Si je passe plus d’un mois d’attentepar an dans les gares et les aéroports, j’habite des chambres d’hôtels pour un total de plusieurs mois par an. Ce sont là aussi des espaces intermédiaires dont je dois gagner la familiarité après une seule nuit. J’ai en effet acquis l’habitude d’installer une atmosphère personnelle en peu de temps et d’inscrire un parcours spatial à mes mesures en quelques minutes. Si je reste deux ou trois journées ; j’y trouve alors une demeure temporaire.
Je ne parle même pas des hôtels de chaînes, comme les Ibis où je pourrais me déplacer les yeux fermés après avoir ouvert la porte de la chambre. Je n’y perçois très vite qu’une variation sur thème.
Cette fin juin à Bruxelles il faisait très chaud. La première canicule de l’année règnait dans cette partie de l’Europe souvent un peu humide. La tenue des Bruxellois s’en ressentait. Plutôt madrilènes que belges, ils oscillaient dans des jupes blanches et des pantalons de lin. Trop chaude et trop polluée, la ville fondait lentement dans une vague attente de vacances !
Une plage secrète s’était ainsi installée au pied des bureaux des Communautés et des représentations des régions d’Europe auprès des Institutions. Une plage sous les pavés. Bruxelles est en effet sableuse, même sur ses collines ; et je n’ai pas quitté le quartier européen et les rues de Saint Gilles perchées non loin du Palais royal. Je ne suis pas descendu, sinon vers la Gare du Luxembourg.
Ce quartier constitue une sorte de coulisse de théâtre qui permet de s’intégrer à Ixelles, avant de rejoindre le luxe de l’avenue Louise et de faire le tour par les boulevards, depuis la Porte Louise en revenant vers la Porte de Namur. Nous étions à la veille de la prise de présidence belge du Conseil de l’Union Européenne et les rues se paraient d’un nouveau capital de destinations possibles. Doublement capitale européenne, donc, pour six mois ! Un fantôme de ville, dans un pays sans gouvernement, offrant l’image en creux de vingt-sept capitales.
Je reste un peu interloqué devant une installation le long du boulevard de la Toison d’Or. « Nuestros Silencios » Les sculptures pacifiques de Rivelino rappellent les rapports d’amitié entre le Mexique et l’Europe.. L’auteur veut proposer une zone de silence, un « échange de silences » dit-il même. Ce silence est pourtant massif et fait penser à une plaine de jeu située dans les hauteurs Incas. Mais je me prends à songer qu’il s’agit d’un jeu truqué où le silence que je convoque est sans doute moins celui de la réflexion que celui de la répression.
Les arts visuels n’ont pas fini de m’étonner à Bruxelles. Je suis sans doute trop souvent venu pour y juger du travail des élèves de La Cambre ou de celui de jeunes artistes que mes amis galeristes défendaient. A quelques pas de là je revois la porte de l’ISELP, lieu de rencontre artistique où, au début des années quatre vingt, j’avais eu le plaisir de donner une conférence, en compagnie de Patrice Hugues, l’homme du langage du tissu et de Pierre Sterckxqui a su naviguer entre Holbein, Warhol et Magritte, tout en gardant une grande fidélité à son ami Hergé, en devenant le plus grand spécialiste au monde de Tintin.Etrange trio où je jouais le rôle de celui qui laisse voguer l’histoire du textile entre les feutres de Robert Morris et les écailles de Viallat. Une autre époque dont je porte toujours la marque.
La chambre de l’Aqua hôtel est minimale, en gris et blanc, tandis que les peintures et les gravures doivent elles aussi correspondre à une déclinaison un peu abrupte du minimalisme des années soicxante-dix. Le grand puit de lumière de l’atrium, encerclé par les fenêtres des chambres, donne sur la sculpture mécano du Studio Arne Quinze.J’ai le souvenir d’y avoir bien dormi, mais de m’être levé tôt pour écrire.
Est-on vraiment à Bruxelles dans une telle atmosphère où toute aspérité est gommée ? Ce pourrait être une chambre d’hôpital. On aimerait s’y fondre dans une blancheur presque céleste et prendre plaisir à être malade. On vit dans l’ailleurs. Sans les pavés et sans la plage.
Bruxelles reste pourtant surréaliste. En contournant Ixelles, on constate que les sacs poubelle s’amoncellent et on songe que les travaux urbains vont sans doute débuter un jour. Une interdiction de stationner est en effet posée à l’arrière d’une théorie de voitures.
Elle aurait dû être retirée depuis six jours, mais a-t-elle vraiment eu du sens, un jour, sinon symbolique ?
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