a vulgarisation faite par des scientifiques est en général assez casse-gueule, on le sait bien. Casse-gueule d’un point de vue stylistique bien sur, dans un premier temps : même s’ils ont le sentiment d’avoir une écriture plus simple que lorsqu’ils rédigent pour des revues scientifiques spécialisées, ils n’arrivent pas ou avec difficulté à décrire simplement leur savoir. Ils ne possèdent pas le matériel stylistique qui leur permettrait de mieux faire comprendre les connaissances qu’ils sont en train de construire. Si on ajoute à cela une mauvaise évaluation des publics auxquels les scientifiques s’adressent, et un graphisme peu attirant, on arrive à un avis négatif : les chercheurs devraient chercher, et les vulgarisateurs vulgariser !!
Pourtant, les chercheurs n’arrivent pas à se défaire d’un sentiment d’impuissance : les vulgarisateurs ne comprennent rien à rien au champ scientifique qui est le leur. En simplifiant, les non-spécialistes dénaturent. En manquant de connaissances spécifiques, ils produisent du non-sens. Une jolie coquille, qui se fait passer pour de la science, mais vide, qui ne reflète en rien le savoir construit. Face à cette situation, et pour que l’état des découvertes soit transmis effectivement, les scientifiques prennent leurs plumes et leurs MacIntosh, et tentent de réussir – sans succès – ce que les vulgarisateurs ne font pas mieux.
Quand un lecteur assidu (j’en ai bien peu) me fait part de l’existence du Bulletin de l’Observatoire des Politiques en Europe (édité par l’OPEE), bulletin dédié à la vulgarisation en économie, et spécialisée dans les politiques économiques européennes, j’ai forcément un a priori négatif, pour toutes les raisons énumérées précédemment. D’ailleurs, ce bulletin ne faillit pas à la règle. Quoique …
Il s’agit d’un nouveau site, qui a pour objectif de mieux faire connaître et de vulgariser les travaux de l’OPEE (Observatoire des Politiques Economiques en Europe), rattaché au BETA (Bureau d’économie théorique et appliquée) de l’Université de Strasbourg. Ce bulletin existe depuis plus de 10 ans, mais ses responsables ont décidé de mettre en place un nouveau site qui viserait à mieux les faire connaître, et à permettre la diffusion des articles sur Internet. Les thématiques sont très diverses et le traitement parfois intéressant, ou proche des préoccupations du « grand public » que nous sommes, tel cet article sur le développement durable, et sur le concept de décroissance. Je cite cet url, car il illustre également la volonté des responsables éditoriaux (Michel Dévoluy et Gilbert Koenig) d’apporter une vision économique qui ne soit pas disciplinaire (l’auteur de cet article est Frédéric Rognon, professeur de … théologie). Afin d’apporter une possibilité de lecture plus ouverte, on peut télécharger les articles au format pdf (mise en page pas géniale), ou, mieux, chaque numéro publié à ce jour.
On peut remarquer plusieurs choses. D’abord, ce bulletin ne faillit pas à la règle de la vulgarisation faite par des scientifiques. Style souvent empesé, plans serrés (Grand Un petit un petit a), vocabulaire spécifique évité mais pas éliminé et pas expliqué (on aurait aimé la présence d’un glossaire), textes longs … Cependant, des remarques plus positives peuvent aussi être faites. Plus un auteur écrit et « vulgarise », mieux c’est. A croire qu’en s’appropriant cette possibilité de liberté, l’auteur chercheur peut s’extraire des contraintes académiques pour écrire à son aise et, dans certains cas, ça apporte énormément à la lisibilité des articles. Et lorsque le style suit, alors le reste est à l’avenant. On finit par comprendre le propos des auteurs, prendre à son compte leurs analyses, et même les défendre devant un public non averti, comme je me suis surpris à le faire récemment.
Pourtant, dès qu’un scientifique vulgarise, les collègues le montrent du doigt en disant « Comment peux-tu dire de pareilles choses ? ». C’est que la position du chercheur-vulgarisateur n’est pas simple : il doit simplifier son discours, mais ne pas être vulgaire, éviter le non-sens, n’apparaître ni pédant (au risque de ne plus vulgariser) ni populiste. D’autant plus que le savoir économique n’est pas si constitué qu’il y parait ! Des écoles existent, des controverses font rage et, certains commentateurs (de blog, pourquoi pas) n’hésitent pas à comparer l’économie à une activité de devin plus que de scientifique. Pour un chercheur en économie,vulgariser peut représenter une activité populiste, dans le sens où il espérerait « mettre dans sa poche » un public forcément crédule, au dépens des autres écoles de pensée. En oubliant que c’est une étape nécessaire dans la constitution d’un savoir : réussir à convaincre le corps social de la vérité des dires et des faits scientifiques. La vulgarisation a avant tout des vertus politiques qui permettent aux scientifiques d’ancrer une « réalité produite » dans une réalité sociale. De l’inscrire dans le paysage culturel.
Créer un journal de vulgarisation en économie, ou y écrire, correspond donc à une position courageuse. On peut à chaque instant se faire mal voir par ses collègues, et prêter le flanc à des critiques acerbes, voire un blacklistage pas très sympa dans un plan de carrière. Donc, rien que pour ce courage là, scienceblog et votre très immodeste serviteur ne pouvait que tirer son chapeau.
Lorsqu’on compare ce bulletin avec une autre publication, prestigieuse pourtant, de l’Université, nommément Savoir(s), on ne peut que rire doucement … Rien à voir me direz-vous !! Sauf qu’on peut comparer les financements et les besoins. Dans ce cas en effet, ce site très fonctionnel a été produit par une petite équipe de communication. La rédaction est bénévole. La gestion administrative et éditoriale l’est également. Et que les demandes de subvention pour ce journal à l’Université sont refusées depuis l’inauguration de l’Université de Strasbourg. Le courage est bien mal payé, mais heureusement, votre vengeur masqué en parle …