On n'est pas homme de communication pour rien. Je confesse un penchant pour les formules (et un ennui corrélatif pour le charabia) : elles simplifient des sujets souvent complexes, rendent les choses concrètes et guident l'action. Bien utilisées - et cela n'est pas vrai seulement dans le monde de l'entreprise -, elles sont un puissant moyen de mobilisation ou de changement parce qu'elles ont la vertu de focaliser sur quelques principes fondamentaux.
Elles ont aussi les défauts de leur qualité ou plutôt induisent, lorsqu'elles sont mal utilisées, un certain nombre de problèmes : la négation de la complexité, la sous-optimisation de l'intelligence collective ou encore le risque de l'incantation. Pour être tout à fait honnête, j'y vois aussi une limite de mon intelligence, rétive aux développements abscons dont on ne voit pas très bien, passé dix minutes, où ils peuvent bien mener (une autre partie doit pourtant se discipliner pour ne pas pas se laisser entraîner par un penchant pour une certaine forme de développements philosophico-littéraires). Bref, chacun son truc.
Je crois par ailleurs, dans tout processus de recrutement, de rapprochement, de coopération - d'intérêt partagé, à la force de la prise d'initiative dans la mesure où, au-delà des procédures, en apportant une contribution non sollicitée, elle témoigne à la fois d'une envie, d'un tempérament - de la possibilité raisonnablement envisageable d'un projet partagé. Le président d'une grande agence de communication me confiait là-dessus ces deux critères de recrutement fondamentaux : la passion, et l'habitude d'avoir tôt travaillé. C'est artisanal, et c'est très bon. Le premier critère garantit l'engagement - la "motivation intrinsèque" chère aux chercheurs du Centre de leadership d'Harvard, le second la débrouillardise, le sens du bricolage, une certaine idée de la nécessité, bref, la capacité à apporter des solutions là où tout le monde se lamente sur les problèmes.
Certains grand cabinets font d'ailleurs de ce dernier critère un paramètre essentiel de la détection de leurs potentiels internes - en clair, de leurs futurs leaders. Je souscris volontiers à cette philosophie, mais lui ajoute sans hésiter la capacité d'initiative ou, mieux, contributive qui se distingue du simple apport de solutions part le fait qu'elle n'apporte pas seulement la solution, mais le problème avec - problème auquel personne n'avait pensé, que l'on n'avait pas vu, ou que l'on ne voulait pas voir : c'est en quoi Victoria Secret a raison de faire du courage l'un de ces critètes de promotion interne. C'est aussi la différence entre Sartre et Pavlov, ou entre Honda et Kodak - bref, entre vivre intelligent (et préoccupé) et mourir imbécile (et heureux).
En travaillant à une étude et en me prenant à me laisser embarquer par le fil de mes pensées - un article qui porte en germe le potentiel d'un petit essai -, je m'interrompais en m'interrogeant sur ce que pouvaient être les qualités fondamentales, aux yeux de ses destinataires, de cette contribution. J'aurais naturellement dû commencer par là, mais ce n'était pas initialement le sujet ; je note d'ailleurs que le surgissement de l'inspiration vaut souvent mieux que le discours de la méthode, même si l'inspiration passe à peu près toujours chez moi par l'harmonie pour ainsi dire rythmique du plan.
Mais on s'éloigne du sujet du jour. Trois critères me sont venus sous la forme - revenons au point de départ de ce post -, d'une formule : les 3 "PER", et il ne s'agit ici pas davantage du "Price Earning Ratio" des analystes financiers que du "Plan Epargne Retraite" des salariés des grands groupes, mais de la combinaison de trois qualificatifs ordinaires.
Il me semble d'abord qu'une contribution de cette nature se doit d'être pertinente. Qu'est-ce que la pertinence ? A l'instar de la culture selon la formule célèbre attribuée à Herriot : ce qui reste quand on a tout oublié. Une qualité de lecture, la sûreté d'un jugement, une aptitude à mettre les choses en relation et en perspective d'une façon adaptée à une situation ou à une problématique donnée. Délicate synthèse entre l'apprentissage et l'innovation, la pertinence manque au directeur artistique (qui ne fait pas un métier facile, mais qui fantasme encore sur Warhol) aussi bien qu'à l'ingénieur de production (pareil - et qui fantasme, lui, sur Toyota) qui ne l'envisagent le plus souvent que sous l'angle de la reproduction ou, si l'on veut, de la réponse toute faite quand il faut penser questions à se poser et spécificité du problème.
Elle doit ensuite être percutante - et il faudrait d'ailleurs ajouter cette variable aux critères de recrutement susmentionnés. "Variable", parce qu'être percutant, c'est faire une différence, et une différence personnelle. En glissant de l'analyse à la synthèse, on change aussi d'échelle : de la décomposition on passe à la vision. Et la vision fait en effet la différence entre un blabla qui ne convainc personne (ou, comme on veut, qui ennuie tout le monde) et une percée qui ouvre des perspectives. C'est l'intuition de Napoléon à Austerlitz ou le plan de Von Manstein en 1940 : on ne gagne pas la guerre avec des armées de papier et des lignes Maginot.
Au passage, ce précepte dépasse le contexte d'une étude ou d'un recrutement : il s'applique, me semble-t-il, tout particulièrement au terme de la première année d'une prise de poste. Assez de temps pour apprendre, pas suffisamment pour cesser de réfléchir, pour relâcher la tension de la remise en cause. Bref, le moment idéal pour proposer un autre regard, une synthèse inédite, une perspective nouvelle.
Cette contribution se doit enfin d'être performante. Comment pourrait-elle l'être, si elle n'est qu'une étude ? C'est tout simple : elle met tout le monde d'accord sur deux points : c'est juste (c'est la bonne approche intellectuelle) et profitable (c'est le bon business model). C'est qu'elle sait aussi modéliser, quantifier ou qualifier les résultats à atteindre, et voilà tout. Parce que sans le sens du résultat, on peut causer de tout et arriver nulle part aussi sûrement. Ce qui ne fait tout de même pas beaucoup avancer les choses.