L’auteur résume clairement la situation dès l’introduction : « Certains ont décidé de ne rien divulguer des œuvres qui dorment dans un atelier de peintre ou un tiroir de bureau d’écrivain. D’autres battent monnaie en publiant le moindre brouillon ou en éditant des lithographies douteuses par milliers. D’autres encore intentent procès sur procès à quiconque ne souscrit pas à l’image idyllique qu’ils entendent donner de leurs glorieux ancêtres et détruisent manuscrits ou clichés séditieux. D’autres enfin sont prompts à ʺmarchandiserʺ sous forme de parc d’attractions et de figurines en toc. Tous font fructifier la manne, entravent la recherche… ou s’épuisent à se quereller entre eux. »
Les dix-neuvièmistes le savent, Caroline Aupick, la mère de Baudelaire, plus influencée par ses sentiments religieux que par la beauté poétique, tenta, lors de la réédition des Fleurs du Mal, d’en faire disparaître Le Reniement de Saint-Pierre ; il fallut que Théodore de Banville et Charles Asselineau se gendarment pour qu’elle renonce à une telle mutilation. Caroline Commanville, la nièce de Flaubert, pratiqua, dans un même esprit, des coupes sombres dans la correspondance de son illustre oncle. De son côté, Edmond Richard, dernier amant et l’un des héritiers de Madame Sabatier – la Présidente – chercha au lendemain de sa mort à monnayer ses reliques (livres et lettres de Théophile Gautier, Baudelaire, Flaubert, etc.) et à maquiller sa biographie.
Notons encore une passionnante analyse de la succession d’Alberto Giacometti où, dans un rôle ambigu, apparaît un ancien ministre d’Etat, avocat, et grand amateur d’art (et, accessoirement, de chaussures). L’affaire qui naquit autour de Françoise Dolto mérite, elle aussi, qu’on s’y attarde, grâce, notamment, aux développements qu’Emmanuel Pierrat consacre à la biographie de la célèbre psychanalyste publiée par la présentatrice télé Daniela Lumbroso. Rencontre inattendue, en effet, que celle de ces deux noms (un peu comme si Benjamin Castaldi écrivait une biographie de Heidegger). Et, pour résultat, un curieux livre, florilège d’approximations, d’erreurs, voire de spéculations, au sens anglo-saxon du terme, éreinté par l’ensemble de la critique, en dépit du soutien de Luc Ferry et de celui, moins surprenant, de Bernard-Henri Lévy.
Emmanuel Pierrat, bien que juriste, s’abstient de tout jargon professionnel dans cet essai qui aurait pourtant pu y inviter. Son style, clair et non dénué d’humour, se fait même littéraire, comme dans les pages où il relate de manière haletante les derniers jours d’Antoine de Saint-Exupéry. On aurait aimé le voir traiter d’autres dossiers, notamment ceux des successions de Marguerite Duras et de Jacques Lacan. Je m’étais intéressé à ce dernier cas lors des recherches que j’avais menées pour la rédaction de mon essai sur L’Origine du monde de Courbet (que le psychanalyste possédait)… il y avait là de quoi faire les délices des lecteurs. Mais l’auteur le précise, par souci d’objectivité, il s’est abstenu d’écrire sur des cas auxquels il avait été partie prenante en qualité d’avocat. Ce respect de l’éthique l’honore d’autant plus que le monde qu’il décrit, « aux confins de l’esthétique et de la caisse enregistreuse », semble assez souvent ignorer cette notion.
Illustrations : Félicien Rops, La Faucheuse, gravure - Gustave Doré, La Poule aux oeufs d’or, gravure.