Corrélation entre possessions d'armes à feu et suicides par balle?

Publié le 29 juillet 2010 par Francisrichard @francisrichard

Les médias se sont fait l'écho aujourd'hui ici et ici [d'où provient la photo ci-contre] d'une étude menée par l'Institut de psychiatrie sociale de l'Université de Zürich et publiée par la revue European Psychiatry ici.

24 Heures donne ici un aperçu de cette étude que l'on peut acquérir en ligne pour la modique somme de 31.5 $ [ou en lire le résumé ici] :

"En Suisse, le taux de suicides par balle a reculé de 30% à 19% entre 1998 et 2007, alors que le taux de possession d’armes à feu a baissé de 38% à 28%. En revanche, l’enquête révèle qu’il y a eu, en neuf ans, pas moins de 13 410 suicides, dont 3169 par balle, réalisés en majorité par des hommes."

Le quotidien aurait pu ajouter que le nombre de suicides d'une manière générale a baissé puisqu'il est passé, selon l'Office fédéral de la statistique, pour les hommes de 28,1 pour 100'000 habitants en 1995 à 21,9 en 2007 et pour les femmes de 10,4 à 9,1 ici. Comme le taux de mortalité a baissé de manière tout aussi générale. Est-ce à dire que c'est dû à la baisse de possession d'armes à feu ?  

Les cantons ne seraient pas logés à la même enseigne selon l'étude, ce que 24 Heures rapporte en ces termes :

"Uri, Obwald et Nidwald affichent en effet à eux trois le taux de possession le plus élevé avec 57%, et un taux de suicides par balle de 32,7% [...]. Seuls 22,2% des foyers vaudois possèdent une arme pour un taux de suicides par balle de 17,2%. Et la proportion est de 18,2% et 15,2% à Genève."

Si effectivement la proportion de suicides par balle est plus élevée dans les cantons de Suisse centrale, il faut remarquer que le rapport taux de suicides sur taux de possession d'armes y est plus favorable que dans les cantons de Vaud et de Genève.

On possède plus d'armes à feu en Suisse centrale. On s'y suicide davantage par balle, mais il pourrait y avoir davantage encore de suicides par balle si le rapport taux de suicides sur taux de possession d'armes était le même qu'à Genève. Le taux de suicides par balle ne serait alors pas de 32,7%, mais de 47,6%. Il faut donc se méfier des comparaisons...

L'affirmation gratuite selon laquelle "c'est l'occasion qui fait le suicidé" est sujette à caution. En effet pour prendre cette fois l'exemple du Canton de Vaud, il y a eu 141 suicides en 2007 pour une population de 669'000 habitants, soit un taux de suicides de 21,1 pour 100'000 habitants. Dans toute la Suisse, toujours en 2007, il y a eu au total 1360 suicides pour une population de 7'593'000 habitants, soit un taux de suicides de 17,9 pour 100'000 habitants [voir ici et ici]. Ce qui veut dire qu'avec un taux de possession d'armes à feu inférieur, 22% contre 28%, le Canton de Vaud n'en a pas moins eu davantage de suicidés en proportion que le pays entier. Les candidats au suicide vaudois se passent d'armes à feu pour passer à l'acte... mais ils y passent.

Je crains donc que l'association Stop suicide ici ne se réjouisse un peu trop vite. Elle écrit même une ânerie ici :

"Ainsi, nous apprenons qu’en 9 ans, 13’410 personnes se sont données la mort avec une arme à feu en Suisse."

13'410 est en effet le nombre total de suicidés et 3'169 le nombre de suicidés par balle...

L'association persévère dans l'ânerie, puisqu'elle enchaîne :

Ceci est d’autant plus alarmant lorsque l’on sait qu’à Genève, par exemple, 18.2% de la population possède une arme à feu à la maison et que 15.2% d’entre eux se suicident avec cette arme."

En bon français cela signifie que 15,2% des 18,2% détenteurs d'armes à feu se suicident avec leur arme, soit 2,77% de la population ! Stop suicide ne nous dit pas sur quelle période... mais on peut craindre le pire. 

En conclusion, on peut faire dire aux chiffres un tas de choses, et, même, le tout et son contraire. Plutôt que de fantasmer sur les armes à feu et imaginer que l'on pourrait "éviter 100 suicides par an" en prenant des mesures liberticides, il vaudrait mieux, me semble-t-il, s'intéresser davantage au pourquoi qu'au comment.

Francis Richard