Les foules m’effrayent.
Toutes les foules : celles, joyeuses, des stades et des fêtes ; celles, exaltées, des meetings et des cérémonies ; celles, furieuses, des manifestations…
La foule, ce n’est plus une collection d’individus, chacun doté d’une raison, d’une initiative personnelle, et, bien sûr, d’un minimum d’esprit critique. C’est un corps unique, monstrueux, aux réactions imprévisibles…
L’on peut faire, dans la foule, des gestes dont on se garderait ailleurs : hurler des slogans imbéciles (tout slogan, par définition, est imbécile : formules toutes faites, forcément injustes et fausses… le mot, paraît-il, signifie « cri de guerre ». C’est dire.), chanter, sauter sur place, se mettre à courir ou s’arrêter sans rime ni raison… Cellules, privées d’autonomie, d’un gigantesque organisme, nous agissons de manière automatique… ayant perdu toute pudeur et tout sens du ridicule. Jusqu’à l’horreur, parfois : combien sont morts, écrasés dans un mouvement de panique ? Chaque année, à la Ka’aba de la Mecque, l’on compte plusieurs centaines de victimes… Et tout récemment, lors de la Love Parade de Duisburg, on a relevé trente-neuf morts, écrasés lors d’un mouvement de panique dans un tunnel…
Même si je suis à peu près immunisée contre les exaltations collectives (on ne me fera jamais chanter ni hurler en chœur !), j’ai parfois senti au fond de moi, en de telles circonstances, une dangereuse exaltation Heureusement, un sens aigu du grotesque me servit toujours d’antidote : et immédiatement, je me sentis extérieure, étrangère à cet enthousiasme général, tellement artificiel…
Mais ce qui m’effraie le plus, c’est le spectacle de foules en colère, galvanisées par les hurlements hystériques d’un orateur quelconque : sautant sur place, poing dressé, chacun n’est plus alors qu’une bête furieuse prête à tuer, un soldat de n’importe quel Djihad, capable de lyncher l’ennemi qu’on lui aura désigné…
Le seul antidote au fanatisme, de quelque bord ou de quelque religion qu’il soit, c’est l’isolement de l’individu avec lui-même. C’est pourquoi politiques et religieux s’acharnent tant à rassembler le maximum de monde, dans les mosquées, les églises, ou les places publiques…
Brassens l’anarchiste avait raison :
« Bande à part, c’est ma devise et j’y tiens. Dès qu’on
est plus de quatre, on
est une bande de cons… »
Vive l’anarchisme ! Et surtout, vive l’individualité…