Sortant tout excité par sa découverte faite dans les archives de la Préfecture de Toulouse, Bernard Thiraud se fait assassiner. Parisien, il avait fait cette halte avec sa compagne pour ses recherches, avant de partir ensemble en vacances au Maroc. Un témoin oculaire affirme à l’inspecteur Cadin chargé de l’enquête, avoir vu le suivre une rutilante Renault 30TX, immatriculée 75. Sans piste à suivre pour élucider ce meurtre sans mobile apparent, l’inspecteur se décide à enquêter sur le meurtre tout aussi inexpliqué du père de la victime, Roger Thiraud, professeur d’histoire apparemment sans histoire, assassiné d’une balle à bout portant dans la tête lors de la manifestation algérienne du mardi soir 17 octobre 1961.
Avec ce polar qui le fit connaître, Didier Daeninckx établit un parallèle habile entre deux traumatismes, tous deux liés à l’obéissance aveugle de fonctionnaires, doublée d’un racisme latent, entretenu par une propagande médiatique de l’Etat.
On peut reprocher quelques faiblesses à ce premier roman, comme le cliché de la relation amoureuse entre le flic et l’endeuillée, ou être déçu par la prépondérance des dialogues propre au roman noir, et surtout par une écriture simple et donc peu identifiable.
Nonobstant, le message passe clairement, et c’est là peut-être le plus important pour cet écrivain engagé. Didier Daeninckx dénonce ainsi l’omniprésence du racisme dans la police, à la préfecture, dans le bavardage des chauffeurs de taxi, voire des simples passants, rendus complices du massacre des manifestants en les dénonçant dans les cafés, dans les cinémas. Il évoque aussi la sur- médiatisation des incidents commis en banlieue pour stigmatiser des tranches entières de population, souvent immigrées, au travers du personnage de la jeune historienne, la seule femme d’ailleurs à être présentée de manière positive, contrairement aux autres qui ne trouvent un sens à leur existence qu’au travers des hommes, recluses à la mort de leur mari, reconnues pour leur seule qualité de cordon bleu ou corvéables à merci.
Il met surtout l’accent sur la disproportion des forces en présence, dans un sens comme dans l’autre, d’abord entre les manifestants désarmés et les CRS, puis entre les Juifs en transit à Drancy, surveillés par quatre soldats allemands seulement, secondés par des Français, et enfin entre les milliers d’enfants Juifs de moins de deux ans déportés et les fonctionnaires signant leur arrêt de mort. Le point fort de ce roman, c'est d'avoir été l’un des premiers à décrire les exactions de la police française en 1961, qui s'étaient produites avec le soutien du gouvernement, en les rapprochant de celles commises durant la collaboration, sous couvert de l’occupation allemande.
Une lecture édifiante, pour inciter à la vigilance.
DAENINCKX, Didier. – Meurtres pour mémoire : une enquête de l’inspecteur Cadin. – Gallimard, 2009. – 215 p.. – (Folio policier ; 15). – ISBN 978-2-07-040649-4.