Je me suis pas mal étonné à réhabiliter massivement les derniers disques de Wilco, il y a quelque temps, malgré leur paresse et leur aspect très conventionnel. J'ai compris un peu plus tard la raison : il y a tout simplement dans Wilco de bons musiciens. Des types qui ont fait leurs gammes. Comme Nels Cline, qui vient de sortir un album de jazz-rock tout à fait intéressant. Il y a pas de secret, quand un groupe a des possibilités internes, je veux dire des potentialités techniques, eh bien il a beaucoup plus de chance d'éviter la mort. Alphabet augmenté, vocabulaire supérieur, voilà les principales clés pour bien s'exprimer en musique. Et aujourd'hui tout cela est bafoué. Culte de l'autodidacte, zéro apprentissage, on méprise l'instrument, on méprise la voix parce que l'on hait les outils. Les guitares sont des putes, juste bonnes à faire des belles chansons. L'instrument est à peine effleuré qu'on pense déjà à ce qu'on pourra en faire, à comment il pourra porter notre ambition. Le but, dans tout ça, ce sont les belles mélodies, les mélodies intemporelles qui pourront nous incarner. Je crois sincèrement que les belles mélodies vont tuer la musique. Ils la nivellent vers le bas, vers des grilles d'accord toujours plus simples, vers un plaisir toujours plus strictement limité. Le folk aujourd'hui est par exemple fait de ça : on sort des albums comme si on meublait son myspace, avec une mise en page aléatoire, sans connaissance du HTML, tout ça pour un débordement d'égo mal assumé, arty au diable, bourré de pathos et avec surtout la prétention de faire autre chose que du SMS de skyblog.
Le problème dont je parle est ici très mal exposé, ça vient comme ça, en vrac, parce que j'ai pas le courage de faire autrement, il n'empêche que je suis très grave sur ce sujet. L'appauvrissement de l'offre musicale, c'est un thème classique depuis des années. On y vient souvent par la question du téléchargement illégal, là je situe le danger bien ailleurs, du côté des artistes eux-mêmes. Elle est bien loin en effet la culture du jazz où un artiste naissait sur une interprétation, sur une façon inédite d'appréhender une mélodie et de tourner autour. Dans la pop-folk contemporaine, tout le monde se prétend compositeur, songwriter, tout le monde à égalité, musique plate, sans ressorts autre que l'émotion première, toujours les mêmes notes délavées, les mêmes malaises évoqués, une armée de nombrils qui derrière leur timidité cachent un narcissisme dévorant. Quand ils se seront bien branlés sur leurs trois accords, on pourra passer à autre chose, j'espère, on remettra un peu d'élégance dans ce genre flétri par l'arrogance de sous-doués. Pourquoi pas, après tout, puisque plein d'autres genres y arrivent.
Bim.