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Le nom de Toutatis est bien connu de tous les Français, non pas tellement parce que tous auraient lu Lucain, cet auteur latin du temps de Cicéron (Ier siècle av. J.-C.) qui est le seul à le mentionner, mais bien plutôt parce que tous ont encore en mémoire l'une des expressions les plus employées par Astérix et ses compagnons : Par Toutatis ! Ainsi, la grande exposition qui s'est tenue à Lyon l'an dernier, et qui portait sur la religion de nos ancêtres, s'intitulait Par Toutatis ! La religion des Gaulois.
Pourtant... Toutatis est un dieu qui demeurait jusqu'à récemment totalement inconnu en Gaule. Lucain nous dit bien que la divinité est l'une des principales que vénèrent les Gaulois, mais aucune inscription n'en attestait la présence sur notre sol. Des documents épigraphiques étaient pourtant connu ailleurs en Europe, l'un provenant de Rome, un autre de Seckau en Autriche, les autres de Old Carlisle en Grande-Bretagne.
Et bien, amis gaulois, rassurez-vous : cette anomalie appartient désormais au passé, grâce au travail de l'archéologue Bernard Clémençon. En étudiant le matériel provenant de la fouille du sanctuaire de Beauclair (Combrailles), aux confins du Puy-de-Dôme et de la Creuse, le savant a découvert cinq fragments de céramique sur lesquels il a pu déchiffrer le terme TOTATVS. La graphie peut surprendre, mais il est normal qu'elle ait varié dans le temps et l'espace : le gaulois a évolué, comme toutes les langues, et n'était pas identique partout. Ainsi, on trouve chez Lucain Teutates, et dans les documents épigraphiques, de production plus celtique, Toutatis.
L'objet est datable de la fin du IIème siècle ou du début du IIIème siècle ap. J.-C. : cette découverte est une nouvelle preuve, d'une importance paticulière, que les cultes celtiques restèrent bien vivaces dans la Gaule romanisée, et ce longtemps après la conquête. Par ailleurs, B. Clémençon semble avoir également découvert un relevé datant de la fin du XIXème siècle, de la main de l'érudit clermontois Ambroise Tardieu : il représente un vase, aujourd'hui perdu, sur lequel figurait le nom de Toutatis. La très vieille terre arverne pourrait ainsi regagner une nouvelle importance dans les études sur la religion des Celtes de l'antiquité.Pourquoi le nom du dieu aurait-il été gravé sur un objet en céramique ? En attendant qu'il ne soit étudié plus en détail et publié [1], on ne peut faire que des suppositions. Le plus probable est qu'il s'agissait d'un objet votif, déposé dans le sanctuaire pour être offert au dieu. Eventuellement, l'inscription a pu être gravée sur une représentation du dieu.L'épigraphie d'époque gallo-romaine livre régulièrement de nouveaux noms de dieux celtiques, mais dans ce cas, la découverte revêt un sens d'une grande profondeur : Teutates/Toutatis est le dieu de la tribu, en gaulois teuta (cf. français "tous") ; le suffixe -ti marque les noms d'action ou d'agent [2] : Teutates est donc "celui de la tribu", "(le dieu) qui agit pour la tribu". Ce nom formé sur un substantif commun révèle une part de l'esprit religieux des Celtes : le dieu de la tribu, on ne le nomme pas, pour s'en réserver la puissance.
En effet, les religions pré-chrétiennes d'Europe ne fonctionnaient pas sur l'exclusive, et considérait toujours avec respect ou crainte les dieux des autres peuples ; on pouvait ainsi, à l'occasion, invoquer un dieu du voisin, si cela paraissait nécessaire, par exemple en cas de conflit, pour s'en garantir la clémence. On craignait donc aussi, logiquement, de voir ses propres dieux abandonner la communauté et aller protéger un autre groupe (dans ce qui serait l'équivalent de l'euocatio romaine). Les différents peuples gaulois désignaient donc leur dieu tutélaire, le dieu avec lequel leur groupe entretenait des relations particulières, par le terme générique Toutatis, le dieu de la tribu, celui qui la protège et en assure la pérennité. Ce dieu capital représentait donc à la fois l'âme du peuple et le garant de sa survie. Pas étonnant que Lucain en ait fait l'une des principales divinités gauloises, ni que ses attestations soient rares. Toutatis était à la fois omniprésent dans l'esprit des Celtes et le plus mystérieux des dieux.Curieuse découverte, à l'heure où la Gaule semble devoir disparaître : peut-être devrions-nous entendre ce dernier appel du dieu de nos ancêtres, et se souvenir de leur antique fidélité envers leurs communautés.[1] On peut consulter en attendant l'article du Monde : http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3244,36-990203,0.html?xtor=RSS-3244[2] P.-Y. Lambert, La langue gauloise, Paris, 1997, p. 58-59.
Amaury Piedfer.(merci à Marie)