Une dizaine de jours aux Etats-Unis, à Chicago (pour raisons professionnelles) puis à New-York (pour le kif), m’ont permis de revenir avec quelques bribes de compréhension plus fines du judaïsme américain. De faire quelques découvertes surprenantes, de confirmer certains a priori, tout en battant en brèche d’autres convictions. Evidemment, tout ce qui va suivre est souvent subjectif et ouvert au débat.
Chicago
Avant que mon avion ne se pose sur les pistes d'O'Hare à Chicago, j'ai eu droit à un rattrapge de films en bonne et due forme grâce au système VOD de l'avion. Et pour me mettre en jambe sur le judaïsme américain, j'ai choisi de me faire accompagner par les frères Coen et leur dernier film: "A serious man". J'essaierai d'en faire une recension ultérieure, mais une chose est sûre, il fait beaucoup réflechir à la question suivante: le judaïsme a-t-il été transformé par la transplantation massive de Juifs d'Europe de l'Est sur les terres du Nouveau Monde ? Evidemment, la réponse ne manquera pas d'être positive, mais pour essayer de mieux le comprendre, il faut plonger.
Passons sur la semaine de boulot pour aller directement à la nécessité de passer Chabbat à Chicago.Surtout, ne pas reproduire l’erreur déjà commise en 2003: passer un Chabbat dans un grand hôtel du Loop, le centre historique et touristique de Chicago. Ca, j’ai déjà donné il y a quelques années : en passant par Priceline (si vous ne connaissez pas, je vous conseille ce site pour trouver un super hôtel à prix défiant toute concurrence à quelques jours de votre voyage), le Palmer House Hilton de Chicago pour moins de 70$ la nuit. Manger casher ? Il suffit de demander à la réception qu’elle vous commande des plateaux casher (bien sûr dument facturés), qui vous permettront de tenir si vous ne connaissez personne dans les environs ou si vous n’arrivez pas jusqu’au Beth Habad le plus proche.
Ensuite, ça se corse. Imaginons que le samedi matin, vous souhaitiez vous rendre à la synagogue la plus proche. Vous vous dites avec beaucoup de candeur : « je suis en plein dans le centre, les synagogues c’est pas ce qui va manquer, surtout dans la 3ème ville juive américaine avec près de 300 000 juifs ! ». Eh bien ce n’est pas si simple. D’abord, vous devez vous faire à la fragmentation bien connue du judaïsme américain. Si vous ne voulez pas vous retrouver chez l’Assemblée Hébraïque Reconstructionniste Gays et Lesbien, ou pire (parce qu’au moins ces derniers assument une identité particulière) chez des hippies en guitare mélangeant, Gospel, proclamations d’amour dignes d'Eddie Murphy et conviction profonde de représenter l’avenir du judaïsme, il va falloir mobiliser vos talents de détectives pour trouver une Schule conforme à l’idée que vous vous faites de la Halakha. Après un étonnement initial de ne pas me retrouver avec une flopée d’oratoires dans le Loop, je trouve finalement, à côté de l’hôtel, la « Chicago Loop Synagogue » sur South Clark Street. Très belle d’un point de vue architecturale, sur plusieurs niveaux, avec les noms des principaux donateurs bien mis en évidence, on sent l’Amérique avec son rapport décontracté vis-à-vis de l’argent ainsi que son judaïsme bien intégré et de longue date au sein de la société américaine.
Après c’est plus surprenant : dans cette salle de plusieurs centaines de places, on ne se retrouve qu’à 30 ou 40 personnes pour faire l’office ! La raison (que je subodorais depuis maintenant quelque temps) ? Les Juifs travaillent dans le Loop mais n’y habitent pas. La synagogue est donc très active en semaine mais très peu fréquentée le Chabbat. Un kiddouch uniquement sucré après l’office qui ne m’aura pas rassasié et me voilà de retour à l’hôtel en début d’après-midi…heureusement que la ville est belle et qu’on peut profiter de belles balades, surtout en été !
Back to 2010 : cette fois-ci, pas d’erreur. Appel d’un ami que je n’avais pas revu depuis plus de 10 ans mais qui habite Chicago et qui me confirme : « les Juifs habitent dans 2 quartiers principaux : West Rogers Park qui est encore dans Chicago et Skokie qui est une ville à l’extérieur de Chicago ». La raison est évidente : lorsqu’on commence à fonder une famille, on va chercher des écoles, des superficies plus conséquentes et une infrastructure particulière qui n’est pas offerte par le centre ville, plutôt dédié au business et au tourisme. Va donc pour West Rogers Park. La physionomie de la ville est complètement différente : on est plus dans Desperate Housewives avec ses maisons résidentielles ne faisant pas plus de 2 étages tout le long de rues quadrillées, que dans Mad Men avec ses gratte-ciel et son activité débordante.
Problème : il n’y a pas d’hôtels. Mon ami me donne alors un truc : la maison de retraite juive de West Rogers Park fournit des chambres pour les voyageurs de passage. Pour 75$ la nuit, ça vaut le coup. D’autant qu’on a alors la possibilité d’admirer la qualité de cette maison de retraite : grande, propre, animée, dans une ambiance juive (repas casher, offices, cours, etc…) et accueillante pour les touristes…
Vendredi soir arrive, à la recherche d’un office ! On est plus dans le Loop c’est une évidence : des dizaines de schule de toute obédience se succèdent sur Internet : Reformed, Conservative, Orthodox, Loubavitch, Séfarade (avec même une communauté marocaine !) à quelques blocs les unes des autres. Je choisis KINS qui a l’air d’être une des principales communautés orthodoxes du quartier, à mi-chemin entre mon « hôtel » et mon ami chez qui je vais dîner. Pas grand-chose à dire si ce n’est que le bâtiment est imposant et bien intégré au quartier. Le rabbin est décontracté, avec un Panama blanc sur la tête et un costume clair. On sort et là surprise : les gens portent ! Il y a en effet un Erouv à West Rogers Park (le Erouv est une modalité permettant de contourner l’interdiction de porter dans un domaine public le jour du Chabbat. Il permet notamment de sortir en poussette, chose interdite sans Erouv). Halakhiquement, le sujet est polémique, j’ai d’ailleurs acheté à New-York une petite monographie sur le sujet très bien faite dont j’essaierai de faire une petite recension. Toujours est-il que la question se pose : peut-on réellement compter sur un Erouv sur un périmètre aussi vaste que West Rogers Park et avec un degré de fiabilité suffisant ? D’un autre côté, comment ne pas voir qu’un Erouv change radicalement la perception que les Juifs (et les familles en particulier) ont du Chabbat, lorsqu’enfin il est possible de sortir et d’effectuer des visites amicales ou familiales même avec de jeunes enfants ?
Repas du vendredi soir chez mes amis (que je remercie encore chaleureusement de m’avoir accueilli et guidé dans ce périple) et échanges très intéressants sur la vie de jeunes français transplantés en plein Chicago. Regrets d’abord sur la pauvreté de l’offre « intellectuelle » en matière de judaïsme en France. Difficultés à trouver des lieux et des maîtres à même de transmettre un judaïsme authentique mais aussi exigeant intellectuellement que celui en vigueur au niveau des études supérieures profanes. Il est vrai que de ce point de vue là, les Etats-Unis ont plusieurs longueurs d’avance et que la France, si elle a été pionnière dans les années 70 avec Lévinas, Neher ou Manitou est désormais un peu à la traîne. La plupart des disciples de Manitou (qui avait su adresser la problématique d’articulation entre une pensée juive authentique et les impératifs matériels et surtout métaphysiques du monde moderne) se trouvent désormais en Israël et Lévinas a laissé peu d’élèves capables de mobiliser à la fois des ressources philosophiques de haut niveau et un attachement fervent aux textes de la tradition juive (Benny Lévy en est un mais a également diffusé son enseignement en Israël). Constat malgré tout qu’il subsiste quelques pépites bien cachées comme la Yéchiva des Etudiants du Rav Zyzek à Paris ou celle du Rav Eliahou Abitbol à Strasbourg ou plus médiatisées, dans un tout autre style, comme les initiatives prises par le Rav Elie Lemmel dans le cadre de son association Lev.
Une adéquation plus simple aux Etats-Unis entre la vie professionnelle et les exigences halakhiques d’un Juif pratiquant. Lors de ma formation d’une semaine à Chicago, aucun problème pour bénéficier de repas casher fournis gracieusement par le Centre de formation, voire conserver sa kippa y compris dans le cadre professionnel (je ne l’ai personnellement pas fait, culture française oblige, mais j’ai vu un américain la garder sans problème, comme d’ailleurs les Sikhs avec leur impressionnant turban). Mais attention, tout n’est pas rose non plus : il subsiste évidemment des difficultés, liées essentiellement au respect du Chabbat en hiver. Et ne nous leurrons pas, il est plus facile de négocier quelques arrangements discrets dans des jobs de haut niveau que dans des postes plus standardisés. De fait, s’il faut donner une raison rationnelle au fait que les Juifs choisissent plus fréquemment que le reste de la population une carrière dans l’entrepeneurship ou les professions libérales, c’est certainement pour la flexibilité dans l’emploi du temps que ces métiers procurent, indispensable à une conciliation harmonieuse entre vie professionnelle et convictions religieuses.
Le lendemain, mon ami était invité par un couple Habad qui a très gentiment accepté de me recevoir également. Direction donc un office Loubavitch, commençant comme de bien entendu après 9h30 (ça ça ne change pas) et très agréable. Une découverte précieuse : le Houmach édité par la maison d’édition Kol Menahem. Je ne peux pas vous raconter cela sans faire une digression sur « la Révolution Artscroll », comme ils disent là-bas et comme le post commence à se faire long, on fera ça dans l’Episode 2 (promis dans pas trop longtemps).
Bonnes vacances à tous !
A suivre...