III. Prier comme une veuve
29. Considère tout ce que je viens de dire et aussi ce qu’à ce sujet le Seigneur a pu t’inspirer, qui m’ait échappé ou qu’il m’eût été trop long d’exposer. Et efforce-toi de vaincre le monde par la prière. Prie en espérance, prie avec foi et amour, prie instamment et avec patience, prie comme une veuve du Christ. Tous ses membres, c’est-à-dire tous ceux qui croient en lui et font partie de son corps, comme il l’a enseigné, doivent prier. Cependant dans ses Écritures il recommande spécialement aux veuves de prier avec un zèle empressé. On y trouve mentionnées avec honneur deux femmes du nom d’Anne. L’une, mariée, enfant saint Samuel [68]. L’autre, veuve, reconnut le Saint des saints, lorsqu’il était encore petit enfant [69]. Celle qui était mariée pria, l’âme douloureuse et le cœur affligé parce qu’elle n’avait pas d’enfants ; elle conçut alors Samuel et le rendit à Dieu qui le lui avait donné ; car en le demandant elle l’avait voué à Dieu. Mais il n’est pas facile de voir comment sa prière s’accorde à la prière du Seigneur, à moins de la rapporter à ces paroles : « Délivre-nous du mal » [70]. On considérait comme un grand mal d’être marié et privé du fruit du mariage, puisque seul l’espoir d’avoir des enfants justifie le mariage. Mais d’Anne la veuve, vois ce qui est écrit : « Elle ne quittait pas le temple, servant Dieu nuit et jour dans le jeûne et la prière » [71]. De même l’Apôtre dit, comme je l’ai rappelé ci-dessus : « Celle qui est vraiment veuve et abandonnée a mis son espérance dans le Seigneur et persévère dans la prière nuit et jour » [72]. Et le Seigneur, pour nous exhorter à « toujours prier et à ne jamais nous lasser » [73], mentionne cette veuve qui, à force d’assiduités et de sollicitations amena à s’intéresser à sa cause un juge inique, impie, contempteur de Dieu et des hommes. Tu peux saisir facilement par là combien les veuves doivent plus que d’autres s’adonner à la prière, puisque c’est leur exemple qui est proposé à tous pour les exhorter à s’appliquer à la prière.
30. Mais pourquoi les veuves sont-elles particulièrement désignées pour ce devoir, sinon à raison de leur délaissement et de leur désolation ? C’est pourquoi toute âme qui comprend qu’elle est délaissée et abandonnée en ce monde, « tant que nous cheminons loin du Seigneur » [74], recommande en quelque sorte son veuvage à Dieu par une prière assidue et ardente. Prie donc comme une veuve du Christ, puisque tu ne jouis pas encore de la vision de celui dont tu implores le secours. Et quoique très riche, prie comme un pauvre. Car tu ne possèdes pas encore les vraies richesses de ce monde à venir où tu n’auras plus de pertes à redouter. Quoique tu aies des enfants et des petits-enfants et une nombreuse famille, comme je l’ai dit précédemment, prie comme une abandonnée. Car incertaines sont toutes les choses temporelles, même celles qui demeureraient pour notre consolation jusqu’à la fin de cette vie. Mais toi, si tu recherches et aimes les choses d’en haut, tu désires les biens éternels et sûrs. Aussi longtemps que tu ne les possèdes pas encore, même si les tiens sont en bonne santé et pleins de dévouement pour toi, tu dois te considérer comme une abandonnée — et non seulement toi, mais assurément aussi, poussée par ton exemple, ta pieuse belle-fille et les autres saintes vierges et veuves qui vivent en sécurité sous votre tutelle. Plus vous dirigez votre maison avec amour, plus vous devez prier avec persévérance, ne vous occupant du soin des choses présentes qu’autant que vos devoirs l’exigent.
31. Souvenez-vous de prier assidûment pour nous aussi. Nous ne voulons pas que vous respectiez notre dignité, si périlleuse à porter, au point de nous priver d’une aide dont nous sentons la nécessité. La famille du Christ a prié pour Pierre [75], elle a prié pour Paul. Vous êtes également, à notre grande joie, de cette famille, et, incomparablement plus que Pierre et Paul, nous avons besoin du secours de prières fraternelles. Livrez ensemble un saint assaut de prières ; car vous ne combattez pas l’une contre l’autre, mais contre le diable, l’adversaire commun de tous les saints. Les jeûnes, les veilles, et toutes les mortifications corporelles aident puissamment la prière [76]. Que chacune de vous fasse ce qu’elle pourra. Ce que l’une ne peut pas, elle le fait dans celle qui le peut, si elle aime dans cette autre ce que sa faiblesse ne lui permet pas d’accomplir elle-même. Ainsi que celle qui peut moins n’empêche pas celle qui peut davantage, et que celle qui peut plus ne presse pas celle qui peut moins. Car vous devez votre conscience à Dieu et « vous ne devez rien à personne d’entre vous sinon l’amour mutuel » [77]. Que t’exauce ce Seigneur qui « est capable d’accomplir bien au-delà de ce que nous pouvons demander ou concevoir » [78].
[68] Cf. 1 S 1, 18.
[69] Cf. Lc 2, 36.
[70] Mt 6, 13.
[71] Lc 2, 37.
[72] 1 Tim 5, 5.
[73] Cf. Lc 18, 1.
[74] 2 Co 5, 6.
[75] Cf. Ac 12, 5).
[76] Cf. Tb 12, 8.
[77] Ro 13, 8.
[78] Éph 3, 20.