Expulsion de terroristes: position inflexible sur la prohibition absolue du risque de torture (CEDH 20 juillet 2010, A. c. Pays-Bas)

Publié le 28 juillet 2010 par Combatsdh

La protection de la sécurité nationale et la lutte contre le terrorisme face au risque de torture

par Nicolas HERVIEU

Une fois encore, la question de l’expulsion d’un étranger soupçonné de terrorisme vers un pays où il risque de subir des actes contraires à l’article 3 (interdiction de la torture) a été soumise à la Cour européenne des droits de l’homme. Si cette dernière a déjà clairement et avec constance tranché un tel point (V. Cour EDH, G.C. 28 février 2008, Nassim Saadi c. Italie, Req. n° 37201/06 - Actualités Droits-Libertés du même jour ; Cour EDH, 2e sect. 24 février 2009, Ben Khemais c. Italie, Req. n° 246/07 - Actualités Droits-libertés du 25 février 2009 ; Cour EDH, 5e Sect. 3 décembre 2009, Daoudi c. France, Req. n° 19576/08 - Actualités Droits-Libertés du 3 décembre 2009. Voir cette catégorie de CPDH) l’affaire ici concernée présente un intérêt particulier. En effet, l’État défendeur était à cette occasion appuyé par d’autres États parties (Lituanie, Portugal, Slovaquie et Royaume-Uni) qui, en qualité de tiers-intervenants (Art. 36), plaidaient tous en faveur d’un infléchissement de la position strasbourgeoise sur le caractère absolu de l’interdiction de la torture. La contestation de cette jurisprudence s’est d’ailleurs déjà manifestée par le refus de certains États de respecter les mesures provisoires de la Cour (Art. 34) interdisant d’expulser des étrangers jugés dangereux pour la sécurité nationale mais risquant la torture dans les pays de destination (v. la récente et vive critique de ces comportements d’États parties par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe). En l’espèce, la demande d’asile formulée par un ressortissant libyen auprès des autorités néerlandaises fut refusée et, au motif de son implication dans un mouvement terroriste islamiste, l’intéressé fit l’objet d’une procédure d’expulsion - néanmoins non exécutée à ce jour, conformément cette fois à la mesure provisoire rendue par la Cour avant l’examen au fond.

A l’unanimité et de façon nette, la juridiction strasbourgeoise rejette l’argumentation de l’État défendeur et des tiers-intervenants qui souhaitaient que le risque terroriste puisse venir contrebalancer le risque de torture (§ 125 - 130). A titre préliminaire, la Cour rappelle ainsi “la nature absolue de l’interdiction prévue à l’article 3, nonobstant le comportement de la personne concernée, aussi indésirable ou dangereux soit-il“ (§ 142 - « the absolute nature of the prohibition under Article 3, irrespective of the conduct of the person concerned, however undesirable or dangerous this may be »). Surtout, tout en indiquant être “consciente des difficultés auxquelles font face les États s’agissant de la protection de leur population à l’égard de la violence terroriste” (§ 143), la Cour souligne qu’”il n’est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitement avec les raisons justifiant l’expulsion” de l’intéressé (§ 142) et que,malgré des circonstances difficiles, tel que le combat contre le terrorisme, et indépendamment du comportement de la personne concernée, la Convention prohibe en termes absolus la torture et les traitements et peines (§ 143 - v. Cour EDH, GC, 19 février 2009, Abou Qatada et autres c. Royaume-Uni, Req. n° 3455/05, § 126 - Lettre Droits-libertés du 21 février 2009). Ce raisonnement - appuyé par des organisations non-gouvernementales tierces-intervenantes (§ 131 - 140) - conduit les juges européens à ne tenir compte que du seul risque encouru par le requérant en cas d’expulsion vers la Lybie. Or, sur ce point, il est relevé, au plan général, que “la situation globale des droits de l’homme en Libye continue de susciter de réelles inquiétudes” (§ 146) et, au niveau plus particulier, que l’intéressé, bien qu’acquitté aux Pays-Bas, risque d’être arrêté ainsi que de subir des traitements contraires à l’article 3 infligés par les autorités libyennes du fait de ses liens supposés avec les extrémistes islamistes (§ 148-149).

En conséquence, la Cour juge qu’en cas d’expulsion du requérant vers la Libye, les Pays-Bas violeraient la Convention (§ 151).

Si une telle solution n’est guère surprenante, elle constitue cependant une fin de non-recevoir fermement opposée aux souhaits de relativisation du caractère absolu de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. Une telle résistance de la Cour européenne aux pressions pesant sur elle et, plus généralement, sur les droits de l’homme dans le contexte de la lutte contre le terrorisme ne peut qu’être vivement saluée (sur ces problématiques, v. le rapport de la Commission Internationale de Juristes - Lettre Droits-Libertés du 17 février 2009).

A. c. Pays-Bas (Cour EDH, 3e Sect. 20 juillet 2010, Req. n° 4900/06) - En anglais