Max | Pietà

Publié le 31 juillet 2010 par Aragon

L'un des cinq, après t'avoir donné un ultime coup de poing sur le visage a posé délicatement ton pull sous ta  tête.  Geste d'incompréhensible humanité. C'est la seule image que j'ai vue.

C'est moi. Ce n'est pas mon regard, c'est moi. C'est moi tout entier qui descend à travers cette nuit, sidérale et glacée. C'est comme avec Google earth. J'étais quelque part en station géostationnaire à plusieurs milliers de kilomètres au-dessus de la Terre. Posé. Là, dans un espace que savent seuls ceux qui y sont déjà allés. Il existe cet endroit, bien sûr qu'il existe. Et maintenant je descends comme avec Google earth. Ainsi vous me suivrez, vous verrez  ce que je vois.  Ma descente est aussi la vôtre. Elle est précise, elle est lente, elle prend tout son temps, elle n'est pas vertigineuse cette traversée de l'espace. Le ciel n'est pas le gouffre que l'on croit.

Le ciel est facile à apprivoiser. Il peut largement  contenir dans le coeur d'un homme, il peut donc largement  le tenir aussi. Je descends. Précisemment, avec gravité, dans un total silence.  Des larmes coulent de mes yeux, ruissellent sur mon visage, nul sanglots pourtant, j'ai vu. C'est pourquoi je descends dans le silence.

L'est de la France, la route de Villiers près de Nancy. Je  ne vais pas me poser,  je reste à quelques mètres au-dessus de la terre, je regarde, le jour vient juste de se lever. L'avant-jour et cette lumière  qui ne pourra pas se décider à venir aujourd'hui, la clarté est souvent extrêmement confuse en Lorraine l'hiver, elle cède souvent au brouillard et justement ce matin, un brouillard léger drape ce paysage. Je suis au-dessus d'un champ de neige, un champ de blé couvert de neige.

Nelly, parce que tu t'appelles Nelly, je veux te nommer, comment as-tu vu cette forme si pâle au milieu du champ, malgré le brouillard, depuis la route ? Comment l'as-tu apperçue, par quel miracle ? Tu t'es arrêtée, tu as couru vers elle. Tu es pourtant épuisée après cette nuit de garde à l'hôpital. Tu vois cette enfant nue couverte de sang coagulé, le visage tuméfié, le corps brisé, meurtri, ils se sont acharnés, le bas du corps est affreusement mutilé, elle ne bouge pas, des larmes ont tracé des sillons sur ses joues, ses vêtements sont éparpillés autour d'elle, mêlés aux bouteilles brisées, en un cercle tragique. Tu la prends dans tes bras. Pietà. Tu arriveras ensuite à la porter jusqu'à ta voiture.  Tu fais demi-tour, repars vers l'hôpital, tu lui dis de tenir bon. Elle vivra.

Mes pieds touchent à présent le sol, ce champ de neige fraîche, étrange et doux. Tout est calme, si calme. Je marche, je fais quelques pas. Je m'arrête. Je regarde autour de moi, il n'y a plus qu'un assourdissant silence. Je reste immobile. Je ne partirai plus.