photo La Tribune
Après avoir irradié sur la scène culturelle algéroise La librairie Espace Noûn meurt dans le silence des étoiles L’Espace Noûn va fermer ses portes. La mort annoncée de cette expérience unique de librairie s’accomplit dans le silence des agonies solitaires. Et comme pour les morts acceptées, il ne s’agit plus que des derniers gestes qui mettent de l’ordre dans les affaires des défunts : ne rien oublier de rendre avant de refermer la porte et la tombe sur le rêve. Mais le projet de librairie Espace Noûn relève-t-il de l’ordre du rêve ou bien d’une autre projection ? Revenons à l’essentiel de ce projet. Le 4 ou le 5 janvier 2006, Nacera Saïdi et Tahar Arezki invitent les amoureux des livres et des arts à rencontrer, dans leur toute nouvelle librairie, Boudjemaa Karèche l’ancien directeur de la Cinémathèque algérienne. Ce signe pèsera-t-il sur le destin de leur librairie ? Pour ceux qui ne le savent pas, Boudjemaa Karèche a fait de la Cinémathèque algérienne un haut lieu de la culture cinématographique, un épicentre des échanges internationaux en matière de cinéma. Il continuait l’œuvre entamée par Ahmed Hocine. Mais au bout de sa vie professionnelle, Boudjemaa Karèche, sortait au plus bas échelon possible du classement de la fonction publique. Ouvrir une librairie autour d’un homme qui est, pour sa génération, le symbole de l’ingratitude de l’Etat envers un commis qui n’a rien négocié comme effort. Mais pourquoi Karèche a-t-il accepté de rester directeur non nommé de la Cinémathèque ? Parce qu’il aimait le cinéma ! Et il aimait le cinéma sous cet aspect musée du cinéma, sous cet aspect cinémathèque. Il n’y cherchait ni prestige, ni poste à l’étranger, ni carrière dorée. Karèche peut passer pour un naïf, un rêveur, voire un loser. Mais de prime abord, le rapport entre le destin de cette personnalité algéroise et l’Espace Noûn ne relevait pas de cet ordre de l’échec ou de la perte ou de l’irréalisme, mais plutôt de cet amour par vocation de l’art et de la culture. Bref, par ce signe qui ne trompe pas les «réalistes» qui voient immédiatement dans ce genre de démarche beaucoup de louable générosité, plus une dose létale de rêverie, mais aussi une belle opportunité pour leur propre promotion. Les réalistes restent des réalistes qui peuvent faire profit même des utopies.
La librairie ressemblait plus à une bibliothèque personnelle, à un salon, à un chez-soi qu’à une vraie librairie. Des cimaises couraient sous les plafonds, de véritables meubles fabriqués spécialement donnaient aux livres un petit air amical, convivial. La forme et la structure de ces meubles dégageaient beaucoup d’espace et de lumière. Et au fond, cela devenait naturel qu’un visiteur ait envie de s’asseoir et d’engager la conversation.
C’était fait pour cela. Boudjemaa Karèche inaugurait un cycle de rencontres qui n’allaient plus cesser et qui pouvaient réunir les invités autour d’un comédien, d’un poète, d’un livre politique, d’un peintre, d’un photographe. Bref, autour de créateurs sans exclusive ou de militants, etc.
L’Espace Noûn amenait un nouvel esprit, une autre approche et certainement un autre lien à la fonction de la librairie. La première caractéristique de ces débats et de ces rencontres résidait dans leur but autonome. On sentait bien que ni Nacera ni Arezki ne les organisaient pour vendre. Que ce soit vendre des livres ou autre chose. L’important restait le débat, l’échange, la controverse car il y en a eu parfois. A la longue, l’habitué pouvait s’apercevoir que les débats dans cette librairie exiguë ressemblaient par bien des aspects à un théâtre antique, à une agora ou à une re-mise en scène des idées : le créateur avait son public. Et entre les deux s’établissaient les rapports du non-accidentel, car les rencontres étaient permanentes. Elles n’attendaient pas la formalité de la dédicace. L’Espace Noûn suscitait les rencontres et ne les attendait pas. Cela finissait par enlever à ces rencontres le côté marchand, le côté commerce.
Non pas que le commerce des livres ne fut pas le métier de l’Espace Noûn ; il n’était pas sa vocation tout simplement. On baignait dans cette impression à l’intérieur de la librairie. Sans se rendre tout à fait compte. Il faut faire plusieurs fois le tour des titres pour s’apercevoir qu’on ne trouve aucun livre à vocation marchande. Ni livres techniques, ni livres de cuisine, ni livres de bricolage, ni livres de médecine, etc. Rien que de la littérature, de la poésie et des essais.
Et aussi des photos, des toiles, des caricatures, de la musique. Bref, cette librairie ne relevait pas seulement de l’irréalisme, mais aussi du défi. Cette librairie n’allait pas tenir seulement avec la littérature et la poésie ? Les débats, les échanges, les rencontres, c’est bien, mais «ça ne vend pas». Pas aussi vrai que cela. La même idée de débats reprise dans une autre perspective pouvait très bien donner prétexte à des activités et des profits annexes. Il suffirait pour cela de mettre le cosmétique nécessaire à l’idée de profit et au rapport marchand et la relation à visée commerciale et lucrative aurait revêtu les habits désirables de la culture.
Mais bien sûr que l’Espace Noûn a fait débat ! Les «réalistes» ne furent pas seuls à penser la question de la pérennité et de la rentabilité d’une librairie vouée aux arts et à la littérature. Les amis de Nacera et d’Arezki ont aussi réfléchi. D’un point de vue amical, d’un point de vue solidaire ou fraternel, mais la question des sous revenait toujours. Car de quelque façon on retournait la question, la mauvaise question revenait toujours : les débats, c’est un luxe des riches, en l’occurrence un luxe des librairies riches. «Assurez votre pain ! Le reste viendra.» Qu’est-ce qui gêne tant dans l’expérience de l’Espace Noûn et qui fait sa mort dans le silence réel des condoléances faussement attristées que vont prononcer quelques journaux ? Car c’est un bien grand silence qu’observe la presse dite moderne et démocratique quand on compare aux tempêtes qu’elle a soulevées pour d’autres cas. Il y a comme un défaut dans la logique de l’Espace Noûn : Nacera et Arezki ont voulu agir en dépit des contraintes marchandes. Ils auraient dû faire quoi ? Créer une association ? Faire du bénévolat pour la lecture le soir après les heures de boulot ? Chercher un mécène ?
Justement, ce n’est pas ce qu’ils voulaient. Leur défi était qu’à l’intérieur du système marchand lui-même, ils allaient se battre pour faire exister un îlot non marchand pour la culture. Maintenant on peut juger comme on veut. C’est un projet fou, c’est un projet pas tenable, c’est un projet gauchiste ? On peut multiplier les analyses sympathiques comme les analyses hostiles. Mais la seule façon de voir en face le problème reste de l’affronter : Et alors, forcément le livre, les arts, la culture, doivent accepter la contrainte du marché en attendant la grande révolution qui libérera tout, les patates comme le cinéma, des lois du marché ? Est-ce bien cela le seul destin du rapport à la culture ?
Au lendemain de l’indépendance nous avons, quelques centaines ou quelques milliers, arpenté les campagnes pour alphabétiser les paysans. Peu de gens peuvent répondre avec certitude que les paysans ont aimé ces rapports de jeunes imberbes enthousiastes à leur apprendre l’alphabet. Ces campagnes d’alphabétisation finirent par s’enliser et disparaître. D’autres formes les ont remplacées et tant mieux que l’école ait transformé en droit accessible ce que nous voulions prodiguer comme acte de transformation des villes et des campagnes. Comme acte révolutionnaire. Mais de cette lointaine époque au moment où les maquisards abandonnaient les dures conditions des montagnes, nous y allions, nous, pour prolonger le pacte écrit dans le sang. Et ce pacte nous disait que les rapports entre Algériens, en particulier, et entre les hommes, en général, ne devaient pas obéir aux critères marchands. Qui allait chez Nacera et chez Arezki pour les débats et cela était-il significatif d’un autre rapport à la culture et aux livres ?
C’est de ce lointain souvenir des campagnes d’alphabétisation, des premiers ciné-clubs, des premières passions poétiques, que se trouvent quelques justifications de l’Espace Noûn. Et la bonne question n’est pas de savoir si Nacera et Arezki avaient raison de créer cet espace. Cette question revient toujours à répondre sur la base des critères pratiques qui sont aujourd’hui ceux du marché et de l’argent. La bonne question est de savoir s’ils avaient le droit de le faire, le droit de penser dans des termes non marchands. Et cette question revient à se demander si les Algériens ont droit à un autre type de rapport au livre et aux arts ; s’ils ont droit à des «Espaces Noûn». Si les Algériens ont le droit à l’utopie de ce rapport à la culture ; l’utopie d’un autre rapport aux hommes tout simplement. L’utopie mystique de ce celui qui a «vu les étoiles copuler» et a inspiré en partie le nom de cette librairie.
Mohamed Bouhamidi In : La Tribune du 22 juillet 2010
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Espace Noûn, espace mort
La célèbre librairie Espace Noûn d’Alger, espace multiculturel, lieu de rencontres, débats, expositions et bien sûr de vente de livres, ferme pour cause de difficultés financières. Elle aura tenu cinq ans, comme un mandat présidentiel. Cinq ans d’échanges, de réflexions et d’indépendance littéraire. Les Algériens ne lisent pas ? Si, explique la libraire, plus qu’on ne le pense, mais le livre est encore trop cher. Une librairie, si elle n’est pas propriétaire de son local ou ne joue pas sur les pré-ventes avec le ministère et les commandes institutionnelles plus ou moins orientées, a du mal à survivre, à cause des dysfonctionnements voulus ou pas, dans la chaîne auteur-éditeur-imprimeur-diffuseur-libraire. Témoignages autour d’un enterrement précoce, au moment même où la nouvelle loi de finances annonce, trop tard, un abaissement à 7% des taxes sur le livre. Livre ouvert autour d’un lieu fermé.
Arezki (Kiki), libraire : La symbolique du Noûn
photo El Watan
Les civilisations mésopotamienne et pharanoique l’avaient élu comme étant l’océan mythique d’où a germé toute la création, les trois religions monothéistes l’avaient repris autrement dans leurs livres. Ibn Arabi dans son livre La Science des lettres décompose le Noûn et la part infinitésimale d’éternité que Dieu a insuflé dans chaque être humain. Les poètes andalous, post-andalous, Ben M’Sayeb, Ben Sahla, Bentriki, le reprennent comme symbole de la matrice, de la fécondité et de la féminité. Jean Sénac en a fait aussi le titre d’un de ses recueils : Le Diwan du Noûn. Hassan Hamdane, philosophe et poète libanais, ami de Kateb Yacine, exilé dans les années 1970 à Constantine et lâchement assassiné debut des années 1980 à Beyrouth, dans la rue d’Alger, a écrit un roman intitulé L’Espace du Noûn traduit par Abdellatif Laâbi.C’est pour tout cela que la seule quête qui nous a animés durant toutes ces années, c’est celle de la poésie, de l’ancrage dans la culture nationale et universelle.
Karim Amity, animateur télé
Lorsque le désert avance, c’est tout qui meurt un peu. La mort d’une librairie, c’est de l’obscurité qui avance. Il y a de moins en moins d’espaces culturels, les gens disent qu’il ne faut pas crier au loup, moi je crie au loup. Des librairies disparaissent, mais rien ne vient prendre leur place. Je suis d’accord pour qu’il y ait des pizzerias ou que des investisseurs mettent de l’argent dans des affaires commerciales, mais il faut des librairies, elles donnent vie à un quartier, comme l’Espace Noun l’a fait pendant des années, c’est devenu presque une institution. Ce qui m’a le plus touché dans cette fermeture, c’est que les riverains, les gens du quartier, se sont mis eux-mêmes à la recherche d’un local pour la librairie. Ce qui m’a aussi touché aussi, c’est que pendant ces dix derniers jours, il y a eu un monde terrible, des centaines de personnes sont venues acheter des livres parce qu’il y avait des réductions conséquentes. Donc les gens achètent des livres, sauf que ceux-ci sont trop chers. C’est la leçon, je crois, de cette mort annoncée.
Client, architecte, voisin
Les gens ne lisent plus. Je m’oblige à lire, je dépense 4000 DA par mois environ pour les livres. J’achète aussi des livres techniques, pas uniquement de la fiction. Bien sûr, une librairie ferme, c’est dommage... Moi qui habite à côté, je venais souvent ici. Mais bon, c’est une question de loyer, c’est vrai que les prix des loyers sont exorbitants.
Jaber, vendeur à la librairie, étudiant
Oui, je suis triste. Libraire est un bon métier, on lit beaucoup, c’est passionnant. Mais il y a une concurrence malsaine entre les librairies et beaucoup d’entre elles ne sont finalement que des espaces de vente de livres, alors qu’une librairie c’est quand même un peu plus que cela. Mais bon, l’Espace Noûn ferme, j’arrête ce métier et je vais passer au cinéma, mon rêve depuis longtemps.
Mustapha, gardien de parking du quartier
Ce n’est pas normal que cette librairie ferme. Les propriétaires sont des gens bien, on les as connus, adoptés très vite et nos enfants viennent ici lire des livres. Dans le quartier, on les aime bien, ils l’ont embelli. Les artistes viennent, les intellectuels, écrivains, ça donnait vie au quartier. C’est une question de coût, les locaux sont trop chers. Normalement, l’Etat devrait les aider.
Ramdane Iftni, réalisateur
C’est un peu normal que la libraire Noûn ferme, une librairie c’est surtout du commerce, il ne faut pas trop faire d’idéologie.
Azzedine, fils de libraire
Je suis content, c’est une délivrance, au moins je verrai mes parents. Une librairie, ça prend trop de temps.
Annie Steiner, moudjahida
L’Espace Noûn va fermer sous peu. Nacéra et Kiki iront continuer leur vie ailleurs. Où ? Ils ne le savent pas encore. C’est l’économie de marché… du marché des riches rentiers.Terminées, pour les habitués du lieu, ces rencontres empreintes d’une convivialité véritable, où Nacéra nous présentait des livres et suscitait des débats. Car, pour elle et pour Kiki, un livre ne se vend pas comme des pommes de terre, encore que la pomme de terre, mieux considérée, a eu l’honneur d’un Conseil des ministres. Et c’est par la loi n°31-01 du 7 février 1981 portant cession des biens immobiliers que tout a commencé. Flattant l’esprit de petit propriétaire qui sommeille chez un grand nombre de citoyens, on a bradé les biens vacants à vil prix. Les décrets d’application ont été élaborés, discutés et votés par l’APN en deux ans et demi ; de beaux textes pour certains, mais jamais appliqués. Certains s’y préparaient depuis longtemps et savaient pertinemment ce qu’il convenait de faire... et ils l’ont fait. Personnellement, j’étais contre l’existence de cette loi, pressentant la ruée sur les locaux commerciaux et autres. Certains se sont retrouvés très vite propriétaires de nombreux locaux commerciaux et autres, de plusieurs appartements, et sont devenus de riches rentiers. Ils ont accaparé la belle Algérie que nous avions donnée surtout aux pauvres. Pour Nacéra et Kiki, il s’agit de non-renouvellement du contrat de location. Tout simplement ! Terminés les échanges de points de vue sur les livres dans un endroit accueillant et aménagé avec goût. Et je me souviens de ce que m’a dit Kiki, un jour où nous discutions de la guerre de Libération nationale : « Annie, nous sommes orphelins. » Je ne leur dirai pas « courage », car ils en ont à revendre, mais simplement « à bientôt ».
Nacéra Saïdi, libraire Solde du compte
J’ai encore envie de parler de livres au moment où je fais ce que j’ai toujours mal fait, solder les comptes. Alors voilà les derniers coups de cœur d’une libraire qui va changer de vie :
Hassen Zahar, Miroir d’un fou, aux éditions Barzakh, un texte fort, dur, sans concession d’un homme qui va droit dans le mur parce que… libre et qui n’a qu’une obsession : l’écriture !
Les figuiers de barbarie de Rachid Boudjedra : dire la condition humaine dans cette histoire tellement tourmentée de notre pays. Seul Boudjedra peut le faire avec autant de force, de vérité et de poésie.
Femmes sans visage de Rabah Belamri enfin édité chez nous grâce aux éditions Apic.
Le pied de Hanane de Aïcha Kassoul, aux éditions Casbah : quelle force ! Quel courage ! Quelle écriture ! Bonnes vacances et merci à tous. Franchement, nous n’avons jamais été seuls dans cette magnifique aventure.
Laïd jebraoui , moudjahid
L’Espace Noûn quitte la scène culturelle nationale. Involontairement. Quitte mais ne disparaîtra pas. Laissons aux salariés du champ culturel le soin de discuter, de disputer, d’épiloguer sur cet « événement ». Un fait est là : un espace se clôt. Espace de confraternité, de convivialité, de découverte, d’initiative, de simplicité, de sympathie…Il se souvient d’avoir eu le privilège d’assister au modeste démarrage de cette noble aventure. La dame de « l’espace », Nacéra pour les intimes, s’est totalement investie dans ce projet original, à l’époque, dans l’Alger littéraire. Si frêle soit-elle, elle a pesé dans les domaines artistiques, iconographiques et a été d’un apport non négligeable dans l’univers du livre, du lancement de nombre d’auteurs et du rappel au respect dû à certains aînés. Je l’ai rencontrée à l’occasion de cet « au revoir ». Son regard reflète une tristesse courageuse. Souhaitons avec elle que, comme l’a dit un célèbre humoriste, la fermeture de notre Espace Noun ne contribuera pas à l’inculture qui semble, hélas, en plein progrès.
Selma Hellal, éditrice (Barzakh)
L’Espace Noûn, un jeudi après-midi, rencontre avec un auteur. « J’ai le trac », murmure-t-elle. Elle se tient le ventre, inspire fort, passe une main nerveuse dans ses cheveux – j’aperçois ses ongles, rongés comme ceux d’une écolière – et se lance enfin. Nacéra l’habitée souhaite la bienvenue, remercie les présents, parle du livre, s’emballe, bégaye presque. Pour trouver le mot juste, elle s’aide de ses bras, qu’elle ouvre, larges, généreux, de ses mains aussi, convulsives, qui se crispent, palpitent, avant de se glisser dans les poches arrière du jean’s. Elle cède la parole à l’écrivain et va s’asseoir à même le sol, en tailleur. Elle écoute en clignant des yeux, fronce les sourcils d’attention – et d’épuisement sûrement. La rencontre finie, là voilà qui passe de l’un à l’autre, secondée par le loyal et taciturne Djaber – et avant lui, l’ardente Sihem aux yeux brûlants – proposant gâteaux et thé-ou-café. « Attention, souffle-t-elle, gardez un œil sur les livres. » La dernière fois, on lui en a volé cinq d’un coup. Trop distraite, Nacéra, trop occupée à distribuer sa fébrile amitié, à conseiller les lectures qui l’ont captivée. La belle aubaine pour les chapardeurs ; et parmi eux figurent des habitués, c’est sûr. Elle m’appelle un matin, grave, sa voix se tord, pour me confier – comme dans un gémissement –, qu’elle a lu Miroir d’un fou et qu’elle ne s’en remet pas, que ce texte lui cogne dans la tête : « Vrai, je n’en ai pas dormi de la nuit. » Un soir, lors d’un dîner, quelqu’un l’interpelle, siffle des mots qui font mal. Nacéra ne se démonte pas, elle répond lentement, mais sa voix est blanche et ses mains tremblent. Sombre pythie, elle parle et ne quitte pas l’homme des yeux, elle le fixe et le fixe encore, et n’est plus qu’un long, fiévreux chuchotement. Un jour, elle m’annonce, ses yeux souriant, que des gamins du quartier ont osé pousser la porte de la librairie. Demain, elle leur mettra des livres partout, ils pourront se tenir là, dans un coin, sans déranger personne, et revenir, jour après jour. Demain ! Nacéra échafaude, imagine, rêve. Nacéra l’habitée continue de rêver.
Julie Kretzschmar et Guillaume Quiquerez, compagnie Les Bancs publics, Marseille.
Dans le courant du mois de février 2007, nous déambulions à Alger. Premiers pas naïfs en Algérie, dans une quête confuse, guidés par un mobile artistique incertain. Tandis que nous cherchions ¬– à peine – un lieu dénommé Espace Noûn, une devanture de la rue Debussy nous apparut étrangement familière. Nous entrâmes dans l’antre. A Noûn 1, sur place ou presque, en quelques heures, nous parcourions alors une longue distance : partis des « sacs Tati » (puisque tel était l’objet de notre présence), nous nous approchions des livres, passions ensuite de ces derniers aux sardines, des sardines à la peinture, de la peinture à l’Histoire, de l’Histoire à la construction sociale des points de vue, pour aboutir finalement à cette interrogation : est-ce qu’on peut se parler ? A la question posée au centre d’un spectacle créé à Marseille un an plus tard, notre réponse était : oui, on le peut, il le faut, nous le voulons. Depuis lors, à chaque nouveau passage à Alger, nous avons (pour ainsi dire) vécu à Noûn 1, puis à Noûn 2 – territoires de croisements rares, de partages sensibles, de polyphonies créatrices. Noûn 2 ferme, mais ce qu’il a ouvert en nous continuera longtemps de se dilater. Pour cette générosité, cet engagement et cette belle amitié, Nacéra, Arezki, merci.
Yasmina Belkacem, chargée de com’ aux éditions Chihab
Je soussignée Yasmina Belkacem atteste que Nacéra Saïdi et Arezki Tahar ont animé l’Espace Noûn sis 9, rue Chaâbani (ex Rabah Noel) à Alger jusqu’au 31 juillet 2010. Cet espace a été celui de la rencontre, du débat, de l’amitié. Noûn est devenu l’Espace. Et c’est au moment où cette librairie devient une institution, au moment où ces deux agitateurs culturels deviennent incontournables qu’ils sont obligés de fermer. Quoi qu’il en soit, je reste plus attachée à Kiki et Nacéra qu’à l’Espace Noûn. Car quoi qu’ils fassent, quels que soient les choix qu’ils feront demain, je suis convaincue qu’ils continueront à apporter une qualité indéniable à ce qu’ils entreprendront et à y insuffler la passion qui les anime.
In : El Watan 23 juillet 2010
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Ci-Gît l’«Espace Noûn» : territoire de croisements rares
Début juillet 2010. Les habitués et amis de la Librairie- Galerie «Espace Noûn» reçoivent sur leur téléphone mobile ce laconique SMS : «Fermeture de l’Espace Noûn le 31 juillet. Liquidation des stocks. Réduction jusqu’à 50 %. Signé : Kiki».
Par M’hand Kasmi
Depuis la réception de ce SMSSOS, nous savions que le sort de notre magique cercle littéraire était jeté et son vin d’oraison déjà tiré. Nous sommes aujourd’hui en train de le boire jusqu’à la lie ! Entre ce SMS et l’expiration du bail non renouvelé, qui est à l’origine de la mise en terre précoce de ce nouveau-né des espaces culturels algérois, de nombreux amis dans les médias notamment et sur Internet ont bien tenté d’arrêter l’accomplissement jusqu’au bout de ce véritable infanticide culturel. Rien n’y fit. Peine perdue et nous sommes déjà au lendemain de la date fatidique de la chute du couperet. Pour paraphraser l’écrivain Malek Haddad : un seul constat : «Le quai aux fleurs ne répond plus !» Silence on tue ! Dans une affligeante indifférence des uns et des autres. Mais le plus pesant et le plus inexplicable des lâchages, reste le silence complice des autorités de régulation culturelle. Toutes. Les politiques, les techniques, les grandes et les moins grandes ou les toutes nouvelles comme celles chargées du rayonnement culturel local. A l’heure de la curée, elles doivent être en train de se dorer sur le sable fin d’ailleurs ou de consolider les opérations «main basse» sur les somptueux palais du fahs algérois où elles ne peuvent pas dégager le moindre mètre carré pour notre «Noûn». Pour ceux d’entre vous, qui comme nous, avons connu l’ambiance lambrissée et réellement rayonnante et fraternelle du 9 rue Chaâbani et vécu au moins une fois l’une des innombrables manifestations littéraires et/ou artistiques qui y étaient généralement organisées le jeudi, la gueule de bois des lendemains d’enterrement sera dure à maquiller et l’indifférence encore plus amère à digérer !... En ce dernier week-end «semi-universel » de juillet, nous n’aurons toutes et tous que nos yeux pour pleurer la disparition de l’un des espaces culturels de la capitale les plus ouverts sur l’universalité. Notre désarroi sera plus absurde encore que celui du personnage du Dernier été de la raison, dernier roman à titre posthume du défunt Tahar Djaout. Ce personnage, petit libraire de son état, se retrouva par la «farce des choses» désespérément seul, après que sa femme et ses enfants eurent tous rejoint, les uns après les autres, le nouveau monde des F.V. (entendre frères vigilants). Pris de court par le tumultueux tourbillonnement de l’histoire de ces années 90, notre brave «lisard» ne trouva que ses livres pour lui aménager par effraction une salutaire sortie de secours vers un inaccessible «ailleurs». Désespéré, il tenta de conjurer le terrible mauvais sort qui commençait déjà à frapper à sa porte et à celle du pays de Ben M’hidi, en susurrant à tue-tête à chaque événement imprévu, cette lancinante litanie autodestructrice : «Le cours du temps s’est comme affolé, et il est difficile de jurer du lendemain !». Après la diabolisation rampante de notre petite planète Algérie qui a arrêté le cours, pourtant si impétueux vers la postérité littéraire de l’un de nos plus talentueux écrivains de graphie française, et emporté dans sa déferlante meurtrière Vincent, l’un des plus authentiques libraires de la capitale, c’est au tour de Nacéra et Kiki, libraires par nécessité, d’abdiquer devant une autre déferlante, moins tragique au plan de la survie de l’espèce humaine qu’elle visait mais plus insidieuse et corrosive à la longue : la mono-activité florissante de la spéculation immobilière. Après la mort violente et injuste des vrais écrivains et libraires, voici venu le temps de la mort lente des librairies, les vraies Quels mots pourrions-nous encore réinventer et aligner aujourd’hui, pour faire à la fois le deuil et l’éloge funèbre d’une enseigne qui réussit le challenge fou en ces temps aux lendemains incertains, d’avoir eu deux vies et qui fut, tant dans sa première incarnation à la rue Debussy que dans celle ayant permis sa renaissance à la grouillante rue Chaâbani, une authentique bouffée d’air pur dans le ciel pollué d’une capitale, récemment promue au rang peu enviable de troisième ville la plus sale du monde. Le rêve éveillé n’aura duré en fin de parcours que le temps d’une éphémère et précaire parenthèse. Pour les plongeurs en apnée dans les dures réalités algéroises que nous avons tous fini par devenir, les uns après les autres, les lendemains sur lesquels nous ne jurons plus, n’en finissent pas de renouveler leur cycle de mauvaises plaisanteries de mauvais goût devenant subitement réalités. Grisés que nous étions de pouvoir ponctuer l’espace d’une halte magique à la rue Debussy et plus tard au 9 rue Chaâbani, nos arides et éperdues pérégrinations dans une capitale en voie de désertification culturelle, nous oubliâmes trop vite que le Noûn pouvait être comme dans la mythologie égyptienne, tout à la fois l’océan mythique originel de la création ou encore poisson comme nous sortant à la verticale de notre élément aquatique la bouche ouverte pour happer à la dérobade une revivifiante bouffée d’air pur, mais également un serpent pouvant se révolter, y compris contre la vitale dynamique de locomotion que lui insuffle sa propre queue ! L’appel insistant et l’irrépressible élan soyeux de l’invitation à rêver ensemble que projetait avec une magie particulière l’entrelacs du Noûn calligraphié par le peintre Arezki Larbi sur l’enseigne, était bien évidemment trompeur, comme l’histoire de l’hirondelle et du printemps. Chez nous et depuis le premier jour de l’actuel été de la déraison, c’est le Noûn transfiguré en merlan se vengeant du sort que lui ont réservé les pêcheurs et autres commerçants en eau trouble bien de chez nous , qui est devenu la mascotte de la bourse aux valeurs immobilières du quartier Meissonier et d’ailleurs. Triste sort en vérité que celui d’Alger, capitale de destin national, qui assiste, impuissante, jour après jour et depuis quelques années déjà, à l’enterrement de ses institutions culturelles les plus authentiques : hier, c’était la Librairie des Beaux-Arts qui a failli changer de camp et d’enseigne. Aujourd’hui, c’est l’Espace Noûn qui décroche la sienne, pour la mettre sous le paillasson, si tant est qu’il en subsiste encore un, pour les initiateurs de son subtil et incroyable rayonnement ! Des vingt librairies répertoriées officiellement comme telles à Alger, il n’en reste aujourd’hui qu’une bonne poignée dans une capitale peuplée de 5 millions d’habitants avec sa couronne métropolitaine algéroise. A force de vouloir, vaille que vaille, conjuguer à tous les temps du «zaman el harrachi» si cher à Tahar Ouettar, les symboliques multiples du Dieu-Noûn, patrimoine commun des trois religions monothéistes, en concept culturel à géométrie variable, Nacéra et Kiki viennent d’être contraints de quitter précipitamment leur bulle. Plus tôt que prévu ! Fissa ! On y étalera, au mieux, de la friperie à bon marché. Leur seul tort : ne pas avoir su ou plutôt voulu renouveler une assidue allégeance périodique au diable régentant le monde des sachets noirs, génial et unique mode de transport chez nous de notre sale argent et de nos ordures plurielles. Un diable élevé et converti depuis peu au rang de dieu unique et inique par l’économie souterraine devenue aujourd’hui dominante et de plus en plus monopoliste. C’est la conjonction de tous ces astres maléfiques qui vient de provoquer ce week-end le périlleux atterrissage forcé de notre fragile vaisseau en provenance du nuage dans lequel les ex-gestionnaires d’hier du Noûn nous avaient embarqués pour un temps, nous les invétérés et incorrigibles rêveurs d’une capitale qui ressemble un tant soit peu aux autres. Nous venons de réintégrer ensemble, dépités mais pas découragés, l’échouage collectif qui sert de pays aux trente-six millions d’Algériens. Des Algériens pas encore suffisamment citoyens qui devraient, aujourd’hui plus que jamais, être -quand même - inquiets de leur avenir et surtout de celui de leurs enfants. Des enfants auxquels on apprend à «désapprendre» à lire !... Dans leur descente aux enfers du Noûn, nos amis au cœur vaillant et débordant d’un altruisme rageur, emporteront -maigre consolation — comme de précieuses reliques d’une énième vie antérieure dédiée à l’amour du livre et du pays, ces témoignages poignants des inconditionnels de «leur» Espace magique : «Dans le quartier, on les aimait bien, ils l’ont embelli» Mustapha : gardien de parking). «Pour Nacéra et Kiki, un livre ne se vend pas comme de la pomme de terre. Encore que la pomme de terre, mieux considérée, a eu droit à un Conseil des ministres» (Annie Steiner, moudjahida). «A chaque nouveau passage à Alger, nous avons (pour ainsi dire) vécu à Noûn 1 puis à Noûn 2 — territoires de croisements rares, de partages sensibles, de polyphonies créatrices. Mais ce qu’il a ouvert en nous, continuera longtemps à se dilater…» (Julie Kretzschener et Guillaume Quiquerez Compagnie, les bancs publics, Marseille). Mais l’ex-Espace Noûn n’était pas que cela : votre serviteur a souvenance d’avoir utilisé le lourd fardeau de livres que venait de «se payer» avec sa maigre pension de moudjahida, la vieille Annie Steiner, pour contrer une violente agression involontaire d’un passant qui ne l’a pas vue sortir de la librairie. Sans les livres achetés ce jour-là de chez Nacéra et Kiki, notre belle héroïne et rescapée miraculeuse de la guerre de Libération nationale aurait eu une bien triste mais superbe mort, semblable à celle de l’immense écrivain El Djahidh : ensevelie sous ses livres ! C’est aussi cela que fut l’Espace Noûn : un haut-lieu symbolique de résistance à la bêtise ambiante, à cette métastase qui continue de prendre insidieusement mais sûrement ses quartiers autour des nôtres, des vôtres, chaque jour un peu plus menaçante !... Grâce à l’escalier en colimaçon qui convertissait miraculeusement le brouhaha de ce quartier marchand en invitation à voyager dans le temps et l’espace, on pouvait entrer au Noûn comme dans un aéroport. Sans passeport et surtout sans visa ! Vous pouviez venir y flairer les grisantes odeurs qui s’y mêlaient jusqu’à saisir le roman, l’essai, la peinture, le CD-ROM qui vous chatouillait les papilles gustatives de façon trop suave pour que vous ne puissiez pas résister à la tentation de l’avoir avec vous, définitivement, pour plus tard, le dévorer. A l’Espace Noûn, vous pouviez trouver des livres, des beaux livres, de vrais livres et des livres vrais, de ceux qui avaient la capacité de projeter leurs couleurs chatoyantes joyeusement «mariées» sur votre table et votre journée, avec leur vraie couverture, leur vraie reliure, un vrai poids d’images et de mots, une odeur d’encre, et de papier, et de sueur !… Au Noûn, vous pouviez exaucer votre besoin d’ajuster momentanément votre esprit avec celui d’un illustre ou anonyme auteur, au point de devenir avec lui co-auteur et de reconnaître dans une ligne, les lignes que vous auriez pu écrire ou que vous auriez pu dire, sans trac. Avec Nacéra et Kiki, au sein de l’Espace Noûn et hors de ses murs, aujourd’hui de nouveaux captifs des fourches caudines et appétits bassement mercantiles de la «propriétaire des murs», nous eûmes à dénoncer haut et fort ceux qui affirment comme cette dernière et ses semblables que les mots ont fait leur temps, que lire n’intéresse plus personne et surtout pas les jeunes. A l’Espace du Noûn, nous eûmes également la chance et le droit de lire les mots des poètes, les vrais, ceux partis trop tôt comme Mahmoud Darwich, ceux maudits et surtout ceux bannis de leurs espaces naturels, comme Kiki et Nacéra aujourd’hui ! A leur mémoire à toutes et à tous, nous pûmes même déclamer, chanter aussi tout ce qui ne semblait pas utile, mais essentiel. N’est-ce pas Nourredine Saoudi, Rédha Doumaz,… Dans leur ex-espace de prédilection de la rue Chaâbani, entre la rose du jour toujours fraîche, la théière de la veille, jamais réchauffée, et un gâteau offert par le pâtissier de l’angle de la rue, Nacéra et Kiki prenaient toujours soin de laisser un exemplaire sans cellophane pour montrer qu’avant d’être courtisé, un lecteur doit d’abord être respecté et que les plus belles images ne valent pas toujours le bon mot. Qu’un texte avant d’être court, se doit surtout d’être juste. Last but not least : la dernière des belles leçons apprise à l’université du goût que fut le défunt Espace Noûn : le silence de ceux qui n’ont en banque ni fonds spéciaux, ni diplômes, ni conteneurs en rade et bien en vue dans les ports algériens, ne signifie pas qu’ils n’ont pas soif ou droit de lire ! Bien au contraire ! La dizaine d’enfants du quartier qui ont bénéficié d’une librairie «dans la librairie» peuvent en témoigner. Ils doivent être aujourd’hui bien orphelins de la silhouette familière et maternelle de «Mama» Nacéra, eux qui ne peuvent prendre de vacances ailleurs que dans leur rue, la rue du Colonel Chaâbani ! Voilà ! l’oraison est dite. La mise en terre peut commencer ou s’achever ! Arezki Tahar, «Kiki» pour les amis, a sauvé au prix de sa vie en 2002 le bel édifice du Théâtre régional de Béjaïa contre les vagues déferlantes des Arouch venues le réduire en cendres, manipulées par les uns et — nous le savons aujourd’hui — par aussi les «autres». Après avoir été expulsé l’année dernière et de nuit de l’appartement qu’il occupait en sa qualité de directeur du TRB, notre ami doit abandonner à partir d’aujourd’hui la rue Chaâbani, son refuge inespéré et providentiel d’un jour au sens propre et figuré. Son cœur, las et fatigué, qui a déjà subi trois séismes majeurs, risque de lâcher et de l’abandonner. C’est aussi cela le coût de l’aventure humaine du Noûn qui n’a pourtant pas et malgré ces dégâts collatéraux tragi-burlesques, de prix. «Une librairie qui ferme, c’est tous les horizons qui sont confisqués», écrivait Yasmina Khadra pour dénoncer la tentative de fermeture de la Librairie des Beaux-Arts. Notre grand écrivain ne croyait pas si bien dire et surtout écrire. Est-ce une raison de cultiver le désespoir ? Non ! Assurément ! Face à la confiscation des horizons, nous devons apprendre à interroger les étoiles pour reprendre de nouveau de l’altitude. Dans la mythologie égyptienne, Noûn était plus qu’un océan. Même après l’accomplissement de la création, son œuvre originelle, Noûn continuera d’exister pour revenir un jour. Dans les bas-reliefs pharaoniques de Karnak et de Louqsor, Noûn est en effet représenté en homme barbu tenant dans l’une de ses mains un tronc de palmier, symbole de longue vie. Dans un poignant texte publié par la Tribune intitulé «La librairie Espace Noûn meurt dans le silence des étoiles», notre ami Mohamed Bouhamidi a voulu conjurer le mauvais sort qui frappe durement aujourd’hui cette Librairie-Galerie unique en son genre, en invoquant la puissance mystique de ce celui qui a «vu les étoiles copuler» et a inspiré en partie le nom de cette librairie : Mahieddine Ibn Arabi, maître spirituel de l’émir Abdelkader. Nous voulions pour notre part dire notre active solidarité à Nacéra et Kiki en leur accrochant autour du cou cette amulette qui contient ce verset du Saint Coran, qui se voudrait être de notre part de toutes et à tous une ultime distinction de mérite national : Sobhan elladhi amrouhou bayn el kafi oua ennouni (Gloire à Celui dont l’Ordre est entre le Kaf et le Noûn). Avez-vous remarqué le signe du destin ? Le Kaf préfaçant le nom de Kiki et le Noûn ouvrant et protégeant de son ample déploiement calligraphique celui de Nacéra ! Courage, les amis ! Après l’expérience amère de Noûn 1 et celle de Noûn 2, nous décoderons ensemble les secrets de la voûte céleste qui protège le ciel azur de notre Algérie et à l’instar d’Ibn Arabi dans le ciel de Béjaïa au 12e siècle, nous bâtirons et féconderons ensemble une Arche Noûn 3. Nous pouvons compter dans cette vaste entreprise au long cours sur notre nouveau Noé des temps modernes : ce sera tout simplement un super griot du continent Afrique, le président burkinabé Thomas Sankara, qui a jeté un jour à la face de ses concitoyens sceptiques, désabusés et médusés, le magnifique programme de résurrection suivant «Osons inventer l’avenir !»
M. K.
In: Le Soir d' Algerie, 01 août 2010.
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