Nous le savons, des machines bien particulières se sont répandues en quelques décennies sur la planète. Une grande partie des activités humaines de travail, production et de loisirs en sont dépendantes maintenant. Nous ne pourront pas faire machine arrière, car elles ont tissées tant de liens que leur réseau est devenu inextricable. Elles ne sont pas des simples moyens de certaines fins. Elles infiltrent nos structures logiques, nos idéologies, nos gestes (les gens qui ont des difficultés a utiliser des ordinateurs, ont des difficultés a faire certains gestes, a coordonner l’oeil et la main, etc.) et donc nos corps. Elles organisent le temps et l’espace, nos attentes comme nos anticipations, bref l’horizon même de l’intentionnalité (il faudra un jour radicaliser la question du statut transcendantal des technologies).
Dans le domaine artistique, il n’est pas lieu de revenir ici sur ce qui singularise les pratiques numériques et sur ce qui les relient dans le même mouvement a une tradition. Ici tout est question de perspective, selon qu’on privilégie l’un ou l’autre. Il n’est pas nécessaire d’essentialiser une perspective au détriment de l’autre, la projection sur l’origine, l’origine sur la projection. Il faut relativiser le mouvement même de la pensée pour empêcher les effets d’autorité dans le discours.
Les artistes eux-mêmes adoptent une démarche. Ils tentent de s’insérer dans ce réseau technologique, de se l’approprier, de le détourner, mais le plus souvent ils s’y soumettent. Il est question de développer et produire des projets, d’obtenir les moyens de production et économique a cette fin. Tout est la. Beaucoup d’artistes adoptent un discours et une pratique de la puissance. Ils produisent comme des machines, des oeuvres souvent monumentales, fonctionnant parfaitement, sans défaut ni incident, montrant qu’ils sont sérieux, que les oeuvres tiennent le coup, s’adossant sur un discours de l’innovation, faisant des démos qui sont de simples valorisations, produisant des conférences Powerpoint et une pensée tenant en une ligne.
Face a cette surpuissance qui se plie au régime idéologique des technologies (innovation, obsolescence, société terrorisée par son vieillissement et se reposant sur le développement sans limite de ses capacités), il y a d’autres puissances, plus fragiles, discrètes, parfois évanescentes, proches d’un effondrement a jamais reporté. Ce sont des artistes qui ont aussi un devenir-machine, mais celui-ci ne soumet pas l’être humain a la machine ou la machine a l’être humain. Ils ont perdu l’instrumentalité anthropologique, dans un sens ou dans un autre sens. Il y a de la finitude dans la machine et du fonctionnement chez l’être humain, finitude et fonctionnement qui ne s’identifient pas, qui s’écartent. Ils voient les technologies pour ce qu’elles sont: des zones de perturbation, des instabilités qui se reprennent, un flux qui s’écoule et tourbillonne, un faisceau de turbulences a expérimenter. Ils ont abandonnés l’idéologie du développement et de l’innovation. Elle n’est plus de ce siècle. Il est difficile mais nécessaire de dire cet entre-deux louche entre les technologies et les artistes dans lequel moi avec quelques autres nous vivons quotidiennement.
On connaît bien ce discours de l’inhumanité de l’art dont parlait Adorno, l’inhumanité qu’a l’art face aux artistes. Cette inhumanité s’articule a l’inhumanité du développement techno-scientifique (Lyotard). Il y a une manière d’articuler qui est hiérarchique et isomorphique, ce sont les machines abstraits, c’est-a-dire les machines idéologiques: fonctionnement, circulation, discours de la puissance et de l’innovation. L’art y est considéré comme exemplaire et démonstratif. Il y a une autre articulation, sensible elle qui refuse l’idéologie et profite de l’expérience imprévisible: ce sont les machines concrètes. Elles fragilisent les technologies et font trembler d’une manière discrète la profondeur des discours dominants. Les machines concrètes sont des stratégies de surface, elles agitent d’un effleurement de la main la profondeur technoscientifique.