 milliards d'euros de chiffre d'affaires), majoritairement détenue par l'homme d'affaires Albert Frère.
3. Le directeur général adjoint d'Imérys est Jérôme Pécresse, le mari de Valérie, ministre de l'Enseignement Supérieur. Imérys vient aussi de recruter Gilles Michel, l'ancien directeur du Fond Stratégique d'Investissement (FSI) tout juste remplacé (cf. ci-dessus). Le FSI vient de seconder la Compagnie Nationale à Portefeuille (CNP), holding d'Albert Frère, pour entrer au capital de l'armateur CMA-CGM, en dépôt de bilan. Un petit actionnaire de la CNP ne voit pas l'intérêt de cet altruisme de la CNP...
4. Au conseil d'administration d'Imérys, Eric de Sérigny côtoie aussi Robert Peugeot. On soupçonne Eric Woerth d'avoir favorisé Robert Peugeot, qui aurait sous-estimé la valeur de ses biens dans ses déclarations fiscales. Le 5 décembre 2009, il dînait avec Eric Woerth, alors ministre du Budget, le lendemain d'un cambriolage qui l'avait vu perdre pour 500 000 euros de lingots d'or, une valeur ramenée à 150 000 euros pour éviter tout redressement fiscal, d'après le Journal du Dimanche du 27 juin dernier.
5. Eric de Sérigny est aussi un ami de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, et l'un des fondateurs du Premier Cercle des donateurs de l'UMP.
6. Jean-Marie Pontaut et Pascal Ceaux expliquaient, dans l'Express, que cet homme «a aussi contribué à la création d'un club sélect, le W 19 (W pour Woerth et 19 pour le nombre de ses membres). Le but de ce réseau bon chic bon genre est d'appuyer la carrière politique du maire UMP de Chantilly (Oise).»
Où s'arrêtera-t-on ?
A l'Elysée.