L’accident Airblue, bien involontairement exemplaire.
Martine Del Bono, qui dirige avec savoir-faire la communication du Bureau enquętes et analyses pour la sécurité de l’aviation civile, dit l’essentiel en peu de mots : le temps de l’enquęte n’est pas celui des médias. Le constat est banal en apparence seulement, dans la mesure oů il résume les problčmes aigus qui sont posés par le nouveau tempo ultra-rapide qui est désormais celui de l’information.
Un Airbus A321 de la compagnie pakistanaise Airblue a percuté une colline mercredi ŕ 9 h 45 locales, soit en tout début de journée en heure française, ŕ Islamabad. Rapidement, on a compris que la fin tragique du vol ED 202 ne laisserait pas de survivants, l’avion étant totalement détruit en raison de la violence de l’impact. Et c’est ici que commence, une fois encore, une réflexion empreinte d’inquiétude.
Le biréacteur a été pulvérisé. Ce n’est pas une figure de style, moins encore une supposition : en un temps record, des photos circulaient sur Internet, en męme temps que des images de cinéma montrant les débris fumants entourés de secouristes. Les dépęches d’agences, ŕ cet instant lŕ, n’apportaient évidemment pas la moindre précision …parce qu’aucune information précise, fiable et recoupée n’était disponible. Si ce n’est un communiqué d’Airbus, arrivé rapidement, bref et factuel comme il convient en pareilles circonstances, précisant que l’AP-BJB, sorti d’usine en 2000, totalisait 13.500 cycles et 34.000 heures de vol, qu’il était propulsé par des V2500.
C’est alors que la machine infernale s’est mise en route. Il fallait écrire, parler, expliquer, broder, parce que telle est la loi du genre, que la course de vitesse médiatique était engagée, exacerbée par la surenchčre Internet. Jadis, dans les rédactions, on pouvait au moins prendre le temps de la réflexion, consulter des experts en matičre de sécurité aérienne, tenter une mise en contexte, rappeler que toute enquęte est longue et difficile. Cela tout au long des heures disponibles avant le bouclage de l’édition du lendemain. La pression était réelle, certes, mais les médias réputés sérieux arrivaient encore ŕ faire convenablement leur travail.
Cette époque est révolue parce que la Toile a changé le monde. Elle sert de support ŕ une Ťinformationť instantanée au sein de laquelle se télescopent le pire et le meilleur. D’un côté, les quelques papiers de premičre heure, prudents, circonstanciés que l’on pouvait déjŕ lire ŕ la mi-journée, de l’autre, du grand n’importe quoi. Puis les premiers commentaires, les premičres prises de position ont déboulé, assorties d’amalgames injustifiables.
Un exemple typique : la diffusion urbi et orbi d’un communiqué d’une association de familles de victimes de l’accident du Rio-Paris du 1er juin 2009. Instantanément, sans le savoir, l’infortunée Airblue apportait de l’eau au moulin de grands théoriciens, spécialistes autoproclamés, partisans de la thčse du complot et męme temps que pourfendeurs de la désinformation. Avec une rare indécence, ils ont additionné le nombre de victimes de cinq accidents survenus en trois ans ŕ des Airbus. Au demeurant cinq types d’avions différents, ce qui nous a sans doute épargné quelques propos stupides sur la pseudo loi des séries.
C’est le chute de ce texte qui est exemplaire, rédigée sous forme de trois brčves questions : qu’en pensez-vous ? Peut-on parler d’une aviation sűre ? Qu’est-ce qui doit changer ? On pourrait évidemment rétorquer que ce morceau de bravoure ne mériterait pas qu’on s’y attarde. Mais ce serait ignorer qu’il circule, qu’il va circuler en boucle, ŕ travers la plančte tout entičre, avec d’autres. Et il encouragera la surenchčre.
Pire, l’auteur de cette communication, agissant ŕ la vitesse de la lumičre, a aussi affirmé que, Ť comme dans tous les autres cas, le premier choix est de faire porter la responsabilité aux pilotes ou aux contrôleurs aériens ť. C’est faux, méchant, injustifiable, risible sauf ŕ considérer qu’il y aura toujours des esprits candides pour opiner du bonnet. A penser qu’il n’y a pas de fumée sans feu et que l’incontournable Ťonť nous cache, va nous cacher la vérité. Qui est Ťonť ? Quelle vérité ? Internet, effectivement, a changé le monde, pour le meilleur et pour le pire. Nous voici, une fois encore, revenus au pire.
L’épave de l’A321 fume encore en direct sur nos écrans, les enregistreurs n’ont évidemment pas encore été lus mais un acharné du temps réel en est déjŕ aux conclusions. Faute d’antidote, il y a vraiment de quoi s’inquiéter.
Pierre Sparaco - AeroMorning