C'est donc une question difficile ! D'accord, mais le cerveau, comment ça marche ? (Je vois que vous êtes têtus : je vais donc répondre à la question)
L'image ci-dessus est une vue "naïve" et pleine d'humour, qui tente de montrer la complexité de l'esprit humain. Elle contient pourtant une grande vérité :
Chacune de ces petites machines est censée représenter un petit bout de notre cerveau.
Chaque machine est par elle-même complètement stupide, mais l'intelligence finit par émerger des interactions imprévisibles entre ces petite machines stupides.
Et notre cerveau fonctionne bien comme ça !
Autrement dit, l'intelligence n'est pas une qualité intrinsèque, mais une qualité émergente : il n'y a pas de "zone de l'intelligence" dans le cerveau. C'est l'ensemble des interactions entre les parties (les fameuses circonvolutions du cerveau) qui créent l'intelligence globale de notre esprit.
Le cerveau, marche-t-il comme un ordinateur ?
On dit souvent que "le cerveau fonctionne comme un ordinateur". C'est à la fois vrai et faux :
Faux, parce que l'architecture et le mode de fonctionnement de notre cerveau n'ont rien à voir avec celui d'un ordinateur.
Mais aussi partiellement vrai, parce que, comme pour un ordinateur, on ne peut pas comprendre vraiment le cerveau sans séparer clairement le matériel (la "matière grise") du logiciel : l'esprit. Alors pour comprendre comment notre cerveau fonctionne il est en général inutile d'entrer dans les détails de l'anatomie du cerveau : il faut s'intéresser à l'esprit, le "logiciel" de notre cerveau. Et la question, bien plus claire, devient :
l'esprit humain, comment ça marche ?
Eh bien, notre esprit fonctionne effectivement comme une vaste société formée de millions de composants logiciels plus ou moins performants et plus ou moins spécialisés, que les informaticiens spécialistes de l'intelligence artificielle appellent "agents".
Il existe des agents de "très bas niveau", comme celui qui, dans notre système visuel, est chargé de repérer les lignes horizontales. Et d'autres agents de plus haut niveau, comme "jouer", "marcher", "obéir".
Entre ces deux extrèmes, une foultitude d'agents intermédiaires comme "refaire", "chercher les causes possibles","comprendre ce qui est vu", etc.
Mais on peut quand même discerner un semblant d'ordre au milieu de tout ça : ces millions d'agents qui forment la "société de l'esprit" (le terme est de Marvin Minsky, un chercheur en intelligence artificielle) sont en effet organisés en cinq niveaux :
- Les modalités sensorielles : Sous ce nom pompeux se cachent tout simplement nos sept sens (eh oui, sept et pas cinq) : la vue, l'ouïe, le toucher, l'odorat, le goût, l'orientation spatiale (fournie par l'oreille interne) et la proprioception (le sens qui fait que nous connaissons la position de nos membres, même les yeux fermés). Le rôle des modalités sensorielles est de récupérer les informations fournies par tous ces capteurs, et de fabriquer des percepts, qui sont (je simplifie) des synthèses de ce qui est perçu. Signalons aussi que les modalités sensorielles sont également impliquées dans nos actions : on parle en fait de système sensori-moteur
. - Les concepts : Le niveau des concepts regroupe des agents qui vont chercher dans les percepts fournis par les modalités sensorielles des choses qui perdurent, qui se répètent, qui vont toujours ensemble, ou au contraire qui s'excluent, ou encore des percepts qui sont uniques et sortent de l'ordinaire : pour chacune de ces choses ils créent un concept, qui va rester dans notre mémoire un certain temps : quelques secondes si le concept ne s'avère pas utile, toute notre vie dans le cas contraire. Et qui juge de l'utilité des concepts ? Réponse : Les agents du niveau au dessus, celui des pensées.
- Les proto-pensées : Les proto-pensées sont des "phrases" qui "articulent" des concepts ensemble. Attention, il s'agit à ce stade d'un langage non verbal : Un chien qui porte un os dans sa gueule et qui pense à pencher à la tête pour franchir les barreaux d'une grille pour que l'os passe possède ce niveau de "pensées", bien qu'elles ne soient pas verbalisés. Une catégorie particulière de proto-pensées, ce sont les idées. A la différence des concepts, les proto-pensées ne sont pas permanentes, elles existent pendant peu de temps. En réalité, il s'en forme des milliers à chaque seconde dans notre esprit, la plupart complètement idiotes, et seules quelques unes perdureront assez pour devenir de vraies pensées.
- La délibération : Les agents de ce niveau s'intéressent aux (proto)pensées qui font quelque chose, ou qui ont pour but de planifier des actions (lesquelles actions sont aussi bien de "vraies actions" que des actions purement mentales : plans, stratégies de résolution de problèmes, etc.) Les concepts centraux du niveau délibération sont en effet des buts et des sous-buts.
- La conscience : Les quatre niveaux précédents sont tous des niveaux "inconscients". En réalité, la conscience contient un filtre à pensée, qui évalue l'intérêt des pensées par rapport à des buts, et qui sélectionne six ou sept idées, pas plus, qui vont être analysées en profondeur à ce niveau. Lorsqu'une pensée est sélectionnée pour faire partie du groupe des "élus", elle devient consciente, tout simplement parce qu'elle est traitée par les agents du niveau "conscience". Pour accomplir sa tâche, les agents de ce niveau font appel aux émotions, qui sont des concepts assez spéciaux et internes à la conscience, et également à un agent (très) spécial qui s'appelle "le moi".
Et alors ?
Attention, la description ci-dessus est outrageusement simplifiée : vous vous doutez bien qu' il n'est pas possible sur une simple page web de décrire tout l'esprit humain ! Les modalités sensorielles, par exemple, occupent plus des trois quart de notre cerveau ! Il s'agit d'un système extrêmement sophistiqué, qui effectue des milliards de calculs par seconde...De plus, cette 'organisation en niveaux n'est pas si hiérarchique qu'on pourrait le supposer : en réalité les cinq niveaux communiquent tous entre eux et le réseau de leurs relations forme un vrai plat de spaghetti !
L'architecture de l'esprit humain.
L’architecture globale de l’esprit suit le schéma suivant :
Le schéma ci-dessus, décrit un système clos, dont les entrées sont les perceptions et les sorties les actions de nos muscles. Ce système est formé de sous–systèmes, qui possèdent un certain nombre d’entrées et de sorties : il est possible alors que certains de ces sous-systèmes puissent être décomposés exactement de la même manière, c’est à dire que l’on aurait une architecture fractale.
Les différents niveaux : modalités sensorielles, concepts, pensées, délibération, buts et conscience se retrouvent dans ce schéma sous forme de boîtes. Nous avons rajouté d’autres boîtes, comme celle qui contrôle les réflexes, et la mémoire à court et à long terme. Il manque certainement d’autres boîtes comme celles qui seront chargées de la régulation de l’ensemble du système.
Il est bien clair que ces boîtes sont en elle-mêmes extrêmement complexes, et que l’ensemble représente probablement l'équivalent de millions de lignes de code informatique. Par exemple la boîte que j’ai simplement marquée « réflexes » incorpore presque tout ce qui est réalisé dans le cervelet chez l’être l’humain, ainsi que toutes les fonctions de l’archéoencephale, en particulier la coordination de la posture corporelle, de la marche, etc. Autant dire qu’elle est un mini-esprit complet, avec son imagerie, ses concepts et ses pensées, mais qui est simplement plus rapide que l’esprit « général ».
L’imagerie sensorielle, qui contient les codeurs-décodeurs de nos sensations et de nos actions motrices, est également, comme nous l’avons vu, un sous-système extrêmement complexe, qui dans l’esprit humain représente la moitié environ du cortex (hémisphère gauche pour le langage et la logique, droit pour l’imagerie et la pensée visuo-spatiale).
La boîte « concepts » est chargée de la création, de la modification et de la destruction des concepts, ainsi que de l’activation de l’imagerie sensorielle associée à chaque concept, ainsi que de la coordination avec le système « analogie » qui détecte les analogies entre concepts, et de la coordination avec le système de détection des régularités et des invariants, ces deux modules permettant ensuite d’engendrer les pensées. Enfin le niveau « concept » est chargé de l’enregistrement dans la mémoire à long terme de ces concepts. On peut estimer que l’esprit humain contient des centaines de millions de concepts.
La boîte « pensées » constitue, avec celle des concepts, le cœur du système. Elle est chargée de la création de nouvelles pensées à partir des régularités trouvées dans les concepts, et des analogies trouvées entre les concepts. A chaque seconde, elle engendre des centaines de nouvelles pensées, toutes parfaitement inconscientes. Enfin, parce que certaines pensées sont des buts, le niveau « pensées » est en interaction étroite avec le système de gestion des buts, et avec la boîte « censeurs » qui élimine les « mauvaises » pensées, celles qui sont incompatibles avec les super-buts, ou qui on produit des résultats très négatifs dans le passé.
La boîte « délibération » extrait parmi toutes les pensées produites celles qui sont intéressantes, soit par leur nouveauté, soit parce qu’elles « résonnent » avec certains des buts courants et peuvent aider à les accomplir. Le niveau « délibération » est d’ailleurs chargé du vaste travail de la résolution de problèmes, c’est à dire de la décomposition des buts de haut niveaux en buts plus simples. Enfin, le niveau délibération est en relation avec le niveau « conscience », il lui présente les « proto-pensées » susceptibles de devenir conscientes, et avec la boîte « langage » qui verbalise les pensées et active une imagerie sensorielle propre au langage.
Enfin, comme nous déjà expliqué en détail, la boîte « conscience » filtre les pensées en relation avec l’objet de l’attention à un moment précis, et choisit à chaque instant la pensée consciente du moment, qui est stockée dans la mémoire à long terme, et qui peut éventuellement devenir un nouveau « super but ». Le calcul de l’attention, c’est à dire la détermination des cinq ou six concepts et pensées auxquels il faut être particulièrement attentif, et qui sont stockés dans la mémoire à court terme, est lui même très compliqué et basé à la fois sur l’intérêt propre de chaque concept ou pensée, et sur les émotions courantes. Le niveau « conscience » peut d’ailleurs créer de nouvelles émotions, qui sont propagées dans tout le système.
Plus d'infos sur le fonctionnement du cerveau
Je vous encourage donc à lire mon livre L'esprit, l'IA et la Singularité, qui explique en détail (mais en restant compréhensible par tous) le fonctionnement de l'esprit. et du cerveau humain.Pour ceux d'entre vous qui se demandent s'il est possible de construire une intelligence artificielle générale, la réponse est _ici_.
Vous trouverez _ici_ plus d'infos sur l'architecture logicielle de cette IA
Enfin, vous aurez noté que la description que je donne de l'esprit humain est une description "mécaniste", qui considère que l'esprit peut être "reproduit" par une machine. En d'autre termes, selon cette description, l'âme n'existe pas et n'est qu'une illusion. Mais comme je suis ouvert à toutes les idées, tu trouveras, ami lecteur, des pages sur ce site qui disent le contraire... C'est à chacun d'entre vous de vous faire votre opinion sur cette question, et ce n'est certainement pas à moi de vous influencer. Simplement, pour faire un choix éclairé, comme ont dit, il faut se renseigner et creuser la question un peu plus loin que les inepties qu'on trouve dans les magazines grand public sur la psychologie... Lisez donc L'esprit, l'IA et la Singularité, après on en reparle !