De la cuisine comme art, enchantement et subversion. Dans le...

Publié le 02 août 2010 par Mmepastel

De la cuisine comme art, enchantement et subversion.

Dans le récit Le Festin de Babette, il n’est presque rien dit de ce qui se passe dans la cuisine, lorsque ladite Babette dépense sa fortune inattendue à concocter un vrai dîner “à la française”. C’est secret. Pire, c’est magique (voire impie) :

“Maintenant, la femme aux cheveux noirs et le garçon à la tignasse rousse, semblables à une sorcière et à son esprit familier, avaient pris possession des régions interdites au reste du monde. Les dames de la maison n’auraient pu dire quel feu on y avait allumé ni dans quels chaudrons on faisait bouillir la soupe dès avant le jour.”

Dans l’austère demeure des soeurs âgées de Berlewaag, au coeur de l’austère communauté de ce fjörd norvégien où tout est mesure et piété modeste, Babette, servante au passé glorieux dans les cuisines du meilleur restaurant de Paris, concocte un dîner en forme d’enchantement : soupe à la tortue, cailles en sarcophages, vins rares…

En dépensant les dix-mille francs inéspérés qui auraient pu lui permettre de regagner son pays et de quitter ce monde étrange dans lequel elle était tombée, uniquement pour cuisiner un repas, Babette fait le choix du don, de l’instant, pour la beauté du geste de l’artiste.

Et les convives, si graves et sérieux, petit à petit, subissent une métamorphose : le général prend la parole et dit :

“En vérité, ce que nous avons rejeté nous est déversé en abondance. Car la clémence et la foi se sont rencontrées, la justice et la grâce ont échangé un baiser.” C’est son interprétation du bien-être qu’il ressent, d’ailleurs assez mal comprise de l’assistance, mais acceptée avec émotion.

Celle de Karen Blixen, la véritable magicienne, nous dit :

“On ne peut rien dire de précis sur ce qui se passa ensuite ; nul, parmi les invités n’en garda un souvenir exact. Pourtant, ils se rappelèrent tous la clarté céleste qui inondait la pièce, comme si une quantité de petites auréoles se fussent réunies pour ne plus former qu’une seule et glorieuse lumière.

Des vieilles gens taciturnes reçurent le don des langues ; des oreilles sourdes depuis des années s’ouvrir pour les écouter. Le temps lui-même se confondit dans l’éternité.”

Coquine Karen Blixen. Elle fait toucher par la grâce un repas voluptueux et dispendieux. Elle lui attribue les bienfaits d’un miracle. Ironie et tendresse entremêlées dans une langue ciselée comme un beau verre à vin.

Photographie du film Le Festin de Babette, avec Stéphane Audran, 1985.