par Nicolas HERVIEU
Un homme d’affaire néerlandais a, entre 1984 et 1988, fourni à l’Irak de Saddam Hussein le principal composant chimique nécessaire à la fabrication du « gaz moutarde ». Ce gaz fut alors utilisé dans la guerre contre l’Iran mais aussi contre la population civile irakienne, et en particulier la minorité kurde. Poursuivi aux Pays-Bas, il fut condamné à dix-sept ans d’emprisonnement pour “complicité de violation des lois et coutumes de la guerre dans des conflits non-internationaux et internationaux“.
La requête soumise à la Cour européenne des droits de l’homme dans cette affaire ne dépassera pas le stade de la recevabilité. En effet, les juges strasbourgeois déclarent manifestement mal-fondés les griefs du requérant, tant en ce qui concerne l’article 6 (droit à un procès équitable - § 65-70) que s’agissant de l’article 7 (pas de peine sans loi). Cette dernière allégation de violation reposait sur l’argument selon lequel l’incrimination pénale néerlandaise était insuffisamment précise et prévisible du fait de son renvoi au droit international. Après avoir écarté comme non-pertinent les rapprochements faits par le requérants entre l’utilisation du gaz moutarde et celle des bombes au napalm au Vietnam ainsi que des armes nucléaires (§ 74-76), la Cour rappelle ses principes jurisprudentiels en la matière (§ 78 - V. Cour EDH, G.C. 17 mai 2010, Kononov c. Lettonie, Req. n° 36376/04 - Actualités Droits-Libertés du 18 mai 2010 et CPDH même jour) et procède à une analyse des exigences du droit international quant à l’usage d’armes chimiques (v. le descriptif des instruments et pratiques internationaux à ce sujet : § 23-57). Or, les normes internationales invoquées par les juridictions néerlandaises sont considérées comme présentant une précision telle qu’au moment des faits litigieux, le requérant pouvait prévoir que ses actes seraient susceptibles de faire l’objet de sanctions (pour une solution inverse, v. Cour EDH, G.C. 19 septembre 2008, Korbely c. Hongrie, Req. n° 9174/02 - Actualités Droits-Libertés du 23 septembre 2008 (2)).
Selon la Cour, le protocole signé à Genève en 1925 concernant “la prohibition d’emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques” (§ 23-26) s’appliquait tant à l’Irak qu’à l’Iran (§ 87). Surtout, et plus largement, cet instrument - confirmé par la Convention sur les armes biologiques de 1972 (§ 37-39) - est considéré par la Cour comme une disposition textuelle ayant initié la formation d’une coutume internationale (v. cette technique au § 88 - « it is possible for a treaty provision to become customary international law. For this it is necessary that the provision concerned should, at all events potentially, be of a fundamentally norm-creating character such as could be regarded as forming the basis of a general rule of law; that there be corresponding settled State practice; and that there be evidence of a belief that this practice is rendered obligatory by the existence of a rule of law requiring it (opinio iuris sive necessitatis) »). L’identification d’une pratique répétée et constante des États (§ 90) confirmée par les organes des Nations-Unis (§ 91) et d’une opinio juris quant à l’existence de son caractère obligatoire (§ 90) conduit la juridiction strasbourgeoise a estimer qu’au moment des faits, il existait “une norme de droit international coutumier […] prohibant l’usage de gaz moutarde comme arme de guerre dans un conflit international“ (§ 92 - « a norm of customary international law existed prohibiting the use of mustard gas as a weapon of war in an international conflict »). Par ailleurs, puisque la nature internationale des attaques chimiques dirigées contre la population irakienne est contestée (§ 93), la Cour relève qu’une “règle de droit international coutumier prohibe l’usage d’armes chimiques par les États contre les populations civiles de leur propre territoire“ (§ 94), ceci en s’appuyant tant sur l’article 3 commun aux conventions de Genève de 1949 (§ 31) que sur l’arrêt Tadić de 1995 du Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (§ 56).
En conséquence, “la nature criminelle de l’usage du gaz moutarde aussi bien contre un ennemi dans un conflit international que contre la population civile présente dans des zones frontalières affectées par un conflit international” ne faisait pas de doute (§ 96 - « there was anything unclear about the criminal nature of the use of mustard gas either against an enemy in an international conflict or against a civilian population present in border areas affected by an international conflict »). Au terme de cette décision par laquelle la Cour démontre une nouvelle fois sa capacité à identifier des normes de droit international pour la répression de crimes graves dans un contexte international (pour un autre exemple, v. Cour EDH, 5e sect. Déc. 17 mars 2009, Ould Dah c. France, Req. n° 13113/03 - Actualité Droits-Libertés du 30 mars 2009), la requête dirigée contre les Pays-Bas est donc déclarée irrecevable car manifestement mal-fondée (§ 97).
Van Anraat c. Pays-Bas (Cour EDH, Dec. 6 juillet 2010, Req. n° 65389/09) - En anglais
Actualités droits-libertés du 27 juillet 2010 par Nicolas HERVIEU
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