Magazine Culture
"Un pied sur le trottoir, et l'autre qui brise une vitre, ça forme un angle bizarre, je trouve ça plutôt chic..." ("Nijinski")
A l'heure où le rock français laisse s'échapper les dernières braises d'intérêt, à l'heure où les jeunes filles en fleur pleurent la mort de Filip des 2Be3, à l'heure où Alain Bashung rejoint les cieux nuageux, il en est certains qui demeurent, qui ressuscitent avec une régularité totalement anti-christique et qui prennent soin de vous broyer les artères.
L'archétype de cette réinvention perpétuelle se nomme Daniel Darc.
Depuis la fin de Taxi Girl, groupe phare des 80's, en 1986, l'homme se terre derrière ses mots, assénés comme des rasoirs tranchant dans le vif, concis, efficaces.
Il sort trois albums, loin des sentiers new-wave sautillants, en 1987, 1988 et 1994, respectivement nommés "Sous Influence Divine", "Parce que" et "Nijinski", épaulé par des icônes incontournables de l'époque, tels Jacno (ex-Stinky Toys et Elli & Jacno) et le sensationalissime Etienne Daho.
Fini les bites au cirage devant un parterre de curieux qui comprennent mal, fini les veines tout dehors, les épanchements sanguins extatiques.
Non, vive les arts martiaux, la trempette dans l'eau bénite et l'ultime souffrance encrée.
En 2003 sort une substantielle compilation, pour crever le silence de tant d'années passées dans les ombres.
2004 marque le temps du renouveau, de la renaissance, du re- tout ce qu'on veut, la sortie de l'album "Crève-Coeur", faisant littéralement imploser nos coronaires. Je voue un culte monomaniaque pour la chanson "Et Quel Crime ?", à mon sens une synthèse de tout ce que le Dani porte en lui, la fougue rock, les relents new-wave, membranes encore vivaces des années Taxi Girl, et les textes ciselés finement et surtout, d'une efficacité redoutable. J'adoube la voix orgasmique et les murmures hantés, la souffrance salvatrice qui atteint le sublime.
Parce qu'il est un album indispensable, "Crève-Coeur" fut couronné d'une Victoire de la Musique, dans la catégorie "Révélation" (même si le Dani n'est plus tout à fait un jeune premier).
Outre quelques collaborations plus que dispensables avec Alizée, Cali ou Thierry Amiel, Daniel sait se montrer discret tout en laissant planer une ombre bienfaisante, soufflant un vent empli de soufre sur la variété française débilitante.
Et en 2008 sort le successeur de "Crève-Coeur", intitulé "Amours Suprêmes", incluant un duo haletant avec le sublimissime Alain Bashung. Un album transpirant, suant le noir, enrobé de poison, bref un diamant poncé jusqu'au coeur.
Parce qu'il est torturé, Daniel Darc sait exprimer avec une sincérité confondante les émotions les plus diverses. Souhaitant depuis longtemps écrire un roman, espérons que ses projets avortés prennent vie et forme, pour nous donner de beaux rêves en bouteille.
Comment faire un article "fais de la lèche à Daniel" ? ^^ C'est pas très gonzo, ou si, complètement en fait.
Tout ça pour dire quoi au final ? Que Daniel, c'est du fuel pour tes oreilles, ça réchauffe les longs mois d'hiver, même si sous le vernis glacial de ses chansons, se cache un petit quelque chose torride comme le sable chaud et suintant comme les bouteilles de Perrier, avec le bruit de gorge brûlante qui va avec.
Daniel est notre copain de solitude lancinante et l'ami barré qu'on aimerait tous avoir. Et puis il est tatoué, et ses jeans sont déchirés.
Emmanuel D.