Que l'héroïsme devient collectif et non la glorification d'un individu : c'est ce qui nous frappe en lisant "Un nouvel art de militer" de Sébastien Porte (texte) et Cyril Cavalié (photos). "Dans tout le champ de la contestation moderne, il n'y a pas de héros" écrit pourtant Sébastien Porte. En effet : c'est plutôt le modèle du héros individuel, du chef de groupe, de hiérarchie, qui disparaît dans les collectifs militants organisés en réseau sur internet depuis les années 2000, comme l'auteur l'expose également.
Apparaît alors un héroïsme de groupe qui agit dans le réel sous forme d'actions spectaculaires, et qui consiste à mettre de côté ses particularités idéologiques au nom d'un but commun, donc de sacrifier ses intérêts personnels afin de faire évoluer la société. C'est la définition exacte de l'héroïsme donnée par le mythologue Joseph Campbell : “il a pour objectif de sauver un peuple, un être ou de défendre une idée. Le héros se sacrifie dans un but précis, c'est la moralité de sa conduite” (Puissance du mythe).
En arrière-plan, un rêve commun de "société idéale" guide l'action de ces nouveaux militants et sa forme éthique : jamais de violences verbales et physiques, une transparence réelle dans l'organisation auprès de la police et du public, une liberté de participation sur le mode de "l'engagement distancé" explique Sébastien Porte. L'action doit en effet être visible et restée "supérieurement morale" par rapport aux évacuations musclées par les forces de l'ordre.
Prenons comme exemple emprunté au livre, ces membres de l'association "Amis de la Terre" : la Brigade d'action contre la déforestation pratique des parodies de scellés de bois dit illégal car il détruit les forêts : "nous avons réfléchi à un mode d'action qui soit plus humoristique. On peut avoir une vision radicale, mais il ne faut pas que, par les actions, on braque les gens".
Humour donc, projections de cotillons, déguisements, fêtes ludiques pour protester : c'est un trait majeur de ce nouveau militantisme. Pas de culpabilisation des consciences ou d'éveil par l'horreur, même si certains mouvements montrent une ironie plus sombre quand on propose des tripes de Tibétains à vendre sur le trottoir à la criée pour dénoncer le comportement répressif de la Chine à l'égard du Tibet lors du passage de la flamme olympique en août 2008 : c'est l'initiative de "ré-actions citoyennes".
Par ces photographies percutantes, Cyril Cavalié montre que ces actions ont du sens, car la quête de ces collectifs est bien de ""créer des zones de pouvoir pour forcer le pouvoir à changer de politique". Il évoque aussi aussi leur caractère esthétique : que la beauté visuelle n'est pas absente de la défense d'idées, même si l'artistique ne doit pas faire oublier le message politique derrière. La beauté est alors un effet secondaire, liée aux mises en scènes spectaculaires des militants dont l'un des modèles est certainement l'encapotage de l'obélisque, place de la Concorde, à Paris par le groupe Act up dans les années 90. La place de la Concorde avait alors été rebaptisée place des morts du SIDA. Cette action très visuelle avait développé une parole plus étendue sur la maladie, et aider à modifier le comportement du public à l'égard des préservatifs.
Sur www.savoirchanger.org, Sébastien Porte et Cyril Cavalié ont répondu à mes questions en vidéo pour "lever une méfiance" sur l'action politique en expliquant les changements opérés par ces nouveaux collectifs par rapport à un militantisme plus traditionnel, sans pour autant le renier : j'insère nombre de photographies dans la vidéo.
Leur parole, comme leur livre, a cette force de rendre l'héroïsme contagieux, car "ce besoin de faire bouger le monde est en chacun d'entre nous", déclare Sébastien Porte, et "il est indispensable de le cultiver".
Laureline Amanieux.