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Les retours conjoints de DJ Fresh, Chase & Status, The Qemists et Pendulum, sans compter les récents travaux de Nero, Noisia ou Magnetic Man, nous amènent à nous demander comment nous en sommes arrivés là. Par là, comprendre l'affirmation d'un son electro (?) global dont l'intention semble être de capter l'audience heavy metal mondiale par l'emploide dynamiques musicales provenant du rock, seule façon a priori payante pour élargir sa fanbase , d'autant plus si l'on est soumis aux exigences commerciales d'une major. A coups de breakbeats provenant de la drum'n'bass ou de la scène breaks, de wobble bass populistes, de synthés qui sonnent comme des riffs de guitares et de vocaux pompiers suggérant de lever le poing et de faire tournoyer son bracelet de force, les nouveaux dieux du stade tentent visiblement de reproduire le succès phénoménal que le groupe Prodigy a pu connaître dans les années 90. Si le combo de Liam Howlett, intégralement issu du mouvement rave, a,dès 1991, joui d' une gloire non négligeable au Royaume-Uni à travers une série de singles breakbeat hardcore (devenus des classiques pour la plupart et collectés sur le premier album Experience), le groupe n'a pas dépassé avant son deuxième long format les frontières de la Perfide Albion. Pour percer aux Etats-Unis, Prodigy a donc musicalement et visuellement opéré une transition progressive vers le rock indus à la Nine Inch Nails mâtiné de beats hip-hop qui s'est avérée payante puisque leur troisième album fut un carton planétaire.
Si le groupe a donc fourni un modèle à suivre, d'autres acteurs musicaux sont plus directement impliqués dans l'émergence de cette techno de stade qui combine aujourd'hui scientifiquement des éléments jungle, house cheap, trance, rock et pop pour un résultat pas toujours très digeste. Le label drum'n'bass Ram a par exemple joué un rôle déterminant dans la conception rythmique de cette mixture sonore tant il semble avoir tenté, à partir de la deuxième moitié des 90's, de gommer dans ses sorties le principal reproche que l'on faisait à la jungle, à savoir l'impossibilité de pouvoir danser dessus compte tenu de ses beats trop rapides, syncopés et intriqués. De ses efforts résulte notamment le morceau Bodyrock de Shimon & Andy C qui expurge toute référence dread et soul pour préférer des influences techno s'arrimant à une base rythmique plus métronomique, le tout sonnant étrangement organique là où jusqu'ici la jungle donnait l'impression d'une juxtaposition surréaliste d'éléments disparates souvent contradictoires. Globalement si le single reste groovy, il n'en demeure pas moins une première étape vers l'éradication totale de tout aspect funky qui voit de fait le son se rapprocher du (body)rock tout en évitant de sombrer dans la noirceur techstep omniprésente à l'époque. Ram a approfondi cette logique d'une drum'n'bass organique et plus pompière en signant notamment Chase & Status (désormais sur une major) ou Subfocus qui y ont rajouté des éléments trance, house ou dubstep mais toujours reconfigurés pour les masses.
Le groupe australien Pendulum a bien retenu la leçon de Ram, puisque après quelques singles drum'n'bass remarqués au début des années 2000, il signe sur Breakbeat Kaos, label de DJ Fresh & Adam F, dont l'objectif est justement de convertir le grand public à la drum'n'bass au prix d'une maintreamisation du son conséquente. Le relatif succès de leur premier album qui contient l'anthem prodigiesque Tarentula leur permet par la suite d'intégrer une major qui les transforme tout simplement en véritable combo soft metal.
La France, jusqu'ici préservée, succombe elle aussi à ce tropisme electro-rockiste dans les années 2000 principalement avec l'émergence de la mafia Ed Banger qui injecte une bonne dose de métaux lourds dans la french touch, histoire d'être à la hauteur de son patronyme : Justice se prend donc pour Kiss sans maquillage, Sebastian remixe Rage Against The Machine et une sortie sur deux valorise le cheveu long et gras. Résultat ? Tournée des stades pour Justice avec réhabilitation du blouson en cuir et des milliers de suiveurs en bonus.
Enfin le processus a fini par toucher le dubstep qui de wobble bass en bro-step insiste sur les basses midrange à l'origine de l'élargissement de son audience. Si certains acteurs du courant, tels Caspa ou Rusko, semblent mettre la pédale douce question gros son sur leurs dernières productions, il n'en demeure pas moins que toute une horde de beatmakers en abusent avec la claire intention de sortir de l'ombre pour remplir Wembley.
Pour réaliser le crossover, et sous la pression des maisons de disques, les courants electro apparaîssent plus ou moins condamnés à se fondre dans le moule rock en privilégiant le format album sur le 12", les concerts live plutôt que les dj sets, le formatage pop plutôt que les morceaux déstructurés, les tracks vocaux sur les instrumentaux, l'image plutôt que l'anonymat. En résulte un danger majeur pour ces nouveaux dieux du stade, celui de sombrer corps et âme dans les jeux du cirque.
DJ Fresh - Gold Dust (Flux Pavilion Remix) (Breakbeat Kaos/Data / 2010)