Il reste du jambon ?
Sortie le 27 octobre
Quelle est la recette du film Il reste du jambon ? On prend une Française d’origine française (Anne Marivin) et un Français musulman d’origine arabe (Ramzy Bedia), on secoue le duo dans un philtre d’amour avec des tas de gags et on fait sécher le tout dans les familles et milieux professionnels respectifs.
Un pitch sans surprise certes mais qui tombe parfaitement bien dans une France où l’Autre (surtout s’il vient de l’autre côté de la Méditerranée) est diabolisé par les plus hautes instances de la République et implicitement identifié comme source de tous les maux. Terroriste, fraudeur aux Assedic, polygame, parent de mineurs délinquants, poseur de bombes et exciseur patenté, le Français bronzé-à-très-bronzé mène la Patrie à sa perte et mérite de perdre sa précieuse nationalité…
Alors dans ce climat de suspicion et de racisme ambiant, le film de Anne Depetrini a le mérite de faire redescendre tout le monde sur terre et de ramener le spectateur à la réalité des relations humaines, entre un homme et une femme et entre deux cultures qui se mélangent, se rejettent mais s’attirent aussi fondamentalement.
Il reste du jambon ? est donc une cuillerée de miel dans un yaourt trop acide, mais aussi une comédie désopilante. Forcément : visionné deux semaines après la fin du tournage, sans bruitages ni travail d’homogénéisation, en son direct, avec un montage de l’image à vide, sans générique de fin…, c’est une version très brute du film que j’ai visionnée en avant première. Et je peux vous dire que même sans les artifices de la postproduction la mayonnaise prend et surprend ! Ce qui est plutôt bien pour du jambon… Ok je sors et laisse la parole à Anne Depetrini qui va nous parler de son jambon-beur.
LC : Anne, si tu veux bien, on va commencer par un peu d’entraînement puisque voici une question (à la con) qu’on va certainement te poser pas mal de fois. Alors je t’invite à profiter de l’occase et à tenter une ou deux réponses tranquilou avec moi : « Dis, Anne, comment qu’on fait pour diriger en tant qu’acteur celui qui partage tes jours et tes nuits ? »
Anne Depetrini : Diriger Ramzy en tant qu’acteur, surtout sans Eric, ça me semblait quasi impossible. Et puis, je ne sais pas, c’est comme si quelque chose s’était débranché dans mon cerveau, le premier jour de tournage, il m’est apparu comme un acteur lambda… Je lui parlais exactement comme aux autres (souvent plus mal même !). Ca m’est apparu comme une évidence.
LC : Dans la mesure où je me suis bidonnée tout au long du film et toute la salle avec moi, on peut dire que le comique du film est plutôt efficace. Ça ne t’étonnera pas si je te dis qu’on reconnaît en filigrane la touche Ramzy… A-t-il vraiment participé à l’écriture des dialogues ? Et qu’en est-il de son compère Eric, qui fait d’ailleurs une brève apparition dans le film ?
Anne Depetrini : Ramzy n’a pas écrit les dialogues, mais j’ai effectivement veillé à ce que sa vraie personnalité comique transparaisse à travers son rôle « sérieux ». Je voulais qu’il joue un personnage, mais qu’il y apporte une vraie fantaisie. Je trouve d’ailleurs qu’il y est parvenu à la perfection.
Quant à Eric, il me semblait impensable de ne pas le voir dans un film où il y a Ramzy. Je suis vraiment contente qu’il ait accepté, et ça me fait plaisir de le voir apparaître dans le film, chaque fois que je le regarde (j’ai dû le voir 7000 fois…). Le piège était, qu’il ne fallait que cela s’intègre à l’histoire, sans que cela fasse trop « sketch ».
LC : Je ne suis pas fan des comédies romantiques donc je t’avoue que la love story m’a un peu survolée. Par contre, j’ai été très sensible à une certaine féminité des situations et des répliques. Un humour tolérant et intelligent, forcément. S’il y a de plus en plus d’humoristes femmes et des très douées (à part Anne Roumanoff bien sûr), j’ai comme l’impression que le registre de l’humour reste une chasse gardée masculine et que les femmes doivent faire doublement leurs preuves. Je me trompe ?
Anne Depetrini : Je suis d’accord avec toi, que l’humour reste un domaine dominé par les hommes. Je pense qu’une femme qui fait rire est un peu menaçante pour un homme, dans la mesure où il sait qu’elle n’est pas dupe (vieille réflexion féministe !), mais ça viendra, ça vient déjà. Et vivement qu’on se sente autorisées à faire rire parce qu’on a une autre façon de faire rire. Et vive Anne Roumanof !
LC : C’est vrai que ton film est furieusement drôle et qu’en tant que comédie on ne lui demande pas forcément de colmater la fracture sociale ni de trouver une solution au conflit israélo- palestinien, mais je t’avoue que je suis restée un peu sur ma faim sur le dénouement des problématiques relatives à la femme et à l’Islam, en particulier en ce qui concerne l’épisode de la sœur chassée par le frère ainé car ayant enfanté un « bâtard ». J’ai trouvé les excuses de Djalil : « Je t’ai soulé » aussi décevantes qu’inachevées. Un cataplasme sur une jambe de bois. Pourquoi ne pas avoir été plus loin ?
Anne Depetrini : Avec l’histoire de la « sœur répudiée », je voulais montrer une des raisons pour lesquelles on ne se comprend pas entre « français et arabes ». La situation et les mots employés sont évidemment très violent aux yeux de Justine (ils le sont objectivement !). Mais Djalil s’est trouvé totalement démuni devant toute cette salade. En tant que fils aîné, il a cru que ses parents attendaient de lui une réaction violente. Et il se sent coupable d’avoir exclu sa sœur de la famille, tout en ne sachant pas comment il aurait pu réagir autrement. Mais dans les faits, cette sœur répudiée finira par revenir dans la famille (elle est d’ailleurs présente à la fin avec son fils Clément lors de la fête de fin d’année… C’est pas évident à voir je sais…). Je voulais montrer qu’on a les mêmes problèmes dans toutes les familles (françaises, arabes, malgaches, chypriotes…), mais qu’on différentes façons d’y faire face. C’est souvent cela qui créé l’incompréhension entre les cultures.
LC : Ceci étant dit, Il reste du jambon ? est avant tout une bonne tranche de rire assaisonnée avec tout ce qu’il faut pour faire un vrai carton : un sujet d’actualité, des dialogues à fort potentiel culte et un comique implacable. Donc ma belle, drôle et brillante Anne, je ne m’inquiète pas pour toi, ton film va péter la baraque.
Merci d’avoir partagé ce moment avec nous.