Dans la popularité discrète de Jean Ferrat se dessine une France qui n'a plus guère d'occasions de [se] manifester ; "sa" France ("Ma France") se tient évidemment loin de la "Douce France" que Trénet chante en 1943 dans un Paris tenu par les nazis et les collabos. C'est la France de Robespierre, de la Commune, des Partisans, du "vieil Hugo", symboles que se disputent des politiciens aujourd'hui.
Les chansons de Ferrat énoncent un engagement personnel de mauvaise humeur, révolté et conservateur, loin des "multinationales", loin des people ("Ma Môme", chanson reprise par Godard dans "Vivre sa vie"), un peu écolo, un peu communiste et antistalinien, un peu Drucker et un peu Pivot... Beaucoup de nostalgies et de doute aussi, difficiles : "La Montagne" ou encore la chanson féministe et tendre de "La Vieille dame indigne" (film de René Allio, 1965, d'après une nouvelle de Brecht), "On ne voit pas le temps passer".
La France de Ferrat est aussi celle de Lorca, des Gitans, celle de "Nuit et Brouillard" (1963) - le père de Jean Ferrat est mort assassiné à Auschwitz. La chanson sur les camps sera "déconseillée" par le directeur de la radio et de la télévision d'Etat (ORTF). "Douce France" ! Le politiquement correct, terriblement incorrect, n'est pas nouveau. Ce ne sera pas la seule chanson censurée (cf. la liste établie par Le Nouvel Observateur).
Toutes ces voix composent une polyphonie politique, qui ne trouve pas son expression politicienne, et que trahit et déséquilibre nécessairement chacune de ses voix séparément. "Toutes ces voix se multiplient pour n'en plus faire qu'une..."
Les médias à l'occasion d'un événement (décès, anniversaire, accident) organisent une consultation électorale involontaire, imprompte, non intrusive, hors institution, non contrôlée dont les élus n'ont pas été candidats. La science politique devrait prêter attention à ces voix de traverse hors de toute doxa des doxosophes.