Un million d'euros d'amende : la société de négoce international Trafigura - 35 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2009 - ne devrait pas souffrir de la condamnation prononcée vendredi 23 juillet par un tribunal d'Amsterdam dans l'affaire du Probo-Koala.
En août 2006, ce navire transportait des fonds de cuve pestilentiels qui seront déversés dans plusieurs sites d'Abidjan. Les émanations chimiques avaient incommodé des dizaines de milliers d'habitants de la ville ivoirienne, semé l'émoi au-delà de l'Afrique et mis en exergue des pratiques douteuses en matière de gestion des déchets toxiques.
Quatre ans plus tard, le président de la Cour néerlandaise, Frans Bauduin, a estimé que la société spécialisée dans le pétrole et les matières premières avait enfreint la législation européenne sur l'exportation des déchets. Le commandant ukrainien du navire, Sergueï Chertov, et un employé de Trafigura basé aux Pays-Bas, Naeem Ahmed, ont été condamnés respectivement à cinq et six mois de prison avec sursis pour avoir embarqué des produits dont "la nature dangereuse était établie".
A Amsterdam, n'était ainsi jugé qu'un épisode contingent du périple du Probo-Koala, correspondant à l'escale du bateau dans le port néerlandais le 2 juillet 2006. Après avoir servi de raffinerie flottante et désulfuré en pleine mer un pétrole de mauvaise qualité, le tanker s'était retrouvé encombré de 500 m3 d'un résidu à l'odeur insupportable. Il avait accosté aux Pays-Bas, afin de s'en débarrasser.
Une société spécialisée, Amsterdam Port Services (APS), avait accepté le contrat mais décidé d'augmenter son prix en découvrant le mélange suspect. Trafigura avait refusé. Le commandant Chertov avait rechargé sa cargaison nauséabonde, qui finira, un mois plus tard, dans les faubourgs d'Abidjan. Les autorités portuaires et APS ne l'en avaient pas empêché : traduites devant le tribunal pour cette négligence, elles ont finalement été exonérées dans le jugement.
Les événements dramatiques survenus en Côte d'Ivoire n'ont donc pas été centraux lors du procès, qui s'est tenu du 1er juin au 9 juillet, ponctué de séances qui ont souvent viré à la bataille d'experts. Le jugement précise cependant que Trafigura "a exporté les déchets sans avoir mené d'enquête approfondie pour savoir si la ville portuaire d'Abidjan avait les installations adéquates pour (les) traiter de manière responsable".
Même de cette manière connexe, c'est la première fois que l'affaire du Probo-Koala trouve un dénouement judiciaire. Par deux fois, des poursuites avaient été engagées contre Trafigura puis interrompues par une transaction financière. Devant la justice d'Abidjan, après le versement, en février 2007, de 152 millions d'euros à l'Etat ivoirien.
Il vogue toujours
Devant une cour londonienne, après l'indemnisation, en septembre 2009, à hauteur de 33 millions d'euros, des milliers de victimes avaient entrepris une action collective. Cette fois, le bataillon d'avocats dépêché par la société, jouant judicieusement des flous et des contradictions des règlements internationaux, n'a pu empêcher le procès d'aller à son terme.
Dans un communiqué, la société s'est dite "déçue" par le jugement, évoquant "l'optique de faire appel". Mais elle souligne aussi que le tribunal n'a pu tirer de conclusion définitive sur la nocivité des fonds de cuve : "Il est important que la Cour ait noté qu'il n'y avait qu'un risque limité pour la santé humaine au contact de ces déchets." Tout en admettant les désagréments olfactifs des rebuts et en reconnaissant "des symptômes bénins et passagers" dus à la puanteur, Trafigura a toujours réfuté les accusations des autorités ivoiriennes, qui imputent aux miasmes chimiques qui ont recouvert Abidjan seize morts, des maladies graves et des fausses couches.
Greenpeace s'est réjoui du jugement de vendredi : "C'est un premier pas vers la justice, et un signal fort envoyé aux autres compagnies : l'exportation illégale de déchets en Afrique ne restera pas impunie..." Même si l'association écologiste regrette que Trafigura n'ait pas été poursuivie pour les faits qui se sont passés en Côte d'Ivoire. Elle a saisi en 2009 la Cour d'appel de La Haye, qui décidera, en septembre, s'il convient de se pencher sur cet autre épisode.
Un groupe d'avocats basé à Paris, Sherpa, et l'association française Robin des bois ont aussi saisi la Commission européenne d'un recours contre des Etats membres de l'Union qui ont laissé repartir de leur port le Probo-Koala et sa fétide cargaison avant que le navire soit enfin immobilisé dans le port de Paldiski-Tallinn, en Estonie, fin septembre 2006. Robin des bois rappelle que le bateau maudit continue toujours de voguer, sa coque bleue repeinte en rouge. Il s'appelle désormais le Gulf-Jash...
Benoît Hopquin, Le Monde