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On aura leur peau

Publié le 29 juillet 2010 par Deschibresetdeslettres

On aura leur peau

L'autre jour je regardais Tellement Vrai sur NRJ 12, vous avez ce WTF télévisuel qui enfonce à plate couture les habituelles histoires de jalousie de Confessions Intimes. Le thème était « je fais tout pour être connu », avec une galerie de fous – au sens strict – prêts à n'importe quoi pour réussir. Évidemment, c'était hilarant et pathétique, puisqu'on naviguait en permanence aux confins du surréaliste. Seulement, le réalisateur, en fin d'émission, est intervenu pour une défense émouvante de ses personnages. Fous, oui, insoumis à toute réalité, aussi, mais pas plus cons que la moyenne, pas anomalies coupées du monde, plutôt symptômes exacerbés, tumeurs monstrueuses d'une société que nous habitons. Cette hypothèse du réalisateur – celle que l'on ne croit plus à l'ascenseur social mais uniquement au téléporteur social –, bien qu'elle ne soit ni très neuve ni très fouillée, a pourtant rencontré un vif écho en moi. Des semaines et de mois en effet que je pestais dans mon coin, que je rugissais d'énervement à l'écoute de tous les disques folk, folk-rock, indie-pop qui me passaient aux oreilles. Mes premières grimaces remontent à bien plus longtemps, mais ces derniers temps j'ai été plus que jamais excédé par cette sensation que, dans le petit monde de la musique indépendante, la soif de succès est aussi présente que dans n'importe quelle vulgaire real tv. L'ambition est plus noble, soit, sortir un chef d'œuvre est moins scandaleux que devenir un people, mais le processus est le même, à peine un groupe formé qu'il se prend déjà au sérieux – le marketing avant la composition, le plan de carrière avant les remous de la création. Si en terme de résultat on avait notre compte, je dirais que peu importe, le bankable peut tout à fait être génial, seulement là la musique en pâtit, et ce de manière dramatique.
Je me suis pas mal étonné à réhabiliter massivement les derniers disques de Wilco, il y a quelque temps, malgré leur paresse et leur aspect très conventionnel. J'ai compris un peu plus tard la raison : il y a tout simplement dans Wilco de bons musiciens. Des types qui ont fait leurs gammes. Comme Nels Cline, qui vient de sortir un album de jazz-rock tout à fait intéressant. Il y a pas de secret, quand un groupe a des possibilités internes, je veux dire des potentialités techniques, eh bien il a beaucoup plus de chance d'éviter la mort. Alphabet augmenté, vocabulaire supérieur, voilà les principales clés pour bien s'exprimer en musique. Et aujourd'hui tout cela est bafoué. Culte de l'autodidacte, zéro apprentissage, on méprise l'instrument, on méprise la voix parce que l'on hait les outils. Les guitares sont des putes, juste bonnes à faire des belles chansons. L'instrument est à peine effleuré qu'on pense déjà à ce qu'on pourra en faire, à comment il pourra porter notre ambition. Le but, dans tout ça, ce sont les belles mélodies, les mélodies intemporelles qui pourront nous incarner. Je crois sincèrement que les belles mélodies vont tuer la musique. Ils la nivellent vers le bas, vers des grilles d'accord toujours plus simples, vers un plaisir toujours plus strictement limité. Le folk aujourd'hui est par exemple fait de ça : on sort des albums comme si on meublait son myspace, avec une mise en page aléatoire, sans connaissance du HTML, tout ça pour un débordement d'égo mal assumé, arty au diable, bourré de pathos et avec surtout la prétention de faire autre chose que du SMS de skyblog.
Le problème dont je parle est ici très mal exposé, ça vient comme ça, en vrac, parce que j'ai pas le courage de faire autrement, il n'empêche que je suis très grave sur ce sujet. L'appauvrissement de l'offre musicale, c'est un thème classique depuis des années. On y vient souvent par la question du téléchargement illégal, là je situe le danger bien ailleurs, du côté des artistes eux-mêmes. Elle est bien loin en effet la culture du jazz où un artiste naissait sur une interprétation, sur une façon inédite d'appréhender une mélodie et de tourner autour. Dans la pop-folk contemporaine, tout le monde se prétend compositeur, songwriter, tout le monde à égalité, musique plate, sans ressorts autre que l'émotion première, toujours les mêmes notes délavées, les mêmes malaises évoqués, une armée de nombrils qui derrière leur timidité cachent un narcissisme dévorant. Quand ils se seront bien branlés sur leurs trois accords, on pourra passer à autre chose, j'espère, on remettra un peu d'élégance dans ce genre flétri par l'arrogance de sous-doués. Pourquoi pas, après tout, puisque plein d'autres genres y arrivent.
Bim.

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