" Je dormais là, à côté du commis. Je reconnais la table où on mangeait la soupe. Dans le jardin, je retrouve le figuier qu'on a dû tailler. Et puis la fosse à purin derrière la grange. Je suis tombé dedans le premier soir. J'avais sept ans."
Mon frère Jean-Michel, Claude à l'époque , ( ?), parcourt sa terre d'enfance. Il était comme moi de l'Assistance, placé en Charente à Pillac chez des laboureurs, lui au sud du département et moi au nord. Il regarde les champs vallonnés où papillonnent les tournesols. Il écoute les frémissements des maïs. Une buse traverse le ciel. Des souvenirs passent. Les vaches qu'il fallait garder. Le vélo poussif dans la côte pour aller à l'école.
Je l'accompagne sur le chemin de sa mémoire dont je partage des morceaux de paysage, des odeurs de fruits mûrs sous le soleil, des conversations de l'eau avec le vent. Notre grande soeur Chantal est là aussi. Elle allait en vacances à La Ferrière, y retrouvait Claude et les travaux des champs. Pas question de ne rien faire chez des paysans à cette époque. Pas de télé. Pas de console vidéo. Pas de livres non plus. Le croûton dans la soupe du soir se mesurait à la sueur dépensée.
Le couple qui gardait mon frère est mort depuis lurette. Mais le fils Robert est toujours là avec ses mots de rocaille et son
joli lever de coude pour entamer le vin et la Suze. Soixante-dix-huit ans de
Et si c'était cette éternité-là que mon frère est venu chercher, au-delà des souvenirs partagés ? Une éternité dont le costume trop vaste condamne au silence, au recueillement ?
Je ne lui ai pas posé la question. Dans notre pays, comme disait René Char, on ne questionne pas un homme ému.
Image d'une maison à Pillac en Charente