L’exposition universelle de Shanghai en est à mi parcours ; j’y ai été six fois (dont trois avec un “pass VIP”) ; j’ai vu une bonne cinquantaine de pavillons (recoupant partiellement avec la bonne cinquantaine de pays que j’ai eu la chance de parcourir), et je vais ici raconter un peu ce que ces visites m’ont apporté. (voir une visite virtuelle)
Avant l’expo mes enfants m’avaient demandé “qu’est ce que c’est l’expo ?” . Je leur avais dit que c’est une sorte de grande foire où chaque pays essaye de montrer qui il est, et ce qu’il a de plus beau. Mes enfants voulaient savoir comment on choisissait le gagnant, je n’ai pas su leur répondre.
Du déjà vu et du nouveau
On retrouve avec joie des pays déjà visités : certains sont très fidèles au souvenir qu’on en garde ; d’autres surprennent.
Le pavillon du Rwanda est très éloigné de ce merveilleux pays que j’avais visité dans les années quatre-vingt, avant le terrible génocide. Le pavillon de l’expo parle de “revivre” et de “reconstruire” ; il n’a pas un mot de Français (le nouveau Président Paul Kagamé transforme le pays en un pays anglophone, proche des Etats-Unis)
La Thailande, où j’ai vécu un an, se donne à voir dans son pavillon sous un jour très particulier : elle montre la force des relations sino-thai dans l’histoire, amuse le public et cherche à attirer les touristes chinois.
Le Venezuela, que j’ai visité il y a longtemps, développe un nouveau discours sur la “globalisation non inclusive”
La Corée du nord est un mystère pour moi. Visiter le pavillon c’est voir quelques photos, objets d’art, beaucoup de propagande et quelques coréens du nord triés sur le volet pour leur solidité idéologique à toute épreuve. Sur un mur est affiché ce slogan scandaleux :
North Korea : A paradise for the peopleJe discute un peu avec une vendeuse nord coréenne au stand des livres, qui ne parle peu anglais et pas chinois. Je lui achète un livre sur la femme de Kim Jong Il ; livre que la vendeuse me recommande chaleureusement. Après une bonne dizaine de séjours à Taiwan, je brûlais de voir le pavillon. Il est situé tout proche du pavillon chinois, presque recouvert par sa majestueuse toiture rouge. Le langage du pavillon, tout en douceur, m’étonne quand même beaucoup par sa revendication identitaire. Les guides sont ethniquement de type non chinois (est-ce choisi?) ; ils nous parlent de la diversite ethnique et nous donnent même des cours de minnan. Un film que l’on regarde de l’intérieur d’une énorme boule (en 720°) donne le frisson. La visite s’achève par un rituel pour la paix (en lançant dans le ciel des lanternes virtuelles) et par une cérémonie du thé.
Quelques impressions en vrac
On fait beaucoup la queue à l’expo, mais on vit beaucoup de moments intéressants. En voici quelques uns qui me reviennent.
N’ayant pas réussi à passer mon briquet dans ma chaussure cette fois ci ; je vois un occidental assis à la porte arrière d’un pavillon qui a l’air équipé. Je vais lui demander du feu ; il ne parle pas un mot d’anglais (ni chinois d’ailleurs). Il est kazakh, sûrement d’origine russe. Le visage charnu ; les yeux d’un bleu profond, les pommettes généreuses. Il me donne du feu et me laisse gentiment son briquet ; alors que nous sommes dans l’incommunication totale. Je le remercie bien droit dans les yeux et poursuis ma visite.
Une bengalie très charmante me fait un tatouage sur l’avant bras au pavillon du Bangladesh. Elle rêve de voir la France mais ne connaît que Bangladesh et Chine (où elle vit depuis quatre ans). Je suis flatté qu’elle rêve de la France mais triste qu’elle n’arrive à se satisfaire de sa vie en Chine.
Au Venezuela je goûte un instant le repos délicieux d’un hamac qui balance en plein air.
Des centaines de cris d’émotion jaillissent au pavillion islandais devant un banc de morues qui apparaît soudainement sur une gigantesque projection (trois écrans de centaines de mètres carrés). On se prend au jeu.
Plaisir de découvrir les régions de la Colombie : amazone, orenoque, caraibe, pacifique, andine
Une jeune chinoise deguisee en costume folklorique au pavillon iranien ; Je lui demande en blaguant si elle est iranienne ? Elle rit et me demande si moi je suis chinois ? (ce genre de recul sur la sinité est plutôt rare). C’est une étudiante sichuanaise ; nous discutons dix bonnes minutes de l’Iran, des religions, du communisme.
Un jour de forte pluie, en Nouvelle Zélande, à la sortie du pavillon, je marche dans un jardin reconstituant une flore très curieuse, moussue et très humide. En plus de la pluie à verse, des sprinklers nous arrosent.
Des tahitiens, hommes du bout du monde qui ne connaissent pas la métropole mais avec qui l’on partage la langue et une certaine complicité (voir le billet)
Dans le pavillon des pays africains, vraiment bondé car on ne fait pas la queue pour y entrer, une éthiopienne taille une bavette en me préparant un bon café. C’est éprouvant comme job. Elle passe plus de dix heures par jour dans cette foule bruyante et passante. Mais les cinq ou six éthiopiens qui sont là restent de bonne humeur ; ils plaisantent et rigolent.
Au pavillon ukrainien une famille chinoise typique, de trois générations, est atablée devant un festin de la gastronomie ukrainienne. Les mets disposés là m’attirent assez peu ; mais la famille chinoise n’y va pas du dos de la cuiller pour découvrir ces saveurs inconnues.
Au pavillon italien, un panneau explique le fonctionnement d’un outil d’astronomie importé en Chine par Matteo Ricci. Un chinois explique bruyamment à sa femme combien cette machine ne sert à rien.
Au pavillon Japonais je ne peux pas couper la file avec mon pass de VIP. Le jeune volontaire s’excuse avec une extrême politesse et me sort un petit papier avec une formule très bien tournée, en Chinois, Japonais et Anglais. On en ressort presque heureux d’avoir été rejeté !
Un soir, nous déambulons en famille alors que les pavillons sont fermés mais encore très joliment illuminés. Nous entendons de la musique et entrons dans le pavillon … cubain dans lequel une fête à tout casser rassemble tout ce que Shanghai peut compter de caraïbes.
Le pavillon argentin ne nous explique pas combien sa civilisation est ancienne et grandiose et blablabla, mais nous invite à venir faire nos études en Argentine. Ouverture ; accueil.
Un autre soir, nous parlons avec un volontaire canadien qui nous invite à une soirée dans l’espace VIP. La soirée est à but humanitaire : on lève des fonds pour un volontaire chinois du pavillon, dont la maison a brûlé dans l’ouest chinois. Nous avons pas mal bu, et ainsi financé quelques mètres carrés de carrelage. Délicieuse conversation avec un québequois qui nous fait rêver avec sa qualité de vie : il travaille de chez lui et va souvent dans sa cabane en bois, à deux heures de Montréal, au bord de son petit lac à lui.
Au restaurant du pavillon finlandais (superbe), j’ai commandé une sorte de far breton à la farine. Au dessus on m’a mis un gros tas de confiture et de crème fouettée. J’essaie de le manger mais me dis en mon for intérieur que c’est vraiment un étouffe-chrétien leur truc. Je lève les yeux et vois un chinois de mon âge, assis à la table voisine, qui visiblement pense exactement la même chose que moi.
En Argentine encore, un film montre des combats de coqs puis une scène de danse un peu osée. L’homme déshabille la femme et danse avec elle, tous deux torse nus. Les images sont magnifiques, mais plusieurs jeunes chinois se lèvent et quittent la salle dégoûtés, offusqués et très gênés (ce sont surtout des jeunes filles mais quelques jeunes hommes aussi).
A la sortie du pavillon anglais, je suis allongé par terre au milieu de gens d’un peu partout. Nous écoutons les beatles et regardons les étoiles ensemble. En Italie je caresse l’écorce d’un vieil olivier qui porte du fruit. Mais comment l’ont ils fait venir ? En Grèce je sens l’odeur d’un citronnier. Une danse roumaine un brin désuette me replonge chez les syldaves de Tintin.En Latvia (Lettonie ?), deux hommes font un étonnant numéro de chute libre dans un grand tuyau transparent en dessous duquel soufflent de puissants ventilateurs
Je suis amusé par l’air effaré de visiteurs occidentaux qui ne vivent pas en Chine et souffrent visiblement beaucoup de la chaleur, de la foule et du comportement chinois (si je laisse 60 centimètres d’espace libre devant moi dans la queue, c’est amplement suffisant pour qu’un couple s’y glisse en me doublant, et surtout en m empêchant de respirer). On a l’impression que ces occidentaux pourront encore tenir moins d’une heure avant de repartir excédés
Dernier moment touchant : le pavillon d’Israel remercie la ville de Shanghai d’avoir accueilli 30000 réfugiés juifs fuyant l’Europe de l’holocauste.
Les meilleurs pavillons
La question est très subjective ; les avis sont extrêmement contrastés (notamment les avis des français sur le pavillon français…). Mais bon, ceux que j’ai préféré sont :
1 Japon : bijou de contenu (on y reste plus d’une heure), de tradition et de modernité, de qualité, de technologie, d’esthétique. Les relations chinoises sont abordées sous l’angle du profil bas. Le pavillon commence par rappeler l’héritage chinois (l’apport de l’écriture sous les tang ) et poursuivra par une jolie histoire de grues menacées mais aujourd’hui sauvées grâce à une coopération écologique sino-japonaise. Un robot joue du violon ; une animatrice prend des photos du public, photos qui sont immédiatement projetées sur un écran géant (est ce un appareil wifi ?)
2 Chine : plus grand et architecturalement plus impressionnant que le Japon. L’intérieur est très beau, on ne montre pas que la splendeur passée de la Chine ; le sujet de la ville est très bien exploré. Superbe fresque animée géante, et d’intriguants jets d’eau qui arrivent à tracer des caractères chinois !
3 Angleterre : pavillon extraordinairement novateur. De l’extérieur, la forme fascine. Le contour échappe aux appareils photos. Les yeux cherchent à rattacher cette forme à quelquechose de connu, mais n’y arrivent pas. Ce n’est pas une boule, pas un oeuf, pas un ovale…
4 France : certes je n’y ai rien appris de nouveau ; mais en me mettant dans la peau d’un chinois je l’ai trouvé élégant et enrichissant. (visite virtuelle)
5 Espagne : Un régal pour les yeux ; un film superbe projeté sur deux immenses murs biscornus face à face. Très esthétique
6 Italie : tous les objets ou images montrés ont comme une âme, un caractère (mais quelle difficulte a trouver son chemin! le chaos des rues napolitaines)
8 Belgique / Europe : Ce pavillon reste dans l’esprit originel des expos. Il montre la contribution au progrès scientifique et humain. J’y découvre un grand nombre de personnalités belges.
9 Corée du Sud : beaucoup de queue mais un extérieur très particulier et un intérieur divertissant.
10 Inde (et Nepal, je n’arrive pas à les départager) : de beaux apercus de ces grands pays spirituels. (l’Inde vire un peu sur le nationalisme quand même).
La palme des pavillons les plus nuls : USA (tout le monde est d’accord là dessus, surtout les américains) ; Ukraine (qui prétend être le berceau de l’humanité après le déluge)
Apprendre
L’expo est l’occasion de découvrir et d’apprendre plein de choses
Je découvre une organisation sociale particulière : la Makhallya d’Ouzbékistan : mi-mafia mi-tontine mi-compagnonage. Cette organisation est officiellement reconnue par l’état.
Je découvre plusieurs noms chinois successifs pour le Pérou :
- 孛露 (nom donné par les jésuites)
- 秘国 à partir de 1874
- 秘鲁 dès 1912
(le caractère 秘 se prononce bi ou mi (le son bi est plus rare)
Conclusion
On regrette parfois la naiveté et l’idéalisme de l’exposition
Le pavillon américain parle que de rêves d’enfants. “j’imagine une voiture qui avancerait avec du jus d’orange”
La Colombie ne parle pas de drogue
L’Afrique du Sud oublie l’insécurité
Mais en voyant les antiquités et certaines créations modernes on se dit que l’humanité a fait beaucoup de belles choses, l’expo est là pour le montrer