Du 18 au 20 juin prochain se tiendra, à deux pas de Notre Dame, la 4e édition du Festival littéraire Shakespeare & Co, initié par Sylvia Beach Whitman, la fille du légendaire George Whitman, propriétaire de la plus célèbre librairie anglophone parisienne, Shakespeare & Compagnie, qui a vu défiler pléiade d’écrivains anglo-saxons depuis son ouverture en 1951 — le couple Miller/Nin, Kerouac ou Ginsberg pour ne citer qu’eux. Si l’endroit jouit d’une prestigieuse aura internationale — tout jeune aspirant écrivain rêve d’y poser son sac un temps en échange d’un coup de main à la librairie —, il n’est pas forcément connu des Parisiens. Profitez donc des beaux jours et du Festival — qui aura pour thème cette année « Politique & Fiction » —, pour aller découvrir ce lieu d’exception. Pendant deux jours se succéderont une trentaine de stars — Martin Amis, Hanif Kureishi, Will Self, Philip Pullman, André Schiffrin (éditeur de Pantheon Books) —, ainsi que de nouveaux venus, comme Fatima Bhutto, nièce de Benazir. En arrivant, parmi les badauds qui se presseront devant la librairie, ou sous le chapiteau dans le Square en face, vous remarquerez sans doute un ange blond, mi-Boucles d’Or mi-Marilyn, ne vous y trompez pas, il ne s’agit pas d’une vision, mais d’une jeune femme, votre hôtesse, Sylvia Whitman, qui en 7 ans et du haut de ses 29 ans, a su redonner un nouveau souffle au rêve de son père. Pour découvrir le programme du Festival : http://www.festivalandco.com/index.php?lang=fr Pour s’informer sur la librairie :http://www.shakespeareandcompany.com/
Vous portez le prénom et le nom d’une femme incroyable, Sylvia Beach (1887-1962), la fondatrice de la première librairie Shakespeare & Compagnie à Paris, à qui l’on doit la publication de l’Ulysse de Joyce… Je pense beaucoup à elle en ce moment, car nous venons de recevoir sa correspondance, où l’on peut découvrir des lettres à Joyce ou à sa compagne, la Française Adrienne Monnier. Pour mon père, c’était la plus grande libraire qui ait jamais existé et elle l’a énormément inspiré. C’est grâce à elle qu’il invite des écrivains en résidence à la librairie et qu’il a transformé tout un étage en bibliothèque. Me donner son nom était à la fois une façon de perpétuer son souvenir et de me faire un cadeau. Heureusement, je le vis plus comme une inspiration qu’une pression !
Vous êtes quasiment née dans la librairie de votre père, mais l’amour des livres est venu après une adolescence en Écosse et en Angleterre… À la librairie, beaucoup de gens me disent : « Oh ! Mon enfant ne lit pas, ça m’embête, qu’est-ce que je peux faire ? » Pour moi aussi, petite, la lecture était une grande pression. À l’âge de 15 ans, tout le monde pensait que je connaissais Jane Austen et Shakespeare sur le bout des doigts ! Du coup, j’ai pris le chemin du théâtre et je m’y suis jeté dedans corps et âme. Lors de mon retour à Paris, j’ai eu, d’une certaine façon, la même expérience que la plupart des jeunes qui viennent ici : chacun parle, s’enthousiasme de ses lectures, vit les livres dans sa chair et leur passion a été communicative ! Et puis, j’ai vu l’effet incroyable de la littérature sur mon père et cette énergie m’a attirée.
Votre père vous a passé le relais en 2003 : que vouliez-vous à tout prix conserver de la philosophie du lieu et qu’aviez-vous envie de changer ? Avant tout, je veux garder l’esprit et l’ambiance que mon père a su créer : être ouvert et gentil avec les clients. En faisant le tour des librairies anglophones à Paris, j’ai remarqué qu’il n’y a jamais de chaise. Or, toute l’idée de mon père, c’est d’accueillir les gens et de leur donner l’impression que c’est leur deuxième maison : qu’ils donnent rendez-vous à des amis, s’installent pour lire sans forcément acheter. Je veux aussi garder le côté esthétique du lieu, assez magique je trouve, et aussi l’accueil des écrivains en résidence. Concernant le ton à donner, je veux créer une vraie communauté, un vrai centre d’art. Nous avons un projet de café littéraire, de ciné théâtre dans la cave, des idées un peu folles (rires), également d’aménager d’autres chambres pour les écrivains. Vous l’aurez compris, utiliser toutes les idées qui existent déjà, en leur donnant encore plus d’ampleur. Le Festival entre également dans ce credo. Quand je suis revenue à Paris, mon père avait 88 ans et n’avait plus la même énergie qu’avant. Créer ce festival, c’était donner une impulsion et lancer un appel aux écrivains qu’on aime. Leur dire : « venez ! On est là ! ». Heureusement que mes voisins étaient très sympas !
D’ailleurs, en 2003, le thème du premier Festival, « Lost, Beat et New : trois générations d’écrivains à Paris », était une forme d’hommage à tous ces illustres écrivains accueillis par votre père… À vrai dire, on avait choisi ce thème, car on était fatigués de tout le temps devoir parler de l’histoire de Sylvia Beach, qui est fascinante, certes, mais qui appartient au passé…
Comment avez-vous mis sur pied le Festival ? Est-ce que la Mairie de Paris a vu d’un bon œil que vous vouliez planter votre chapiteau dans le square en face de la librairie ? Pour la première édition, j’étais juste pleine d’énergie et complètement naïve ! (rires) Mais, avec le temps, je dois dire que ça devient de plus en plus compliqué. Il faut un tas d’autorisations. Par exemple, il y a un quadrillage de sécurité à respecter autour de l’arbre de Saint Julien le Pauvre, vous savez que c’est le plus vieil arbre à Paris ? Cette année, il y aura une bonne trentaine d’invités — américains, anglais, sud africains… — plus prestigieux les uns que les autres. Quel est le thème retenu ? On a choisi « Politique et Fiction », en partie en réponse au succès d’une soirée organisée lors du dernier festival, « Mémoire et Biographie », consacrée à Obama. L’ambiance était électrique ! Je pense que, grâce à lui, beaucoup de jeunes s’intéressent à la politique. De plus, pour mon père comme pour moi, une librairie indépendante se doit d’être engagée. De son temps, Sylvia Beach avait publié l’Ulysse de Joyce contre la Censure en place. On pourrait aussi citer Lawrence Ferlinghetti, libraire de City Lights à San Fransisco, qui a édité le Howl du poète Allen Ginsberg. La librairie indépendante est une entreprise, un lieu qui fait vivre les petites communautés, voilà donc ce qui explique aussi le choix du thème de cette année. Vous savez, nous faisons beaucoup de commandes à de petites maisons d’édition de livres d’auteurs peu connus voire inconnus. Nous mettons tous nos efforts pour ne pas avoir seulement des Best Sellers comme le Da Vinci Code en présentoir !
D’ailleurs, je crois que vous organisez des lectures avec des auteurs publiés et non publiés, ce qui est rarissime… Souvent, les librairies ne s’occupent que de promouvoir les livres, nous, c’est le contraire, nous voulons mettre en lumière des écrivains intéressants, qu’ils soient publiés ou pas. Un jeune poète de 20 ans côtoiera un Prix Pulitzer ! En général, les festivals invitent des auteurs qui ont une actualité, nous, pas du tout. L’année dernière, on avait un écrivain dont tous les livres étaient épuisés. L’idée était même de lui donner l’opportunité de rencontrer des éditeurs pour qu’il puisse réimprimer ses livres. Cette année, on trouvera à la fois, la jeune Fatima Bhutto pour son premier livre, qui raconte son enfance et évoque la situation politique au Pakistan et l’anglaise Jeanette Winterson, qu’on invite pour son œuvre, même si elle n’a aucune publication récente.
Je crois que vous avez une passion toute particulière pour Jeanette Winterson… Absolument ! D’ailleurs, on est en train de se battre pour lui trouver un éditeur en France. Elle avait été publiée par le passé, mais son agent avait eu une mauvaise stratégie. Nous, on adore Actes Sud, alors on mise dessus !
Vous avez confié à un journaliste : « La librairie incarne la possibilité d’une lenteur salutaire, d’un enracinement : enracinement autour d’un lieu et enracinement d’un texte dans le volume physique du livre » Que pensez-vous de l’avènement du livre numérique ? (rires) Etant de nature optimiste, penser qu’un livre, qu’une librairie puisse disparaître au profit d’un simple ordinateur m’est incompréhensible, voire inconcevable. Mais j’ai eu une pointe d’inquiétude l’hiver dernier, en janvier et février, qui sont toujours des mois très calmes, parce que clients, éditeurs et journalistes n’arrêtaient pas de me poser des questions sur le futur du livre papier. Du coup, j’ai réfléchi et j’en suis venue à la conclusion que numérique et papier peuvent cohabiter. Je ne suis pas une vieille libraire qui lit Jane Austen à la caisse avec un client par jour ! J’aime beaucoup la technologie. C’est moi qui ait installé le téléphone, le site Internet et mis les ordinateurs en réseau. Je pense que la technologie est importante et fascinante. Mais je ne crois pas qu’on puisse remplacer un lieu comme Shakespeare & Compagnie, qui offre un espace, un contact humain, une ambiance unique et l’effet direct des livres sur les clients. De nombreux éditeurs me disent qu’ils ont une grande bibliothèque à la maison, mais qu’ils ont adopté le Kindle pour lire leurs manuscrits. Je ne pense pas qu’ils se débarrassent pour autant de leur bibliothèque ! À la librairie, nous proposons des lectures, mais aussi des ateliers d’écriture dirigés par des auteurs six jours par semaine, et puis nous offrons un toit à un tas de jeunes écrivains. Autant de choses que ne peut offrir un Kindle ! (rires)
Les jeunes écrivains que vous accueillez sont-ils tous anglophones ? Surtout américains et anglais, car notre nom est très prestigieux dans les pays anglo-saxons, mais il y a aussi des Italiens, des Espagnols, des Scandinaves, beaucoup d’Allemands…
… Des Français ? Surtout américains et anglais, car notre nom est très prestigieux dans les pays anglo-saxons, mais il y a aussi des Italiens, des Espagnols, des Scandinaves, beaucoup d’Allemands…
Vous avez invité Natalie Clein — une des plus grandes violoncellistes actuelles — à jouer pendant le Festival. Pourquoi cette musicienne parmi des écrivains ? J’ai rencontré Natalie grâce à Jeanette Winterson. Je l’ai tout de suite adorée, c’est une âme très spéciale. Lors d’un anniversaire de Jeanette à Paris, on a organisé un concert devant la librairie et Natie a surgi et s’est glissée parmi eux, alors qu’elle n’était même pas censée être dans la Capitale. On l’a regardée jouer avec Notre Dame derrière et c’était une des choses les plus magiques qu’il m’ait été donné de voir et d’entendre ! Cette année, elle va jouer une quinzaine de minutes au milieu du square entre deux lectures, avec évidemment, Notre Dame en toile de fond, pour que la magie opère à nouveau. Reste à espérer que le soleil sera au rendez-vous !
Légende Photo : Sylvia Beach Whitman et son père, George Whitman