- Pour enflammer notre désir
17. Pourquoi Dieu agit-il ainsi, puisqu’il connaît ce qui nous est nécessaire, avant même que nous le lui demandions ? Nous pourrions nous en inquiéter, si nous ne comprenions pas que le Seigneur notre Dieu n’a certes pas besoin que nous lui fassions connaître notre volonté car il ne peut l’ignorer, mais qu’il veut par la prière exciter et enflammer nos désirs, pour nous rendre capables de recevoir ce qu’il nous prépare. Or ce qu’il nous prépare est chose fort grande, et nous sommes bien petits et bien étroits pour le recevoir. C’est pourquoi il est dit : « Dilatez-vous ; ne portez pas un même joug avec les infidèles » [41]. Oui, c’est chose bien grande, que l’œil n’a jamais vue parce qu’elle n’a pas de couleur, que l’oreille n’a jamais entendue parce qu’elle n’a pas de son ; qui n’est pas venue dans le cœur de l’homme, parce que c’est vers elle que le cœur de l’homme doit monter [42]. Nous serons d’autant plus capables de la recevoir que notre foi en elle sera plus grande, notre espérance plus ferme, notre désir plus ardent.
18. Un désir continuel formé dans la foi même, dans l’espérance et la charité, est donc une continuelle prière. Cependant nous prions aussi Dieu verbalement à certaines heures et à certains temps fixés, pour nous avertir par ces signes concrets, pour nous révéler à nous-mêmes les progrès que nous avons faits dans le désir et nous exciter à le rendre plus ardent encore. Car l’effet de notre prière sera d’autant plus précieux que plus fervente aura été l’affection qui le précède. Lorsque l’Apôtre nous dit : « Priez sans cesse » [43], n’est-ce pas comme s’il disait : Désirez sans cesse recevoir de celui qui seul peut la donner, cette vie bienheureuse qui n’est autre que la vie éternelle ? Désirons-la donc toujours du Seigneur et nous prierons toujours. Mais comme d’autres soins, d’autres affaires peuvent attiédir notre désir, nous rappelons à certaines heures notre esprit à la prière. Les paroles que nous prononçons en priant, dirigent et élèvent notre esprit vers l’objet de notre désir, et l’empêchent de se refroidir complètement quand il commence à s’attiédir ; il s’éteindrait même totalement, faute d’être ranimé fréquemment. Quand le même Apôtre nous dit : « Que vous demandes se manifestent devant Dieu » [44], cela ne signifie pas que nous puissions les faire connaître à Dieu qui en avait connaissance avant qu’elles fussent formulées, mais que nous devons nous les manifester à nous-mêmes devant Dieu avec patience et non devant les hommes avec une vaine jactance.
19. Cela étant il est bon et utile de vaquer longuement à la prière, lorsque de bonnes actions et le devoir d’état ne nous en empêchent pas, quoique dans ces occupations mêmes il faille toujours prier avec ce désir que j’ai mentionné. Car ce n’est pas, comme quelques-uns le pensent, prier longuement que de prier avec beaucoup de paroles. Autre chose est un long discours, autre un sentiment durable du cœur. Du Seigneur lui-même il est dit qu’il passa la nuit en prière et qu’il prolongea sa prière [45]. N’a-t-il pas voulu par là nous donner un exemple, priant dans le temps à l’heure opportune, exauçant avec le Père dans l’éternité.
20. On dit qu’en Égypte les frères ont des prières fréquentes, mais très brèves, rapides comme des traits qu’on décoche, de peur que l’attention vigilante, si nécessaire à celui qui prie, ne finisse par se relâcher et s’émousser dans des prières trop longues. Par là ils nous montrent aussi que, s’il ne faut pas se fatiguer l’attention quand elle ne peut se prolonger, il ne faut pas davantage la relâcher prématurément quand elle peut se soutenir. Bannissons donc de l’oraison les paroles nombreuses, mais non la longue prière si notre attention demeure fervente. Parler beaucoup, c’est faire, en priant, une chose nécessaire avec des paroles superflues.
[41] 2 Co 6, 14.
[42] 1 Co 2, 9.
[43] 1 Th 5, 16.
[44] Ph 4, 6.
[45] Cf. Lc 6, 12.