Nous sommes au milieu des années 50 en Rhodésie du Sud. Howard Lament, un jeune ingénieur plein de projets, passionné de valves, rêve de fabriquer un coeur artificiel et d’irriguer le Sahara. Son épouse, Julia, à la fois artiste et enseignante, croit en la bonne étoile de son mari. Le couple, rejetant le racisme ambiant de la société rhodésienne et convaincu que l’avenir est plus prometteur ailleurs ira s’établir, d’abord au Bahreïn, puis en Zambie, en Angleterre et finalement aux États-Unis, entraînant les enfants à sa suite.
Les enfants Lament, c’est d’abord Will, l’aîné, dont l’arrivée dans la famille est le résultat d’une rocambolesque substitution de nourrissons à l’hôpital. Deux jumeaux, Marcus et Julius naîtront également en cours de route. Ceux-là n’ont besoin de personne; ils forment une société à eux seuls. Will veille sur eux, comme sur ses parents d’ailleurs. Il est le véritable ciment de cette famille.
On constate combien il peut être difficile pour des enfants de vivre un perpétuel déracinement; d’avoir à tisser de nouveaux liens et se recréer à chaque fois un nouveau cercle d’amis. Expliquer aux autres ses origines de blanc africain est déjà en soi un casse-tête:
« Maman, puisqu’on vient d’Afrique, pourquoi on n’est pas noirs? »
Sa mère lui jeta un regard douloureux. Cette question, devinait-elle, n’était que la partie visible de l’iceberg.
« Eh bien, mon petit, la plupart de ceux qui sont originaires d’Afrique sont noirs. Mais toi, comme tu descends d’Irlandais qui ont colonisé l’Afrique au début du XXe siècle, tu es un africain blanc.
— Alors, je suis irlandais
— Eh bien, pas tout à fait. Nos ancêtres étaient venus d’Angleterre pour occuper l’Irlande du Nord. Les irlandais nous considéreraient très certainement comme des britanniques.
— Alors je suis britannique.
— Eh bien, pas tout à fait, parce que tout ça s’est passé il y a très très longtemps. Les britanniques te considéreraient comme un colon.
— Un colon?
— Oui, quelqu’un qui vient des colonies.
— Mais alors, je suis quoi, maman?
— Eh bien, tu es de Rhodésie du Sud.
Pas évident, pour un enfant, d’établir son identité dans de telles conditions. Une chatte y perdrait ses petits.
Les Lament ne sont d’ailleurs jamais vraiment nulle part chez eux; toujours en marge de leur société d’accueil. C’est ainsi qu’au New Jersey, le jour du Memorial Day, alors que chaque citoyen se fait un devoir de tapisser la devanture de sa maison de drapeaux américains, Julia décide plutôt d’afficher un Union Jack à sa porte. Disons que ce n’est pas l’idée du siècle…
On s’attache à cette tribu des Lament qui, malgré les coups durs de la vie, demeure soudée. Au fil des années et à travers ses pérégrinations, c’est toute l’histoire de l’évolution des mentalités des années 50 aux années 70 qui nous est contée: celle du féminisme naissant et de la redéfinition du partage des rôles hommes/femmes, entre autres.
Le parcours de l’auteur, George Hagen, est semblable à celui de ses personnages. Originaire du Zimbabwe, à 6 ans il émigre, d’abord en Angleterre puis, 5 ans plus tard, aux États-Unis. Il est donc vraisemblable que les sentiments éprouvés par Will dans le roman soient teintés de sa propre expérience de déraciné chronique. L’écriture de Hagen a été comparée à celle de John Irving. Et, effectivement, on croit reconnaitre une parenté spirituelle avec l’auteur américain dans cette prose à la fois humoristique et profonde. Peut-etre pas le Irving inspiré de la grande époque du Monde selon Garp ou de L’Oeuvre de Dieu, la part du diable. Disons, celui d’oeuvres mineures mais néanmoins divertissantes comme L’épopée du buveur d’eau. C’est tout de même quelque chose.
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HAGEN, George. La famille Lament. Paris: Belfond, 2005, 487 p. ISBN 9782714440600
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Ce qui m’a amené à ce livre:
La suggestion d’une bibliothécaire du réseau des Bibliothèques de Montréal
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