Sur l'exemplaire destiné à Alfred Vallette de son Le Comte de Lautréamont et Dieu, Léon Pierre- Quint écrivait : " En souvenir de Remy de Gourmont, qui découvrit le Comte de Lautréamont [...] ". Pierre-Quint ne se trompait pas, Gourmont fut bien l'un des inventeurs de Maldoror (1). La réunion des textes de Gourmont sur Lautréamont forme aujourd'hui un mince, mais précieux volume, dût à Christian Buat.
Il y a peu de temps encore, à l'occasion d'une édition d'inédits de Gourmont en volume, on pouvait lire dans le Magazine des Livres un article dans lequel l'auteur présentait Remy de Gourmont comme un " second couteau " capital, un second rôle, " un des plus étonnants personnages littéraires littéraires du XIXe siécle " mais un écrivain somme toute mineur.
Pour Christian Buat, Gourmont est un écrivain majeur, il veut le faire savoir. Dans la présentation de son choix de textes, il bataille avec les critiques littéraires et écrivains qui s'acharnèrent à faire de Gourmont " un grincheux critique, style IIIe république ".
Cette lutte est elle bien utile, faut-il à chaque génération nouvelle, redire l'importance de Gourmont (2) ? Je ne sais pas, mais je sais le courage et la persévérance que cela nécessite, et l'on ne peut qu'en être reconnaissant à Christian Buat.
C'est après la parution des Chants de Maldoror chez Genonceaux en 1891 que Gourmont écrit son premier article sur Lautréamont : La Littérature " Maldoror ". Tout n'y est pas dit, mais le choc est réel, et sans hésiter Gourmont déclare que " dès maintenant il reste acquis à la liste des oeuvres qui, à l'exclusion de tout classicisme, forment la brève bibliothèque et la seule littérature accessible pour ceux dont l'esprit, mal fait, se refuse aux joies, moins rares, du lieu commun et de la morale conventionnelle. " Cet article servira pour le masque de Lautréamont du Livre des Masques en 1896, il était suivi de notations bibliographiques sur Les Chants de Maldoror, indiquant les différences entre la première édition du Chant 1er et celle de l'édition complète Lacroix. Gourmont y révèle l'existence des Poésies et en donne la description. Il publiera par la suite l'acte de naissance d'Isidore Ducasse. Scrupuleusement, Christian Buat donne à la suite de Littérature " Maldoror " et du masque de Ducasse, tous les textes de Gourmont, dont deux épilogues non repris en volume, dans lesquels il est question de Lautréamont.
(1) Voir : Maurice Saillet, Les Inventeurs de Maldoror. Le Temps qu'il fait. 1992.
(2) Traquant le lieux communs, le cliché, l'image usée, le dissociateur d'idées, le romancier novateur de Remy de Gourmont : La Vie de Barbey d'Aurevilly. Mercure de France, novembre 1902 - Promenades littéraires, 1904). Malgré l'admiration que lui portèrent Sixtine, le poète de La Litanie de la Rose, le subtil conteur de Couleurs, l'écrivain philosophe d' de très nombreux écrivains de premiers plans comme Pound, Papini, Dario, Powys ou chez nous Apollinaire et surtout Blaise Cendrars. Malgré les écrits et travaux de Pascal Pia, K.-D. Uitti, Noël Arnaud, Hubert Juin, Henri Bordillon, Charles Dantzig... Malgré l'admiration qu'il suscita parmi ses contemporains, malgré tout, Gourmont reste un " second couteau ", un " mangeur de livres ", une figure d'érudit bourru, penchée sur de vieux livres. Curieux cette volonté de faire de Gourmont, avant tout, un amateur de vieux livres, lui qui pour ses articles se penchent sur les études les plus récentes, qui consacre la plus part de ses chroniques aux livres récents, qui oeuvre en commun avec Aurier, et Jarry, qui collabore aux revues d'avant-garde et suit leur évolution, qui tient la chronique " Journaux " au Mercure de France et laisse tant de Dialogues sur les choses du temps. Il faut le croire lorsqu'il écrit : " Mon goût irait plutôt vers les choses très anciennes en même temps que vers les choses très nouvelles. Je me sens chez moi avant Boileau et après Baudelaire. " Son destin littéraire et de n'être pas lu ou de l'être mal, pour le bien lire il faudrait pouvoir suivre ce conseil d' Hubert Juin : " La véritable lecture de Remy de Gourmont devrait être strictement chronologique, - ce qui n'est pas simple. " Non la véritable lecture de Gourmont n'est pas simple. Une Nuit au Luxembourg, s'est fait une place souterraine dans l'histoire littéraire, on peut dire de lui, comme il l'écrivait à propos de Barbey d'Aurevilly, qu' " i l restera longtemps l'un de ces classiques singuliers et comme souterrains qui sont la véritable vie de la littérature française. Leur autel est au fond d'une crypte, mais où les fidèles descendent volontiers, cependant que le temple des grands saints ouvre au soleil son vide et son ennui. [...] Lentement, avec de persévérantes précautions, les ecclésiastiques et les professeurs les écartent des bibliothèques, les cachent dans les armoires : bien en lumière, en pleine poussière, brillent la morale et la raison. " (
Remy de Gourmont : Sur Lautréamont. Textes choisis et présentés par Christian Buat. Éditions du Sandre.
Voir aussi : Remy de Gourmont : Sur Rimbaud. Ainsi que les deux volumes de correspondance, réunie, préfacée et annotée par Vincent Gogibu, le tout aux Editions du Sandre.