C'est dimanche, il fait beau, il fait (très)chaud. Vous abandonnez, l'espace d'un matin, bermuda, sandales et fantaisies estivales pour suivre ce qui demeurera un moment fort de votre existence: une messe animée de gospel, en l'église baptiste abyssinienne de Harlem. Le rendez-vous est très (trop) couru, vous arrivez armés d'une heure d'avance.
Déjà trop tard.
Une queue est déjà formée qui attend patiemment son admission en la divine church.
Que diable nous vaut pareille ferveur?
Une seconde file se dessine, d'emblée prévenue de la non-garantie d'accès à la célébration convoitée. Point n'êtes résolus à changer de programme, ni même essayer une autre proche communauté dont le Routard vous promet un accueil chaleureux - contrastant, il est vrai, avec l'ambiance locale. Tout de même tentant... Une autre piste serait de revenir mercredi soir ( at 7 PM), pour un semblable office, garanti sans file. Mais votre conjoint ne l'entend pas de cette oreille,... qu'il fait sourde pour l'occasion.
Vous optez dès lors pour une soumission grégaire aux vociférations peu amènes de forces de l'ordre baptistes. Il vous en coûtera une heure trente d'attente: eh oui, la célébration de 9 heures a largement dépassé le temps imparti et vous voyez la demie de onze heures se consumer tandis que vous brûlez sous les rayons du soleil et les menaces toujours aussi conviviales de vos gorilles dégoulinant - notamment - de sadisme jubilatoire. Tout est mis en oeuvre pour vous dissuader de poursuivre l'aventure: exclus les bermudas - d'aucuns vont s'acheter un pantalon vite fait - mais aussi les sandales dénuées de lanière postérieure...mais oui, elles aussi, et cela pourtant, aucun guide ne vous le signale. Et de vous voir pointer d'un index vengeur par un cerbère pour l'indignité de votre parure pédestre. La solidarité s'organise au sein de la file, des solutions de survie sont mises en oeuvre: d'aucuns prélèvent les lacets de leurs baskets qui seront chastement noués aux élégantes sandalettes de vos voisines d'infortune... L'intolérance de l'approche heurte votre sensibilité occidentale: sitôt décidée, votre radiation de la cérémonie est sans appel. Un couple se voit coupé en deux, taxé de bermuda, le pantacourt de Monsieur. ...
238 places s'ouvrent ce jour, tandis que les membres de la communauté et les fidèles - prioritaires, cela s'entend - investissent les bancs semi-circulaires de l'église. Une main s'abat, deux couples derrière vous, qui entérine - peu s'en fallait- votre admission tant espérée . Il ne sera dès lors pas admis que vous quittiez la cérémonie avant la fin, dût-elle s'éterniser ; par contre, la moindre sonnerie de GSM, blackberrie, ...- et votre amène cerbère de décliner (sponsorisé?) toutes les technologies de communication (z'en ont des masses, ces New Yorkais) prohibées - le moindre flash photographique voire pas flash mais photo ...signifieront illico votre renvoi des lieux, doublé - ai-je bien compris ? - de la confiscation du funeste engin. Pas de doute, les menaces proférées agissent sur vous, tel un lavage de cerveau et vous voient, docile, un tantinet penaude, prendre place - désignée- au sein du saint des saints
"Before the service, speak to God. During the service, let God speak to you. After the service, speak to others"
Souriante, éclairée de joyeux vitraux et des parures somptueuses des paroissiens, l'atmosphère climatisée de l'Abyssian Baptist Church vous procure l'immédiate amnésie des supplices endurés.Ce quatrième dimanche de juillet est jour de fête, de baptême...votre coeur se met d'emblée au diapason de la liesse ambiante et du choeur époustouflant de la chorale de Gospel. Après l'accueil convivial du célèbre pasteur, le Révérend Dr Calvin O. Butts, III, le choeur entonne un air d'une puissance abyssale. A sa direction, James Davis, Jr.
Le paradis vous ouvre ses portes, vibrantes, tandis que vous admirez, subjuguée, les tuniques bordeau à collerette dorée des chanteurs. Est-il permis d'être aussi beau?
Le spectacle est divin, tout simplement.
Le Révérend le sait pertinemment qui, sitôt achevé la lecture de trois courts extraits de la Bible - dont les Baptistes prennent les textes à la lettre - assène à l'assemblée un sermon à haut pouvoir de conviction. Des vérités criantes de décibels, vivement appuyées par l'assentiment de l'assemblée. Vous assistez dès lors à un de ces shows dont les Américains ont le secret, version "Petite maison dans la prairie". L'orateur ménage effets de tons - à votre soulagement défendant - de scène et d'humour. Vous souscrivez de confiance à l'hilarité ambiante.
Et battez la cadence, inexorablement fondus dans l'ambiance.
Un " very great" moment d'existence.
Apolline Elter
Notice explicative (de source Wikipedia): de confession chrétienne, le baptisme est une religion issue de la Réforme protestante (XVII e siècle). C'est le mouvement protestant le plus important aux U.S.A puisqu'on estime que là-bas, chrétien sur cinq appartient à une église baptiste. Quelques piliers le caractérisent dont le baptême adulte volontaire (par rapide immersion de la tête dans l'eau), l'esprit missionnaire, le localisme et le souci de prendre à la lettre les textes de la Bible. La branche abyssinienne de l'église baptiste est née de la scission, opérée en 1808, par les paroissiens noirs de l'église baptiste de New York, lassés d'être la proie de ségrégation raciste.