Apparemment, Montréal et Paris ont des problèmes en commun. L’aspect festif nécessaire des cités ne saute pas aux yeux de tous. Le DJ /producteur Ghislain Poirier s’est fendu le mois dernier d’une lettre au maire de Montréal pour se plaindre du fossé entre le discours de la mairie et la réalité du terrain, où les flics salent les amendes des clubs autant que les routes en hiver. Pour Poirier, mettre du son, c’est plus qu’un métier, c’est une idéologie. C’est ainsi que la réputation de ses soirées Bounce le gros ont dépassé les frontières du pays, avant de finir en apothéose il y a trois ans, portées par des sons qui oscillent au plaisir entre digital-reggae, big beat, soca et toutes les sous catégories du beat cassé. “J’fais des gros beats ! Moi, j’appelle ça de la ‘bass’. Disons, en trois mots, ragga, électronique et hip hop. Mes morceaux sont les enfants bâtards de ces genres-là.” Proche de Diplo, Ghislain Poirier est souvent considéré comme son alter ego canadien. Il est d’ailleurs aussi signé sur Ninja Tune, par le biais de sa filiale à Montréal:“C’est une petite grosse différence, dans le sens où ils sont un peu indépendants du bureau de Londres.”
Sur ce nouvel album, Running High, il mise tout sur l’efficacité. Sur le premier disque, il compile des EP’s sortis cette année et des remixs sur le second. Il se paye même le luxe d’avoir au micro le timbre le plus grave de Jamaïque, Burru Banton. Tellement grave que Poirier se contente de lui fournir un beat minimaliste, la voix de Burru Banton faisant la basse et les lyrics en même temps. Dans le paysage audio de Montréal, marqué par le rock, Poirier a dû batailler pour se faire une place, même s’il considère que rien n’est vraiment établi dans la ville (“le son québecquois n’existe pas. Il n’y a que des comètes qui traversent le paysage musical”) et se retrouve à devoir prouver son identité comme sur Bounce le remix: “Souvent j’entendais des commentaires à savoir que ce que je faisais n’était pas hip-hop. Alors j’ai eu l’idée de faire ces remixes pour montrer qu’avec des acapellas que les gens connaissent, je pouvais mettre mes beats et que ça passait très bien.”
Mais Ghislain entretient savamment la perception diffuse de sa musique. Il n’hésite jamais à sortir des carcans, assumant totalement son côté pop et bitchy (90’s Backyard), et ne cherche pas à être pointu pour le geste. Il a aussi souvent la main lourde pour doser ses basses. Quelque part, sa musique est une sorte d’extension du Sleng Teng, le premier riddim électronique du ragga jamaicain, ultra basique, mais monstrueusement efficace. A voir la réaction des gens en soirée, c’est un plaisir qu’il est difficile de se refuser. “D’habitude, les gens crient quand ils reconnaissent un titre. Quand ils se mettent à crier pour quelque chose de nouveau c’est totalement jouissif!”
Smaël Bouaici
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