Les États-Unis, vus de Montréal, ce n’est pas un rêve, c’est la prochaine sortie de l’autoroute. À 40 km d’ici. Et pas seulement de Montréal puisque sur plus de mille kilomètres – goutte d’eau sur l’ampleur du Québec, grand comme quinze fois la France, et ne parlons même pas du Canada dans son ensemble … - les Etats-Unis sont là, toujours là, de l’autre côté d’une frontière passablement moins immédiate à franchir depuis qu’on a appris que les terroristes du 11 septembre, eux et d’autres, avaient vraisemblablement transité pat le Québec, mais tout de même encore simple et rapide à traverser.
Quant à l’Amérique, le paradigme de l’Amérique comme « le lieu de tous les possibles » qui continue à servir de miroir aux alouettes à certains Européens (les Français surtout, pour tout dire, tant le magnétisme mutuel entre France et Usa continue d’être efficient fondé sur les liens historiques réels, et l’émerveillement réciproque, irrationnel, forcément irrationnel mais si gratifiant… ), quant à l’Amérique, donc, c’est ici. Ce n’est pas ailleurs, c’est ici et maintenant, et il n’y a rien à trouver, ou à conquérir, qui ne soit déjà là. On n’a pas en Amérique de compréhension autre de l’Amérique que ce qu’elle est, un continent. Les Canadiens mettent naturellement les Français, Anglais, Allemands etc… dans un même sac : ils sont Européens. Au début, on est surpris mais c’est une vision continentale, et en définitive la seule valable. Les Québécois sont des Américains point. La vision selon laquelle on pense que les Québécois sont « des cousins français » n’a plus court depuis plus de trois ans. Sur le plan géographique, géologique, culturel, artistique, architectural, gastronomique (quoi que…), sociologique, institutionnel, physiologique, esthétique, économique bien entendu (premier partenaire économique du Canada et du Québec, 80 % des échanges, parité des dollars US et CAD, interdépendance commerciale et souvent aussi, politique et militaire même si le Canada a tenté à quelques reprises d’avoir un positionnement différent), touristique bien entendu (l’hiver en Floride, l’été dans le Maine et le Massachussetts, c’est l’habitude populaire québécoise depuis des lustres) bref, nos « cousins » sont totalement américains. Ne parlons même pas de la perception de l’espace, du positionnement face à l’histoire (ou son absence), aux relations entre sexes, du rapport au corps mais aussi au temps, de la mentalité et des valeurs, tant collectives qu’intimes. Et même, surtout, sur le plan linguistique, eh oui, en pleine francophonie… Car, contrairement à un poncif obsolète, le Québécois n’est pas du « français du 17ème .» mais bien plutôt. Assurément, un français beaucoup (trop?) aux syntaxes anglophones ( auxiliaire être souvent ignoré ou bizarrement employé : on a passé, mais on est déménagé, on voyage sur l’avion ou sur le train (traduction littérale) on mange des chiens-chauds (hot dogs), des hambourgeois (textuellement burgers de Hambourg ) mais steamés (généralisation de la francisation littérale d’un verbe anglais)… Évidemment pas chez les éditeurs ou les métiers de la communication, mais dans le langage courant, y compris à l’école. Et puis il y a les formules : bienvenu pour welcome, c’est mon plaisir because you say it’s my pleasure, passe-moi une smoke et un lighter, et arrête donc de me flaburgaster… Au secours l’Académie française, est-ce grave ? Mais non, c’est vivant. C’est même carrément la garantie d’une langue vivante. En plus les Québécois appliquent à la lettre plusieurs principes votés par l’Académie et recommandés par elle : la féminisation généralisée des mots, des fonctions et des titres (une chroniqueure, une docteure, une écrivaine, une professeure, une ministre… le féminisme, à l’américaine, doublé de la tradition matriarcale historiquement québécoise, n’étant pas un vain concept, entériné depuis longtemps par la loi, interdiction pour une femme de porter le nom de son mari, c’est illégal, obligation pour un enfant de porter le nom de ses deux parents… ) ou la nouvelle orthographe ( un éléfant / un cheval des chevals… et autres hérésies pour les plus de trente ans … ). Les affinités électives côtières étant déterminantes coast to coast, Vancouver est la petite sœur de San Francisco sur tous les plans, à s’y méprendre, tout comme Montréal est la petite sœur de New York. À six d’heures de bagnole, au long d’une route sublime et majestueuse qui signe précisément l’appartenance au continent américain. À pas seulement parce qu’on est ici au Commonwealth et que le chef de l’état canadien est la Reine d’Angleterre. Mais pour cela aussi. L’esprit britannique, son système social très avancé, l’influence hollandaise déterminante dans l’histoire et l’économie de Montréal mais aussi dans son architecture urbaine ( une ambiance très Amsterdam ou Anvers, dans la conception urbaniste mais aussi dans l’ambiance et la qualité relationnelle à la fois très conviviale et très réservée par respect, justement, du quant à soi) l’appartenance nette et revendiquée à une nordicité qui est aussi une vision du monde, cela caractérise Montréal et fonde d’autant son appartenance américaine, nord-américaine surtout. Les liens en croissance exponentielle, principalement sur le plan des échanges et des coproduction artistiques, du Québec avec la Flandre, l’Allemagne (Berlin et Munich, a Bavière étant le premier partenaire économique européen du Québec), mais aussi l’Angleterre, et par-delà les langues, en dit plus long qu’une démonstration poussive. Alors Montréal, next stop New York… Ça c’est qui est ça. It is what it is. Loin de Paris et encore plus de Montpellier, en tout cas plus loin qu’on ne pense, n’en déplaise à notre francocentrisme… chacun sur son continent respectif, américain et européen. Ah mais bien sûr, il y a l’amour, les liens du cœur, des relents gaulois et latins qui brouillent les cartes. Les liens du cœur, par-delà l’océan atlantique que les Québécois appellent « la mare », tenaces malgré les siècles, et la distance, les trahisons historiques. Un amour qui amoindrit les étrangetés respectives, expliquant que tant de Français immigrent au Québec mais… c’est aussi les plus nombreux à retourner chez eux (près de 70% repartent dans les 5 ans). Ici l’Amérique, différences irréconciliables. So what ? Et d’abord, qui a dit qu’elles devaient se réconcilier ?…