Ce livre a été sur les gondoles les plus visibles des librairies. Il méritait d'être lu, même si je signale d'habitude des ouvrages moins médiatisés....
Voici donc une petite fiche de lecture.
A la fermeture du live, j'ai hésité : s'agissait-il de géohistoire ? ou d'une méditation historique sur le "destin" de la France ? Je crois que c'est cette deuxième version la meilleure, même si je n'ai pas de critère pour justifier mon interprétation. Cela est forcément subjectif. Disons que le lien à l'espace et à l'enracinement territorial me semble au mieux discret, ce qui empêche la qualification de géohistoire (dont aucune définition agréée n'existe vraiment).
Il y a dans le texte incontestablement des aperçus originaux, et des éclairs de style qui rendent l'ouvrage tout sauf ennuyeux : il ne s'agit pas d'une énième "histoire de France", mais d'une tentative de dégager un sens à cette histoire. Une "interprétation", au premier sens du terme. Dans la tradition culturelle qui envisage un "sens" à l'histoire, depuis Hegel et Marx jusqu'à Spengler ou Toynbee. Or, ce sens de l'histoire n'est pas une tradition des gens de gauche (malgré Marx et sa descendance) mais plutôt de ceux de droite, qui sont d'ailleurs volontiers pessimistes (et déclinologues).
Le propos du livre est le suivant : la France a depuis toujours vocation à succéder à Rome, l'antique Rome, la fière et l'impériale Rome. Mais si elle a parfois effleuré ce destin, elle ne l'a jamais atteint, s'y perdant. Car bien sûr, c'est toujours "un autre" qui fait un "croque-en-jambe" au dernier moment et qui empêche d'arriver au but.
Ce propos est illustré d'aperçus parfois fulgurants, souvent iconoclastes et volontiers provocateurs, mais la plupart du temps sincères, même si l'auteur ne résiste pas à un bon mot ou au goût si français du "spirituel".
Il s'ensuit une rétrospective historique qui ravivera les souvenirs de certains, heurtera ceux des autres, mais sera toujours intéressante.
Je signalerai surtout les trois derniers chapitres. Celui sur le commissaire est une dénonciation un peu classique des errements de la construction européenne. L'auteur y voit la conception classique de l'Europe puissance, d'une Lotharingie ressuscitée. On sait toutefois l'échec annoncé de cette vision : pas seulement à cause de la renaissance allemande, mais aussi à cause des élargissements. Cette vision là est moribonde, incontestablement. Signifie-t-elle pour autant que le projet européen soit mort ? je n'en suis pas sûr (même si je n'en suis pas non plus convaincu)....
Celui sur le Belge parie sur l'éclatement inéluctable de la Belgique (annoncé sur égéa depuis maintenant deux ans). On y voit un réflexe "à l'ancienne" qui voit l'annexion possible de la Wallonie, et l'extension vers le modèle des "frontières naturelles", comprendre le Rhin. Cet exemple illustre la grammaire intellectuelle de Zemmour, finalement très classique, très "Mallet et Isaac" : annexions, agrandissement, démographies, selon des lois géopolitiques anciennes, certes pertinentes, même si cette pertinence n'a plus le monopole de la description du réel. Car il y a, aujourd'hui, de nouvelles règles post-westphaliennes qui remplacent, peu à peu et malaisément, le corpus classique que récite Zemmour.
Le dernier chapitre, enfin, sur "la chute de Rome", constitue une belle pièce de littérature, et est convaincant. Il parle de démographie, de façon très pessimiste (la panne de la francisation, p. 251). Autant le reste du livre paraît passéiste, autant ces lignes sont, peut-être, prophétiques... C'est certes le chapitre le plus polémique, celui où les fractures habituelles du débat français se font le mieux sentir (entre gauche bien pensante et droite décomplexée) mais c'est aussi celui qui, justement, nourrit le débat, si l'on veut bien aller au-delà des invectives.
Le titre du livre, finalement, est bien choisi. Cette "mélancolie" est un trouble de l'âme, un état un peu dépressif et forcément tourné ver le passé. La lecture des pages héroïques laissent parfois les adolescents rêveurs devant les hauts faits, se promettant qu'eux-mêmes, à la place de.., auraient fait aussi bien. Cette mélancolie est un moteur de l'action : car pour agir grandement, il faut avoir beaucoup rêvé. Et les rêves ne sont pas tous défaitistes.... Ceci pour apaiser la tonalité pessimiste de notre auteur, brillant par ailleurs, et dont le livre sera lu avec grand plaisir.
Réf:
- cette critique de l'express
- celle-ci de X. Malakine
- et celle-ci de "La lime"
- celle-ci de Marianne
- celle-ci du Nouvel Obs
- enfin, celle-ci d'Al -Har (site des musulmans francophones)
O. Kempf