Les corpus
Il y a deux cents ans, le 4 août 1810, Maurice de Guérin naissait dans le Tarn, au château du Cayla qui abrite aujourd’hui un musée consacré au poète et à sa soeur Eugénie (1805-1848).
Maurice de Guérin, encouragé par Eugénie, développe très jeune le goût de la poésie. Après des études au petit séminaire de Toulouse et au collège Stanislas à Paris, il gagne sa vie en collaborant à des journaux et en donnant des leçons.
Au début des années 1830, il séjourne en Bretagne chez Félicité de Lamennais autour de qui se crée un groupe de partisans du catholicisme social. Le journal intime qu’il tient à cette époque, le “Cahier vert”, recense ses travaux et lectures (Chateaubriand, Goethe, Hugo) et rend compte de son adoration mystique pour la nature qui l’entoure : “il me semble qu’il y aurait des choses profondes et merveilleuses à dire sur le sacrifice de la nature dans le coeur de l’homme“, note-t-il le 30 mars 1833.
Il s’installe ensuite à Paris pendant quelques années, alternant les périodes d’écriture et de désespoir : en 1836, il jette ainsi au feu l’ensemble de ses manuscrits, à l’exception du “Cahier vert”, puis se lance dans l’écriture de poèmes en prose comme “Le Centaure” et “La Bacchante”. Affaibli par la tuberculose, il rentre au Cayla où il meurt en juillet 1839, sans avoir pu publier un seul de ses poèmes.
En 1840, quelques textes de Guérin paraissent dans la Revue des Deux-Mondes, accompagnés d’une étude biographique signée par George Sand. La renommée littéraire de Maurice de Guérin sera pourtant longue à éclore, en partie à cause des liens qui l’unissent au fantasque Jules Barbey d’Aurevilly.
[Barbey d Aurevilly : portrait / par Lhéritier]
Source: Bibliothèque nationale de France
Les deux jeunes gens s’étaient rencontrés sur les bancs du collège Stanislas à Paris. Le Premier Memorandum de Barbey, écrit entre 1836 et 1838, témoigne de leur amitié. Après la mort précoce de Guérin, Barbey recueille ses manuscrits auprès d’Eugénie et caresse le projet de publier son oeuvre : “j’éditerai Guérin et j’écrirai sa vie, sa vie de plongeur sous sa cloche de cristal ! [...] mais vous savez ce que j’attends. J’attends un peu de bruit autour de mon nom, l’autorité d’une parole qui porte celui de notre ami, grand pour nous seuls, à sa vraie hauteur parmi les hommes“, déclare-t-il en janvier 1844 dans une lettre à son ami Trebutien.
De fait, Barbey attend, tergiverse et préfère d’abord éditer en 1855 le journal et les lettres d’Eugénie de Guérin, sous le titre Reliquiae. L’édition posthume des oeuvres de Maurice ne voit le jour qu’en 1861 (Gallica donne accès à la 22e édition de ce volume), sous la houlette du seul Trebutien, avec qui Barbey s’est entre-temps brouillé. Et c’est sans doute moins le nom de Barbey d’Aurevilly que celui de Sainte-Beuve - auteur de la préface de l’édition de 1861 - qui permet à Maurice de Guérin de sortir de l’oubli.
Si Remy de Gourmont manifeste ensuite son enthousiasme pour l’oeuvre guérinienne, Pierre Louÿs se montre bien moins tendre, déclarant à son propos qu’”on ne devrait pas avoir le droit de copier Chateaubriand si impudemment et si mal” ! Mais le jugement sévère de Louÿs (”Chateaubriand écrit comme un dieu, Maurice de Guérin comme un pied“) n’a peut-être pas fait autant de mal à la postérité de Guérin que la place qui a été accordée à ses textes et à ceux de sa soeur dans les recueils de lectures morales ou dans les manuels de politesse et de savoir-vivre de la fin du XIXe siècle. Ces diverses anthologies, en mettant l’accent sur la sensibilité pieuse et délicate du poète, ont contribué à affadir une oeuvre qui constitue pourtant une étape importante dans l’histoire du poème en prose français…
Mélanie Leroy-Terquem