Des Français sur un voilier...

Olga est partie le 8 Juillet après plus de cinq mois sur Galapiat. Elle sera l'équipière qui aura passé le plus

de temps à bord.

Elle n'est pas non plus très loin d'être celle qui a mis le plus de milles à son compteur. Pas encore au niveau de Jérôme qui m'accompagna de Panama à Hyères en 2008 sur plus de 5000 milles. Merci à toi soeurette d'avoir partagé cette bonne tranche du voyage avec un frangin pas toujours facile, encore que... Tu ne serais pas restée si longtemps si l'existence avait été si pénible, non? Et puis, tu verras que ce genre de virée vieillit aussi bien dans la mémoire que le bon vin dans une cave.

Pierre aussi est parti enfin finaliser les réparations de Shabby à Brachuy, en a profité pour acheter trois appartements, avant de s'envoler pour Durban pour une quinzaine. On se retrouvera en Août et probablement souvent car il a encore changé son programme pour finalement remonter vers le nord aussi. Seul sur Galapiat donc, le captain? Même pas, encore que cela ne m'aurait pas déplu. En fait, la vie et le hasard des rencontres ont oeuvré pour moi: mademoiselle C a pris le poste hautement convoité « d'esclave personnelle du Pacha » pour quelques

semaines. J'en suis très satisfait, elle aussi semble-t-il malgré la discipline très militaire qui règne à bord, les conditions rudes de navigations -jusqu'à deux heures par jour parfois – ; les privations comme lorsque l'électricité devient limitée, faute de vent pour l'éolienne et d'heures de jour réduites au quota hivernal. Difficile, certes, mais elle fait preuve d'une belle capacité d'adaptation. Le résultat du test Biba du mois de juillet l'avait prédit : « Aventureuse, prenez un billet pour Rio », avec comme illustration un bellâtre sur un voilier. Mademoselle C a donc suivi le conseil des specialistes parisiens et a eu raison. De mon côté, j'ai décidé assez rapidement de prolonger sa période d'essai et de ne l'affranchir sous aucune pretexte.

A peine 200 milles cumulés depuis l'atterissage de transat il y a presque deux mois. Autant dire que ça glande dur dans la baie d'Ilha Grande. Mais comment faire autrement quand le moindre mouillage paradisiaque est à moins de 5 milles du précédent? Que la température de l'air et de

l'eau est juste parfaite? Que les habitants sont si cool? Qu'on rencontre juste assez de monde pour ne pas s'ennuyer tout en évitant la cohue? Les collègues voileux voyageurs rencontrés ne sont guère plus ambitieux: Cette famille de frenchies, - http://thiessefamily.over-blog.com/- , apres la Patagonie sillonée sur leur superbe Levrier  14 que j'avais d'ailleurs failli acheter en 2007, y stationnent depuis deux mois. Leurs amis argentins ne sont pas non plus près de monter vers le Nord à brève échéance. Quant aux allemands croisés si souvent, je serai probablement à Bahia qu'ils seront encore dans le coin à écumer les mouillages. On se croise, se recroise encore et encore sans se lasser de cet douceur de vivre propre à la baie D'Ilha Grande, perdue entre les milliers de milles qui nous séparent de la patagonie au sud, des Antilles au nord ou de l'Afrique à l'est.

C'est aussi pour ça qu'il faut du temps pour voyager. A moins d'être dans une optique de performance, de « challenge » comme on dit dans le

monde des clones, faire de la route n'a de sens que pour savourer les longues période de relache dans un paradis éphémère. Et le paradis se mérite et se goûte justement grâce à la route. Mais là encore, tout est une question personnelle. Faire la boucle en deux ans ou en 20 ne se discute pas. Au delà des contraintes, c'est avant tout une question de rythme intime. J'ai trouvé le mien.

La météo est ici vraiment particulière car à cette période estivale succèdent sans transition plusieurs jours de temps breton. Le grand soleil et la pétole font place en moins d'une heure à des claques à plus de 30 noeuds sous un ciel gris et crachin. Mademoiselle C et moi nous protégeons au Lagoa Azul pour une nuit zébrée d'éclairs et de bourrasques avant de profiter le lendemain d'une bonne brise au près pour cheminer rapidement sur une mer plate vers Paraty. Super nav d'une trentaine de milles expédiée à 7-8 noeuds. C'est bon de remetttre de la toile et de filer. L'arrivée sur la côte de Paraty est irréelle. Zig-zag sous voile dans la brume entre les îles et perspectives des fjords au sud de la baie où la montagne plonge dans la mer.   

Nous prenons nos habitudes hivernales à Paraty en attendant des jours plus cléments: levers tardifs, déambulations en cirés dans les rues noyées par la pluie et les gros coeffs de marée, écumage des ateliers d'artistes, des boutiques, restos. J'avais un souvenir mitigé de ce haut lieu du tourisme brésilien, une des première installation portuguaise du temps de l'or, superbement présérvée mais un peu trop

chic et fréquentée à mon sens. Finalement, à cette période, sans grand monde, avec ce temps et mademoiselle C, c'est encore le meilleur endroit pour laisser passer cette queue de dépression tenace. Chaque boutique, poussada ou resto est décorée avec goût. Les nombreux artistes installés dans le quartier historique ont du talent, simple et original. J'ai aussi finalement décidé de laisser Galapiat ici pendant ma petite quinzaine de transit à Paris, celle que je ne peux éviter si je veux aller chercher les enfants et partager mon mois d'Août ici avec eux. J'ai négocié un bon tarif à la bouée. En basse saison, tout se discute et je ne m'en prive pas vu que cette logistique familiale si simple, agréable et économique liée à ma grossière erreur de casting initiale me bouffe l'essentiel de mon budget annuel. Bah! j'apprends au moins à à vivre plus chichement pour tenter de compenser et je ne m'en porte pas plus mal. Quand je serai vraiment raide, je trouverai bien un crédit «Vivez votre rêve avec vos enfants sans compter». La chance me sourit depuis que je ne m'inquiète plus de l'avenir, par définition, improbable. 

Le mauvais temps dure plusieurs jours et nous repartons de Paraty avec l'accalmie pour aller explorer les mouillages du sud: Saco de Velha, Saco de Mamanga, ce fameux et unique fjord brésilien, au fond duquel on peut remonter un petit rio en annexe jusqu'à une petite cascade où vit, isolé de tout, un couple d'indien qui ne doit pas souvent recevoir de la visite. Nous retrouvons nos amis argentins à Ilha Cotia, toujours installés comme des princes sur la plage avec chaises et tables pliantes, barbecue etc... et il est déjà temps de rentrer à Paraty pour y stationner le canot. Et puis c'est le bus pour Rio, une dernière nuit là bas, l'avion et Paris pour une dizaine. A mon arrivée, aucun doute, je suis bien en France : Le chauffeur du bus Air France me ferme délibérement la porte au nez  alors que je m apprète à y monter aprés avoir terminé ma clope. Quand je lui en demande la raison, il m'explique avec mauvaise humeur « Faut savoir à la fin, vous fumez ou vous montez dans le bus?». Ah! C'est si bon de revenir au pays et d'y retrouver ses compatriotes toujours aussi sympathiques et accueillants...