Le grand espoir du XXème siècle par Jean FOURASTIE

Publié le 29 juillet 2010 par Mpbernet

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Lorsque je découvris ce livre, en 1966, c’était déjà un classique, et ce fut pour moi une révélation, l’explication lumineuse de l’évolution humaine que je ne parvenais pas à saisir par l’approche uniquement historique, telle que nous l’apprenions au Lycée. L’édition originale datait de 1949, et les thèses développées restaient d’une brûlante actualité. L’idée m’est venue de relire ce livre fondamental de la science économique avec le recul de l’âge et du temps : mon enthousiasme en est encore aussi vif et je le recommande à tous ceux qui veulent mieux comprendre les évolutions de notre monde contemporain….et en plus, dans un style à la fois alerte, accessible et d'une lecture tout à fait abordable pour le non-initié.

Jean Fourastié est né en 1907 et nous a quittés il y a tout juste vingt ans. Il fut un compagnon de Jean Monnet et, jusqu'en 1978, professeur à l'Institut d'Etudes Politiques. Son ouvrage décrit avec verve les conséquences économiques du progrès technique sur le développement de l'économie et le niveau de vie, mesuré par la productivité du travail.

Il donne tout d’abord une définition du progrès technique : c’est l’accroissement du volume de la production obtenue au moyen d’une quantité fixe de matière première ou de travail humain. Et il distingue trois secteurs économiques : celui où l’intensité du progrès technique est fort (le secteur industriel, secondaire), celui où le progrès technique est d’intensité modérée (que nous assimilons à l’agriculture ou secteur primaire), celui enfin où le progrès technique est faible comme l’activité intellectuelle, le secteur tertiaire. Avec l’évolution du progrès technique, chacun des secteurs se gonfle et se dégonfle, dans le mouvement global de la production

Le progrès technique amenuise les prix primaires et secondaires, ruine le capitalisme et annule les rentes traditionnelles. Il est ainsi générateur de crises. Dès 1949, Jean Fourastié proclame ainsi que « rien ne sera moins industriel que la civilisation née de la révolution industrielle ». Car la production a ses limites : celles de la consommation et de la saturation des besoins primaires et secondaires. En effet, au-delà de l’appétence pour les nourritures terrestres, l’homme ne peut consommer au-delà de ses capacités naturelles d’absorption, et rien ne lui sert – par exemple - de disposer de cinq salles de bains….Cependant, plus il évolue, moins il travaille et plus il a soif de services. Le stade final de la société post-industrielle est un besoin insatiable de services tertiaires, peu affectés par le progrès technique, qui demeurent durablement et universellement rares et chers.

La question qui nous préoccupe en 2010 est bien de savoir si nous sommes parvenus à la fin de ce que Jean Fourastié appelle la « période transitoire » entre l’équilibre ancien et la nouvelle période, celle où le secteur tertiaire sera parvenu à occuper 80 à 85% de l’activité économique et où les transferts de population entre secteurs sont achevés. Au moment où il écrit, cette fin de période transitoire n’est atteinte dans aucun pays. Et Jean Fourastié n’imagine pas l’importance du progrès technique généré par l’informatique.

Il n’empêche : son analyse des prix relatifs des biens et des services au cours des âges reste d’une vérité criante : « A l’époque carolingienne, un cheval coûte moins cher que son mors ». En effet, le progrès technique apprécie sans cesse les prix des produits à faible progrès technique – récemment, je m’étonnais ainsi de l’extraordinaire prix d’une assiette de porcelaine de Limoges !

En résumé : si vous souhaitez comprendre l’évolution du 20° siècle et de l’économie mondiale, prendre du recul sur les crises mondiales qui secouent nos économies, garder une foi en la qualité intrinsèque de l’homme, ce livre est à classer parmi les fondamentaux de votre bibliothèque. Car la conclusion est éclairante : de la fondation de Rome à la chute de Napoléon 1er, les innombrables tribulations politiques et sociales ont été pratiquement impuissantes à améliorer le niveau de vie de la masse du peuple. Puis, le progrès technique a engendré l’évolution contemporaine qui débouche sur la maîtrise intellectuelle de l’homme, libéré des travaux avilissants et qui peut sans cesse enrichir son outillage intellectuel. Ce grand espoir, nous le vivons, malgré les crises douloureuses, les sacrifices nécessaires à la constitution, en début de période, du capital, nos pays développés en profitent et aussi, aujourd’hui, des pays qui à leur tour, sont entrés dans l’ère industrielle.

Gallimard, collection TEL, édition définitive 1989, 9,13€