Une guerre chimique, bactériologique et atomique. Plus de 99% de la population est décimé et la lune est détruite, seules quelques colonies survivent en descendant dans des abris souterains.
La cité du Silo est l’une d’elles. Ses habitants entrent chacun dans des capsules d’hibernation, espérant passer ainsi toute la durée de l’hiver nucléaire.
Bien des siècles plus tard, Toth – l’ordinateur neural en charge de la colonie – choisit de réveiller une douzaine de ses citoyens d’élite : une panne de réacteur a fait de sérieux dégâts à l’installation souterraine, et l’ordinateur pensant s’est avéré incapable non seulement de prévenir le problème mais aussi de le réparer. La poignée de techniciens tout juste sortis de l’hibernation comprend vite que les éléments organiques de Toth sont dégradés, et ils doivent trouver une solution avant que la panne s’étendent aux systèmes de survie – ou bien les 7 000 citoyens en stase mourront tous… Après avoir examiné la situation, ils décident de se rendre à la base militaire d’Érié afin d’y récupérer un autre cerveau neural, Horus, pour remplacer Toth. Mais Érié se trouve loin de Silo, à plus de 300 kilomètres : une distance très longue pour des gens qui ignorent tout des horreurs mutantes qu’ils croiseront en route…
Il n’est pas très utile de s’étendre sur les divers éléments narratifs que propose le premier – et, encore à ce jour, unique – tome de cette série. Hormis quelques détails d’ordre « technique » assez typiques de cette fin des années 90 où cette BD a été réalisée, et somme toute bien assez discrets pour rester secondaires, ce scénario ne montre rien qui n’ait déjà été vu dans les diverses productions d’après-guerre sur le thème des survivants d’un holocauste nucléaire : depuis les mutations occasionnant des pouvoirs surhumains jusqu’aux paysages dévastés où se sont développées des formes de vie et de civilisations toutes plus exotiques les unes que les autres, l’aficionado de science-fiction se trouve en terrain bien connu…
Ce qui étonne au départ dans cette production, c’est le style graphique : direct, sincère, brut de décoffrage, et sans aucune fioritures inutiles. En fait, les dessins évoquent davantage des esquisses plus ou moins abouties – voire des croquis bien finalisés, ou encore des concept arts – que des dessins à proprement parler. Un parti pris pour le moins surprenant de la part d’un Ledroit qui nous avait habitué à des choses plus traditionnelles – je veux dire sur le plan technique – mais le résultat s’avère au final très réussi. Car ici, l’artiste a choisi d’aller droit au but en écartant tout ce qui se montre chronophage dans la création d’une image, et ceci pour se consacrer sur l’essentiel : l’atmosphère, et les émotions qui s’en dégagent.
Bien sûr, le procédé reste déroutant pour quiconque n’a pas un minimum de bagage artistique. Certains d’ailleurs n’hésiteraient pas à qualifier de tels dessins de « bâclés » si le nom de l’artiste n’était pas là pour leur rappeler qu’ils ont en réalité affaire à un maître du genre – même si à cette époque il lui restait encore à développer les derniers ingrédients de cette patte unique qui est maintenant la sienne. Mais au final, chaque case témoigne d’un dynamisme et d’une énergie rares, d’une pureté des formes et des couleurs reflétant toute la spontanéité du trait « jeté » sans aucune préparation ou réflexion du geste, bref d’un style en développement qui présente toutes les caractéristiques de la patte des grands plasticiens.
Hélas, il y a fort à parier que c’est précisément ce sens de l’expérimentation qui a valu à La Porte écarlate de souffrir d’un certain dédain de la part du lectorat habituel de Ledroit ; une audience qui – c’est une autre réalité regrettable – se montre en général assez peu ouverte à la nouveauté – surtout sur le plan de l’exécution artistique pure. C’est peut-être ce qui explique pourquoi il n’y a à ce jour qu’un seul tome publié de cette série qui a désormais toutes les apparences d’un projet tombé dans les oubliettes alors qu’il présentait un potentiel pourtant certain…
Reste un volume, dont les qualités plastiques à elles seules font qu’il mérite bien de figurer dans votre bibliothèque. Et qu’il ne propose pas de fin à proprement parler n’est même pas un problème en soi : ce genre de chose stimule l’imagination du lecteur, en le laissant échafauder la suite et la conclusion lui-même – ce qui a un certain charme.
La Porte écarlate t.1 : Les Irradiés, Olivier Ledroit
Soleil Productions, avril 1998
60 pages, env. 10 €, ISBN : 2-87764-716-1
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