Le « Club DSK » : autopsie d’une non-information

Publié le 30 juillet 2010 par Variae

Misère du journalisme politique. A défaut de privilégier l’analyse, la prospective, ou l’investigation, il se réduit mécaniquement à une chasse aux scoops, aux buzz, quitte à les fabriquer au besoin, et à se réduire au rôle de chronique quotidienne de l’insignifiance. Son pain quotidien est alors fait de confidences de responsables politiques, de considérations pseudo-tactiques sur la tambouille interne des partis, et de supputations interminables sur la candidature d’untel ou d’untel à tel ou tel poste. Quand « untel » s’appelle DSK, et quand « tel poste » n’est autre que l’Élysée, on tient un des plus beaux marronniers de ce journalisme politique. Y va, y va pas ?

Forcément, quand un « Club DSK » se crée, notre ami journaliste se dit qu’il a touché le jackpot. ENFIN, une preuve, quelque chose se met en mouvement en strausskahnie ! Le Figaro, apparemment premier journal à signaler ledit club, parle de sa découverte comme d’une « révélation », quand 20 Minutes titre sur le « mystérieux » Club DSK. Ambiance Club … des 5 garantie. Très vite toute la presse embraye, selon des modalités différentes : à la suite du Figaro, le NouvelObs, La Dépêche ou le Télégramme reprennent sans recherche plus poussée l’annonce de la création du club ; L’Express, Libé, Le Point ou encore Le Parisien ajoutent quant à eux une touche de piment, en s’interrogeant sur l’identité du fondateur du club, ou en donnant la parole à des responsables dskistes lui déniant toute légitimité officielle.

Tient-on là le feuilleton politique de l’été ? Mis face à cette information, nos amis journalistes devraient avoir (et ont eu en partie pour certains d’entre eux) le réflexe d’aller voir précisément de quoi il retourne, le degré de sérieux de l’initiative, le poids réel en terme de militants ou de sympathisants, etc. L’identité du responsable a rapidement été mise au jour, ainsi que le nombre de membres du club selon lui (un millier). La recherche s’arrête là. Les différents articles reprennent ensuite à peu près tous le même canevas : cette initiative n’a pas le soutien du « canal historique » des strausskahniens du PS, Christophe Borgel la critique même ouvertement ; son initiateur est un ancien du MoDem. Rendez-vous est enfin donné, en conclusion, à l’Université d’été du PS à La Rochelle, où le Club DSK est censé se dévoiler.

On aurait pourtant pu pousser un peu plus loin l’investigation. Observer le nombre pour le moins modeste de « followers » du compte Twitter du club, ainsi que de celui de son mouvement de jeunesse (!) ; voir comment les deux comptes s’entre-twittent avec celui du fondateur du club ; remarquer le peu de contacts du club sur la CooPol, le réseau social PS, et sur FaceBook. Noter la quasi-absence de contenus originaux sur le site du club, qui fonctionne comme une revue de presse web ; découvrir, en cherchant un peu, que le patron du Club DSK est lié à deux autres sites/associations (Association Grand Paris et Planète Verte) fonctionnant exactement sur le même principe (et reprenant pour l’un des deux le même site que le Club) : je repère une idée à la mode ; je lance une organisation fantomatique et ne coûtant rien (merci Internet) pour me positionner dessus avant tout le monde ; j’essaie de m’imposer auprès des médias comme un interlocuteur essentiel sur le sujet, et de faire venir à moi des sympathisants de cette cause.

Ayant constaté cela, ayant ensuite vu que la personne en question est non seulement un ancien du MoDem, mais a également tenté sa chance aux régionales sur les listes de l’Alliance Écologiste Indépendante ; ayant enfin vérifié qu’aucun responsable strausskahnien sérieux n’est pour le moment de la partie, Monsieur Journaliste devrait en toute logique se dire : « Je suis face à une démarche probablement opportuniste, faite pour m’intoxiquer, et qui pour le moment ne pèse rien de plus que ce que j’en dirai ; je ne peux pas exclure que cette démarche prenne et qu’un mouvement spontané de citoyens pro-DSK se développe en France ; mais je vais attendre que cela arrive pour en parler, parce qu’il y a quand même des sujets plus importants ».

C’est vrai qu’il y a des sujets plus importants, même sur DSK ; par exemple, enquêter sur la réalité de sa reprise en mains sociale-démocrate du FMI. Nul besoin d’être grand clerc pour deviner que la question sera au cœur d’un éventuel retour de DSK en France, que ses soutiens à gauche le présenteront comme le grand régulateur de l’économie mondiale, quand les autres essaieront de le dépeindre comme l’affameur des Grecs et des Roumains. Monsieur Journaliste serait très utile, alors, pour remettre un peu de rationalité dans une discussion qui a toutes les chances de virer à la foire d’empoigne sanglante. Encore faut-il, pour cela, que Monsieur Journaliste ait préparé le sujet en amont.

Oui mais voilà. Ceci demanderait du temps, du travail, probablement de l’argent, et ne règlerait pas le problème du buzz à trouver quotidiennement. Donc Monsieur Journaliste décide malgré tout de « sortir » l’information sur le pseudo-club, en la rehaussant au besoin d’un petit écrin de mystère comme on l’a vu précédemment. Intéressant aussi est l’angle choisi par plusieurs titres, celui du « Club DSK dirigé par un ancien du MoDem ». Pourquoi cet axe de lecture, et pas celui consistant à présenter le fondateur du Club comme un ancien de l’Alliance Écologiste Indépendante, ou tout simplement comme un citoyen indépendant ? Parce que cette lecture permet de (ré)activer deux des serpents de mer les plus explosifs de l’actualité socialiste : la candidature DSK, donc, mais aussi le spectre de l’alliance au centre avec le MoDem, ingrédient aussi principal que fictif du psychodrame de Reims. « L’organisation de campagne de Strauss fondée et dirigée par un ancien bayrouiste, ça c’est du scoop mon gars ! » Joli chiffon rouge à même d’attiser d’interminables débats qui ont toujours leur petit succès.

Ce petit épisode médiatique, fondamentalement anecdotique, est malgré tout révélateur de ce à quoi on peut s’attendre pour les deux prochaines années. Focalisation des médias sur les personnes, les alliances, les cuisines internes, les anecdotes « savoureuses », avec comme cache-misère quelques grands débats passionnants du type « DSK, social-libéral ou social-démocrate ? ». Je peux aussi, cher lecteur, t’annoncer en exclusivité les gros titres de la même presse au lendemain de l’élection : « L’abstention, le grand vainqueur ».

Romain Pigenel