Billy Wilder a définitivement fait les comédies les plus modernes. C'est-à-dire les plus vulgaires. Dans Kiss me stupid, c'est à la limite du sordide. Un mélomane jaloux, qui porte des pulls à l'effigie de Beethoven et de Bach, une épouse pieuse, aimante et ingénue, un chanteur de variété accroc au sexe (Dean Martin), une prostituée dans sa roulotte (Kim Novak), un garagiste balourd qui semble sorti d'un film de Judd Appatow: si les personnages sont caractérisés, figés dans des rôles, ils le sont dans une sorte de déchéance pathétique. On rigole bien, mais c'est surtout triste.
L'intrigue fait penser à La Double inconstance. Un couple, qu'un jeu de déguisements et de situations comiques pousse au double adultère. La formule n'est pas exactement la même, dans le film de Billy Wilder. D'abord parce que l'issue est différente, ensuite parce que la double inconstance en question est moins fomentée, moins calculée que dans la pièce de Marivaux. Tout est affaire de séquences et de situations, dans Kiss me I'm stupid. Il ne s'agit plus d'analyser l'évolution du sentiment amoureux, mais d'observer les conséquences d'une mise en situation inhabituelle dans un environnement habituel – c'est l'intrusion assez réaliste du monde d'hollywood (avec ses scénarios et ses faux-semblants) dans la province américaine.
Il y a, au fond, deux acteurs de métiers – Dino (le chanteur) et Polly (l'escort girl) – et deux acteurs involontaires – le mari et la femme. Ce sont pourtant ces deux derniers qui se laissent prendre par la situation. A l'image du garagiste, qui est en fait le metteur en scène de toute cette mascarade, Wilder a le chic pour faire prendre les situations, serait-ce le temps d'une chanson. Mais il parvient surtout à insuffler de la mélancolie dans les situations les plus burlesques. Ses personnages comiques sont en fait des personnages inquiets, qui cherchent leur place, qui ne sont jamais dans le bon rôle. Wilder est « en avance sur son temps » (Télérama le dit sur la jaquette du dvd, donc c'est sûrement vrai!), et pas forcément dans le sens progressiste de la formule. Comme dans La Garçonnière, il nous montre toute la tristesse qu'il peut y avoir dans l'insouciance moderne, à laquelle lui, ses personnages et nous-même aspirons pourtant.