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Une nouvelle de Gilbert MARQUES.

Par Ananda

 

LE MENSONGE DE L’ARTISTE OU…

L’ŒUVRE DE VÉRITÉ ?

   Guilhem, depuis plusieurs jours déjà, planchait studieusement sur une réflexion de Jean COCTEAU qui aurait écrit :

   « Je suis un mensonge qui dit la vérité »

Pareille formulation intriguait le poète qui ne parvenait pas à cerner avec clarté ni certitude ce qu’elle signifiait. Aussi relut-il pour la ixième fois ce que cette phrase, pas aussi simple qu’il paraissait, lui avait inspiré.

   «  A chacun sa vérité »,

prétend un dicton populaire. Cette formule lapidaire, dans son énoncé péremptoire, n’admet apparemment aucune contradiction. Cependant, malgré sa brièveté, elle implique de multiples interprétations et, notamment, une variation infinie sur la notion de vérité entraînant de facto celle de son contraire, le mensonge.

Parmi les diverses possibilités, plusieurs viennent à l’esprit mais une des plus significatives peut se résumer ainsi : la vérité décrétée par un individu ne correspond pas nécessairement à celle d’un autre pouvant dès lors la qualifier de mensonge. Certes, c’est aller vite en besogne et trancher peut-être un peu trop vivement mais le résultat s’impose au terme de l’analyse. Vouloir inculquer SA vérité comme la seule et unique valable relève à la fois de l’utopie et de l’intolérance mère de tous les extrémismes. Par un raccourci osé, il pourrait être conclu que transformer une vérité individuelle en vérité universelle revient à ouvrir la porte à tous les abus de pouvoir. Dès lors, celui qui endosse une telle responsabilité s’expose automatiquement à la contradiction qu’il décrétera mensonge. Ce fut et demeure, depuis les temps les plus reculés, les arguments employés par les puissants interprétant des idées philosophiques pour asservir les peuples sous prétexte de vouloir faire leur bonheur malgré eux Ils les appliquent en définissant des intérêts sociaux, politiques ou religieux souvent sous formes dictatoriales et dans le sang des contradicteurs déclarés vivre dans le mensonge. Ces… menteurs, les victimes, n’ont pas obligatoirement tort sauf celui de n’avoir pas la même vérité que celle imposée. Ce sont celles dictant les lois et la morale. Il en existe pourtant d’autres naissant d’évidences et qui s’y opposent. Elles sont autrement appelées « lois de la nature ».

Indéniablement, il n’y a pas une seule vérité mais une multitude. Par voie de conséquence, le mensonge relève du même processus. Donc, si l’une et l’autre sont à la fois identiques et antinomiques, ils restent tributaires d’un ensemble de fonctions constituant un individu. Son environnement va influencer son esprit.

Pousser le raisonnement plus avant permet également de démontrer que deux personnes appartenant à un même groupe social, ayant reçu une éducation identique et vivant de façons à peu près similaires, auront malgré tout de la vérité une vision sensiblement différente. Pour autant, l’une ne mentira pas par rapport à l’autre. L’une interprétera seulement autrement une même chose par rapport à l’autre. Affirmer qu’une se trompe et donc que d’une certaine manière elle ment, s’apparente à une hérésie. Par contre, considérer sa version revient à ouvrir son esprit à d’autres possibilités d’interprétation. Accepter d’écouter veut simplement dire s’enrichir et, pourquoi pas, remettre éventuellement l’acquis en question. Problème de choix : ou bien vivre selon sa propre vérité ou bien, comme une majorité réputée silencieuse, selon les mensonges conventionnels ou institutionnels. De là à conclure que vérité et mensonge n’existent pas réellement n’est pas dénué de sens puisqu’il s’agit de notions qui, en tant que telles, restent sujettes à caution. En effet, selon les époques et les lieux, elles acquièrent des significations variables

Dans l’absolu, toute idée rassemblant un minimum d’individus autour d’elle peut se transformer d’utopie en une certaine vérité puisqu’elle unit des gens ayant certaines convergences d’intérêt. Ainsi sont apparus les partis politiques, les religions et tout ce qui agglomère une masse. Mais si en aparté quelqu’un interroge séparément les membres d’une même communauté, il apparaîtra très vite, à des détails infimes, qu’émergent des différences d’interprétation du dogme général. Il s’agit là seulement d’une question de compréhension et non de trahison. Par définition, chaque être humain est unique. Le résultat des confrontations est donc conforme à cette logique qui se traduit le plus souvent par l’expression

- D’accord oui mais…

si chère aux parlementaires se prévalant de démocratie.

   Guilhem en était là de ses cogitations sur le thème du mensonge et de la vérité lorsqu’il se dit être sans doute hors sujet. Après tout, COCTEAU avait été un artiste et peut-être avait-il voulu définir au moyen de ces quelques mots, son rôle d’homme au travers de cette condition. Cette question fondamentale taraudait beaucoup de créateurs et Guilhem se la posait aussi sans parvenir encore à trouver de réponse satisfaisante.

Vivait-il, en tant que poète, dans le mensonge ou la vérité ?

Le public parfois, les journalistes souvent lui demandaient la même chose mais autrement :

- Vos œuvres sont-elles autobiographiques ou purement fictives ?

Voilà qui revenait à vouloir savoir s’il racontait sa vie ou l’inventait.

Peu enclin à se dévoiler, il répondait généralement par une pirouette. Ce n’était pas réellement refus de divulguer son intimité créatrice ou même pudeur. Il s’agissait beaucoup plus simplement d’une incapacité à répondre qu’il ne pouvait surmonter. Après quarante ans de carrière, il ne savait toujours pas.

- Mais c’est aberrant,

lui rétorquaient certains curieux impénitents croyant que tout auteur devait obligatoirement savoir faire la part des choses. A vrai dire, Guilhem se moquait de définir si ces œuvres étaient autobiographiques, donc imprégnées d’une certaine vérité, ou bien issue de son imagination, ce qui les teintait a priori d’une forme de mensonge, de mystification plus précisément.

Pourquoi fallait-il que le public veuille connaître les dessous d’une œuvre et, au travers de détails sans importance, tenter de découvrir l’homme caché derrière les mots ? Pour Guilhem, ces interrogations existentielles n’avaient aucune utilité et surtout, aucun sens. Le pourquoi, le comment et surtout le pour qui il créait ne signifiaient rien de très révélateur. Il n’attribuait pas plus de valeur à ces questionnements qu’il n’en accordait à ceux tendant à savoir si c’était sa vie qu’il transposait ou celle de personnages imaginaires. Lui-même, en tant qu’individu, ne représentait rien dans cette société mercantile friande d’un voyeurisme auquel il refusait

de se prêter.

Il n’était qu’un ciseleur de mots et de phrases, un artisan qui, à tort ou à raison, estimait que l’essentiel de son travail résidait dans ce qu’il essayait de transmettre et de partager. C’était là son credo. Tout le reste, ce qui entourait l’œuvre de sa naissance à sa parution, s’avérait totalement subsidiaire. Il délivrait un message, pas une vérité. Il appartenait au lecteur de cheminer de mot en mot pour forger la sienne selon qu’il trouvait ou non de quoi nourrir son imaginaire.

Guilhem avouait presque naïvement mais il tenait à cette idée qu’il exposait volontiers, qu’écrire symbolisait avant tout, selon sa conception, un acte purement égoïste. Pour d’autres, il pouvait être thérapeutique, ludique ou émotionnel. Il le reconnaissait auprès de ceux qui lui en faisaient la remarque mais pour lui, il restait viscéralement égocentrique. A l’en croire, il serait resté un grand enfant se racontant des histoires. Peu importait de savoir si c’était pour s’amuser, pour passer le temps, pour gagner sa pitance ou pour n’importe quelle autre raison plus ou moins avouable. Seul le résultat comptait. Si un œuvre, une fois théoriquement achevée, ne lui avait pas procuré le plaisir qu’il escomptait, il devenait quasiment inutile de la livrer en pâture au public. Dans ce cas, elle ne lui transmettrait rien d’autre qu’un profond ennui. Pour Guilhem, il était inconcevable de parvenir à un autre objectif que celui recherché. Par contre, s’il avait éprouvé une certaine jouissance, il pouvait espérer communiquer une part de sa douleur créatrice mais aussi de la joie qu’il avait eue à se sacrifier. Tout ce travail d’introspection ne devait évidemment pas apparaître clairement mais seulement transpirer au travers de l’intrigue. Ainsi, après le plaisir égoïste de la création pure, Guilhem souhaitait partager celui de l’échange parfois surprenant. Ainsi découvrait-il d’autres dimensions à ses œuvres. Les gens les recevaient selon leurs propres critères et certains y ajoutaient autre chose que ce qu’il avait cru seulement y mettre. Ils les enrichissaient, les transformant alors en prétextes au dialogue devenant d’autant plus fructueux que les critiques, négatives ou positives, étaient fondées. Dès lors, Guilhem admettait sans sourciller que son œuvre ne lui appartint plus complètement. Elle vivait une autre existence, indépendante, qu’il ne maîtriserait plus jamais. Il s’enorgueillissait de ces mille autres facettes qu’elle acquerrait malgré lui, y voyant la preuve qu’elle avait touché le public.

   Dès lors, toutes les raisons, bonnes ou mauvaises, vraies ou fausses, tendant à justifier la création ne peuvent, selon Guilhem, qu’intervenir a posteriori pour tenter d’expliquer une démarche inexplicable et irrationnelle. Ainsi naquit une certaine défiance envers les biographies et plus encore envers les autobiographies.

Les biographes interprètent une œuvre en fonction de leurs propres critères et seulement à partir d’événements séquentiels jalonnant la vie d’un auteur. Ils livrent donc une vérité tronquée au travers d’une histoire partisane parce qu’aucun ne peut prétendre avoir suffisamment connu le créateur pour saisir tous les subtils méandres de sa pensée ou de son quotidien. Même l’être le plus proche, celui le côtoyant jour après jour, ne peut affirmer savoir ce qui se passe réellement dans son esprit.

Ceci  semble  d’autant  plus  vrai  à  Guilhem  que  partant  de  son

expérience, il lui arrive de ne plus se souvenir des circonstances ayant concouru à l’élaboration de certaines œuvres, notamment parmi les plus anciennes.

Vérité ou mensonge ? Désir de dissimuler une banale réalité ? Qui d’autre pourrait le dire hormis l’auteur se racontant dans une autobiographie ?

Cependant, qui accepterait humainement de se donner le mauvais rôle ? Le créateur, si sincère soit-il, n’en péchera pas moins par omission ne serait-ce que pour protéger une partie de son jardin secret.

Ainsi apparaît-il à Guilhem absolument aléatoire de raconter sa vie pour que des écrivains frustrés décryptent son œuvre. Le public doit se contenter du peu qu’il lui offre sans essayer d’en apprendre davantage. A ses yeux, l’important réside dans ce qu’il transmet, pas dans ce qu’il est ou est censé représenter. Certes, il s’inspire parfois de sa vie, de personnages rencontrés, de situations connues, de pensées ou d’idées qu’il nourrit ou encore de décors dans lesquels il a évolué mais de là à en déduire que les transcriptions qu’il en fait immortalisent son existence personnelle, il y a un pas important à ne pas franchir. Même s’il s’est approprié cette réflexion de MAURIAC selon laquelle un écrivain ne peut être crédible que s’il parle de ce qu’il connaît bien, il tient à conserver une part de lui dans l’ombre pour protéger les siens et surtout se protéger lui.

S’agit-il alors de sa part de… mensonges ? Est-il possible qu’il ait honte de certains épisodes de son existence au point de vouloir les dissimuler ? Ce brouillard planant sur l’homme permet toutes les hypothèses en entourant l’œuvre de l’écrivain d’un certain mystère. Ce jeu amuse Guilhem. Il a la conviction qu’après sa mort, des biographes bien intentionnés fouilleront dans les décombres de son passé pour découvrir cette vérité sur laquelle ils bâtiront leur thèse afin de l’inculquer plus tard à des étudiants avides ou à des amateurs éclairés. Peut-être en trouveront-ils une mais ce sera uniquement la leur, pas celle de Guilhem. La sienne, la seule, la vraie, l’unique à multiples facettes, il l’emportera avec lui sans rien en révéler à personne. Eventuellement, seuls ses intimes pourront partiellement lever un coin du voile au travers de ses écrits, réminiscences de leurs souvenirs, sous réserve le plus souvent de bien les déchiffrer mais s’y intéresseront-ils ? Rien n’est moins sûr puisqu’ils le connaissent sous d’autres aspects. Ils côtoient l’homme, le père, le mari ou l’ami. Habitués aux fantasmes de l’écrivain, ils les considèrent comme des évidences sans grand intérêt. Cette aptitude à brouiller les cartes constitue l’essentiel du métier de Guilhem. D’ailleurs, il prend parfois un soin tout particulier à prévenir ceux qui exigent d’en savoir toujours plus.

- Le travail du poète, du romancier que je suis, consiste à faire vivre des personnages et des situations qui n’existent pas nécessairement mais qui pourraient éventuellement se matérialiser dans la réalité. Une histoire reste une histoire et ne découle pas obligatoirement de la vérité, du vécu. Lorsqu’elle se déroule dans un roman, elle doit être concentrée, débarrassée de tous les détails inutiles. Elle va à l’essentiel. Ceci implique que les personnages doivent également être outranciers, friser la caricature tout en demeurant crédibles. Je les fais naître et vivre, parler aussi, mourir parfois. Je dois pour cela créer des situations antagonistes, conflictuelles quelquefois.

Il faut par conséquent se garder de prendre la lecture au premier degré en l’assimilant à une autobiographie. Il convient de conserver assez de recul pour ne pas oublier qu’un roman reste seulement de la fiction. Je crée. Imaginer signifie que mes personnages ne sont pas moi et ne disent pas nécessairement ce que je pense en vivant des événements que j’aurais obligatoirement vécus. Je leur distribue des rôles, comme au théâtre, et je les vis simultanément avec eux. Le romancier existe pour et par son roman le temps de son élaboration. Quant à l’homme qui exerce ce métier, impossible de savoir. Le romancier se réalise au travers de plusieurs destins qui ne sont pas pourtant ni nécessairement les siens puisque l’homme n’en a qu’un. Alors oui cette attitude peut vous apparaître comme un mensonge expliquant que l’homme vit dans l’illusion par l’intermédiaire du romancier. De votre point de vue cartésien, sans doute avez-vous raison. Cependant, s’agissant pour moi de ma condition, vous ne pourrez rien changer à mes vérités. Vous pourrez me menacer de tous les bûchers de l’Inquisition que vous ne parviendrez pas à transformer mon passé et mon présent. Vous ne pourrez pas davantage m’obliger à avouer que j’évolue dans le mensonge pour adopter votre vérité. Je ne la perçois pas autrement que comme une idée différente des miennes donc discutable.

L’histoire, la vraie, celle de mon pays languedocien m’a appris la tolérance. Alors, qu’importe le mensonge ou la vérité à partir du moment où personne n’en souffre ? Chacun possède son jardin secret et le protège comme il peut…

Ainsi Guilhem conclut-il son discours, se disant qu’au fond, COCTEAU avait eu à la fois tort et raison de se décrire mensonge disant la vérité. Peut-être songeait-il à l’homme qui n’est qu’illusion et à l’œuvre qui lui survit ? L’un serait mensonge et l’autre vérité ? Guilhem veut bien en accepter l’augure mais seul COCTEAU savait ce qu’il avait voulu exprimer en transcrivant ce mystère sorti de son contexte et il n’était plus là pour répondre aux questions en suspens alors…

Texte tiré du recueil Nouvelles artistiques

MARQUÈS Gilbert


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