Il n’est pas simple de toucher en mots là où la vie fait
mal ; cela demande beaucoup de réserve, retenue, litote, écart… Dans ce
petit livre, le titre freine déjà, atténue : « un peu
silencieux ». On l’entend en écho à Une
petite fille silencieuse de James Sacré, mais toute la distance tient au
« un peu ». On retrouve l’écart dans le passage du rapport attendu
je/tu à un rapport je/il. Et c’est bien dans cette considération de l’autre que
tout se joue. Si l’autre est silence, il faut d’autant plus d’écoute pour
comprendre les signes d’une langue qui passe par le corps : « il
court en tous sens quadrillant le jardin la maison en une marelle aux règles
inconnues « (p.39), « il s’enroule dans sa couette rit fou dans son
sommeil » (p.40)
Aucune dramatisation chez Amandine Marembert, plutôt une infinie patience et
une attente, un accueil de ce mutisme pour entendre « le mystère des
questions laissées sans réponse » par le comportement de l’enfant.
Il est beau également qu’elle retourne la relation adulte/enfant. Le don, la
position de pouvoir ou de savoir peut s’inverser : « il m’apprend à
déchiffrer les interlignes / à soupeser un regard / ses bras et ses mains sont
les panneaux indicateurs d’une ville enchevêtrée » (p.29). Le choix d’une
écriture en vers libre et de poèmes très courts (3 à 5 vers) donne à cet
ensemble une allure de diaporama : une suite d’instantanés s’enchaînent
sans jamais se fixer, s’appesantir. Très peu de moyens sont mis en œuvre :
le je du poète, le il de l’enfant, et comme seul décor la maison, le jardin. A
partir de cette base très simple sont saisis des moments, des gestes, des
désirs, des plaisirs, des douleurs… La vie file dans ces pages comme de
l’eau ; elle irrigue mais laisse transparente cette « énigme posée
aux quatre coins du jour » (p.33).
L’émotion passe sans peser : on comprend peu à peu le dessin de Diane de
Bournazel en couverture : un enfant-carpe. Et quel enfant, muet ou non,
n’est pas carpe face à ce qui, dans le réel, lui semble inhabitable ? La
force de ces poèmes tient peut-être à ce qu’ils ramènent chacun à ses propres
silences, à ses façons de « garantir sa coquille ». Fragilité
d’exister, fragilité de la relation à autrui, fragilité du langage… La poésie
ne dit sans doute pas autre chose, mais celle d’Amandine Marembert a ici le
grand mérite d’être immédiatement lisible, donc partagée, même lorsque
« la conversation se montre véritablement accessoire » (p.24).
par Antoine Emaz
Amandine Marembert
Un petit garçon un peu
silencieux
Dessins de Diane de Bournazel, Ed. Al Manar, col. Poésie
45 pages, 14 euros