Tout étudiant se penchant sur la politique étrangère de la France doit avoir lu les ouvrages de Maurice Vaïsse. Je pense bien sûr aux best of : Diplomatie et outil militaire (1871–1991), Éditions du Seuil, Paris, 1992 et Les Relations internationales depuis 1945, Armand Colin, Paris, 10e édition, 2005. L'homme est professeur à Sciences Po et membre du conseil scientifique de la RDN : quelqu'un de bien, vous dis-je !
Je vous parle aujourd'hui de son dernier opus : "La puissance ou l'influence, la France dans le monde depuis 1958", paru chez Fayard en 2009 (649 pages). Autant dire qu'il s'agit d'une histoire de la politique extérieure de la France dans le monde moderne, à l'issue de la guerre civile européenne qui a tant animé la géopolitique française, mais aussi en tenant compte de la fin de l'empire colonial.
Le livre est divisé en un certain nombre de chapitres : Une politique étrangère élyséenne - Le choix européen - Ami, allié, non-aligné - Une belle et bonne alliance à l'Est? - La politique africaine - la politique arabe - Au-delà des mers - La diplomatie multilatérale - La diplomatie culturelle.
Signalons une bibliographie très fournie (sur chacun des sujets, le lecteur est quasiment sûr d'avoir les principales références), une chronologie indicative, deux index (personnes, lieux) et six cartes... Bref, cet ouvrage est un "ouvrage de référence", indispensable au chercheur. Mais il est bien plus que cela, car l'honnête homme le lira avec grand intérêt, grâce à un style clair et une longueur suffisante pour ne pas se perdre dans les détails tout en ayant le sentiment d'approfondir suffisamment tel ou tel point.
Autant dire qu'il s'agit d'un ouvrage particulièrement pertinent quand on a un oral à préparer et qu'on cherche un livre à lire au cours de l'été : on y parle à la fois histoire et géographie, et cela donne un fond culturel qui sera utilisable à tout moment lors d'un grand oral. Je ne saurais donc trop vous le conseiller.
Pour vous mettre en bouche, voici la prise de notes recueillie dans l'épilogue : à elle seule, elle vaut le détour.
O. Kempf
554 A considérer un demi-siècle d’histoire du rapport de la France au monde, c’est la continuité qui l’emporte. Choix de l’Europe ; tropisme pour l’Afrique et le Moyen-Orient. Quels que soient les présidents les trois grandes orientations géographiques sont restées identiques. Il en est de même des trois grandes tendances de la diplomatie française : insistance sur l’indépendance nationale, affirmation d’une solidarité au sein de l’Alliance Atlantique tempérée par la distinction entre les périodes de crise ; enfin rôle privilégié pour la France comme intermédiaire entre les deux blocs mais aussi entre le monde industrialisé et les pays en voie de développement.
A bien y regarder cependant, une césure s’est produite en 1989-1991. Jusque là, la France est une puissance « contestatrice » … elle ne se satisfait pas du statu quo, bien que paradoxalement elle y trouve son avantage. … Après, il n’en est plus de même : la France qui perd la marge de manœuvre dans laquelle sa diplomatie se déployait se mue en puissance du statu quo. 555 « La France se trouve en même temps recalibrée en Europe et affaiblie dans le monde ». Elle perd en effet ses principaux atouts internationaux : la menace soviétique n’existe plus et la France ne peut plus jouer de l’alliance de revers face à une Allemagne réunifiée. … En Europe, elle se retrouve déphasée par rapport à un approfondissement incomplet et à un élargissement dissolvant. L’évolution fait apparaître la prépondérance de l’Allemagne, redevenue le centre géopolitique et géo-économique en Europe, l’habileté du Royaume-Uni qui sait en tirer profit sans en subir les contraintes et profiter du rôle de brillant second des Etats-Unis ; enfin, la gêne de la multiplication du nombre de petits pays qui n’entendent pas se laisser gouverner par un axe franco-allemand.
L’autre trait distinctif est le consensus en politique étrangère et de défense.
566 à propos de la politique étrangè... : S’il n’y a pas de rupture, si elle st très surfaite, pourquoi en avoir fait une posture ? L’explication doit en être recherchée dans la prise de conscience d’une politique étrangère à bout de souffle (cf. Baverez, mais aussi Lasserre et Mandeville, une pol ét à bout de souffle, pol Int, n° 112, été 2006).
568 La France doute de sa place dans le monde et de sa capacité à conserver son rang dans la mondialisation. « La France se sent mal et pourtant elle a tout pour aller bien ». … A l’heure des Etats-continents dont la puissance s’affirme, la France réduite à l’hexagone n’est plus en mesure de peser sur les affaires du monde. Si tant est qu’elle les ait jamais eus, la France n’a plus les moyens d’une politique étrangère globale et o=son intégration européenne est la seule susceptible de les lui procurer. .. LA France a bâti sa politique étrangère sur l’Europe comme multiplicateur de puissance et sa conception de l’Europe-puissance, alors que la plupart de ses partenaires sont partisans d’une Europe-espace, vaste ensemble qui ne serait qu’une zone de libre-échange.
569 Seule la dimension européenne permet d’exercer un rôle à l’échelle du monde. A une condition cependant : c’est que la France ne croit plus que le projet européen lui servira à retrouver son rang perdu et qu’elle fasse son deuil de l’Europe comme multiplicateur de puissance à titre national, car les deux ambitions sont contradictoires. Chez les responsables politiques français, on sent une hésitation à renoncer au maintien pour la France d’une certaine exception pour exercer la puissance par uen Europe interposée. « Le roman national touche sinon à sa fin, du moins à ses limites. Le roman européen ne fait que commencer, et avec peine » (S. Hoffmann). .. Faut-il abandonner une politique étrangère nationale qui, fondée sur un siège de membre permanent au CS, peut avoir une efficacité, pour une politique européenne difficile à élaborer à 27 et finalement inefficace ?
570 La France est une puissance moyenne à ambition mondiale. Moyenne, elle l’est autant par sa superficie (0,5% des terres émergées) que par sa population (1% de la population mondiale) et son poids relatif ne cesse de diminuer.. Si elle ne peut plus être considérée comme une grande puissance, elle conserve les attributs de puissance mondiale.
Dans un monde de plus en plus interdépendant, un pays comme la France peut-il avoir encore une politique étrangère autonome ? »Est-il temps d’aller encore plus loin dans l’abandon de l’héritage gaullien ? » (R. Franck).
571 Un certain nb d’observateurs.. « La France n’a pas admis qu’elle est un pays ordinaire ». Pour autant, la France conserve des atouts indéniables ; elle est l’un des cinq membres permanents du CSNU et du club nucléaire. Elle est une des principales puissances militaires dans le monde avec à la fois des capacités nucléaires et conventionnelles et une force de projection extérieure ; elle a l e 2ème réseau diplo du monde derrière les Etats-Unis. Elle appartient au G8, au G5 (quote-part du FMI) et sa puissance économique et commerciale la classe dans le peloton mondial des cinq ou six premiers. Ses performances sont brillantes dans des secteurs comme l’agroalimentaire, le nucléaire ou l’aérospatial. Elle a un rôle à jouer sous réserve de devenir une force de proposition et non plus de contestation.
573 trois voies s’offrent à elle : L’une consiste à ne pas abdiquer les atouts dont elle dispose. 574 L’autre voie revient à se reconnaître comme une puissance européenne poursuivant l’intégration. Enfin, al troisième voie revient à cultiver sa spécificité fondée sur son capital historique, linguistique, culturel et scientifique. Mais en essayant de garder le ton juste et en sachant qu’en faire trop est mal faire. Une grande politique d’influence menée sans arrogance mais avec détermination.