C’est au seuil du XVIIIème siècle, dans une Angleterre divisée par les conflits religieux, que Sophie Gee entraîne le lecteur et dessine le portrait d’une société impitoyable, basée sur l’apparence, l’apparat et l’argent. Plusieurs destins se mêlent dans le Londres des élégants, celui de trois provinciaux découvrant la capitale, notamment : le jeune poète Alexander Pope, brillant mais infirme, vient y chercher l’inspiration, tandis que ses amies Martha et Teresa Blount y espèrent briller. Mais dans les salles de bal, la jeune, belle, mais désargentée Arabella Fermor, la cousine des demoiselles Blount, règne en reine. Son regard croisera celui du séduisant Lord Petre…
Portrait d’une société cruelle, où l’argent, la réputation et la beauté font tout, ce livre est notamment comparé aux très célèbres « Liaisons dangereuses » de Laclos, comparaison avec laquelle je ne suis pas vraiment d’accord, aucun des personnages n’ayant l’étoffe et la méchanceté d’un Valmont ou d’une Merteuil. Si je devais comparer ce livre à d’autres, je penserais davantage à « Orgueil et préjugés » pour le soucis de la réputation, pour la question des beaux mariages, pour la situation de jeunes filles désirant mettre le grappin sur un beau parti tout en étant elles-mêmes peu riches, ou à la série des « Rebelles », en plus sérieux et mieux écrit, pour la rivalité entre les jeunes filles dans la haute-société. Mais, en toute honnêteté, n’est-ce-pas étrange de commencer à parler d’un livre en le comparant à d’autres ?
« Le scandale de la saison » arrive à rendre avec justesse l’ambiance de ce début de XVIIIème siècle, et, en mêlant personnages réels à la fiction, réussit à être des plus intéressants. Il fallait tout de même oser donner la parole à Alexander Pope, un très grand poète britannique ! Le ton est agréable, l’écriture délicieusement soutenue : les échanges entre Alexander et ses amis sont spirituels et émaillés de référence à d’autres auteurs. L’histoire d’amour entre Arabella et Lord Petre contrebalance cet aspect intellectuel du récit, ce qui donne finalement un roman très équilibré, qui conviendra à plusieurs catégories de lecteurs. Les jeunes filles aimeront Lord Petre, le séduisant baron qui ravit le cœur de l’héroïne Arabella, à qui elles s’identifieront, et condamneront la cruelle Teresa, tout en compatissant avec le pauvre Alexander, avant de triompher avec lui.
De même, Sophie Gee introduit le conflit entre Protestants et Catholiques de façon assez intelligente, permettant au lecteur peu au fait des querelles de religions en Angleterre de tout de même saisir les enjeux de l’histoire. L’époque entière semble revivre sous la plume de l’auteur : outre un roman historique, ce roman est également une satire sociale. Quand on sait que Sophie Gee a écrit des thèses universitaires sur de grands noms de la littérature anglaise (dont Jane Austen, à qui j’ai pensé plusieurs fois en lisant ce roman), on n’est guère étonné.
En somme, j’ai beaucoup aimé cette plongée historique, ce roman expliquant la naissance d’un des poèmes les plus célèbres de Pope (the rape of the lock). Je remercie le forum Partage Lecture et les éditions Points pour cette découverte des plus agréables.